Un nouvel arrêté renforce les contrôles des opérations standardisées

28 10 2021
Philippe Bohlinger
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Le nouvel arrêté du 28 septembre 2021 relatif au contrôle des opérations standardisées a pour objectif de renforcer la crédibilité du dispositif des CEE. Le texte augmente considérablement le volume et la nature des inspections pour la 5e période. Les acteurs s’interrogent cependant sur la possibilité de pouvoir tenir les délais de dépôt des dossiers.

La lutte contre la fraude aux certificats d’économies d’énergie (CEE) s’intensifie avec l’avènement de la 5e période du dispositif 20222025. Le nouvel arrêté du 28 septembre 2021 portant sur le contrôle des opérations standardisées fixe des objectifs ambitieux en la matière. Cet arrêté paru au Journal officiel le 5 octobre a fait l’objet d’une large consultation au sein de la filière. Les acteurs s’en félicitent, bien que certains points d’ombre demeurent. Il faut dire que la fiabilisation du dispositif représente un enjeu crucial : les CEE constituent un des leviers de sortie de crise économique, le Gouvernement ayant placé la transition énergétique au cœur de son plan France Relance.

Dans l’ensemble, Gilles Michel, directeur-général adjoint de Bureau Veritas Exploitation juge l’arrêté conforme aux récentes déclarations du ministère de la Transition écologique. En charge du pôle Développement de l’association des professionnels de l’inspection et de la certification Filiance, il s’attendait à ce que le dispositif fasse l’objet de contrôles renforcés, « sachant que sa montée en puissance est propice à certains effets d’aubaine. » Montant des travaux surévalués, mauvaise qualité des prestations ou encore chantiers inexistants, la liste des abus s’est allongée depuis le lancement du dispositif des CEE en 2006. Dans son bilan 2020 présenté en avril dernier, la Direction générale de la répression des fraudes (DGCCRF) a pointé les dispositifs « Coups de pouce -isolation à 1€ », « qui ont conduit à la mise en place de réseaux de fraude à grande échelle, qui abusent les consommateurs, notamment les plus fragiles, nuisent à la crédibilité des dispositifs gouvernementaux, à la bonne utilisation des deniers publics. »

Pic en 2017

En 2020, la DGCCRF a noué un partenariat avec le Pôle national des certificats d’économie d’énergie (PNCEE) de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), afin de mieux combattre la fraude dans le secteur de la rénovation énergétique. La répression des fraudes coopère également avec Tracfin, le service de Bercy spécialisé dans la lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Tracfin pointe pour sa part, dans son rapport d’activités 2020, le pic de fraude aux CEE atteint en 2017 lors de la troisième période ; soit 70 millions d’euros détournés de leur objet. « Le déploiement de la quatrième période a permis d’atténuer l’ampleur de la fraude, sans y mettre un terme pour autant : depuis 2018, Tracfin continue de transmettre 6 à 7 dossiers à l’autorité judiciaire chaque année. Le durcissement des conditions d’obtention du statut de délégataire a toutefois modifié les fraudes constatées : les fraudeurs ont délaissé ce statut au profit de celui de mandataire (non soumis à l’agrément du Pôle national des CEE), se mettent désormais en conformité avec la réglementation fiscale et sociale (paiement de TVA, de charges sociales, etc.) et semblent, au moins en partie, effectuer des travaux d’économie d’énergie », indique le rapport. Face aux signaux d’alerte, le Gouvernement a engagé une phase de fiabilisation du dispositif des CEE. Deux arrêtés publiés en mars et octobre 2020 sont venus préciser les modalités d’application des procédures de contrôle et déterminer les opérations standardisées soumises à une obligation d’inspection par un tiers.

Taux de vérification gradué dans le temps

Le nouvel arrêté du 28 septembre 2021 rehausse le niveau d’exigence. Tout d’abord il augmente sensiblement le nombre d’opérations standardisées concernées par les contrôles. Pour mémoire, les opérations standardisées représentent 85 % des volumes de CEE. Le texte établit également un taux minimal de contrôle de 7,5 % à appliquer sur les opérations. Ce taux va augmenter par palier sur toute la durée de la période en vue d’atteindre 30 % de contrôle à l’horizon 2025. Par ailleurs, la nature des missions d’inspection jusqu’alors centrées sur l’habitat (contrôle de l’isolation des toitures, des murs et des planchers) évolue grâce à l’ajout de nouvelles fiches d’opérations standardisées et une attention particulière portée d’une part à la rénovation globale et d’autre part à l’industrie. Enfin, le texte impose de contrôler la totalité du lot à partir d’un certain taux de non-conformité au sein de l’échantillon. Pour les travaux réalisés en 2022, la totalité du lot devra être inspecté si la part d’opérations non satisfaisantes dépasse 30 %. Ce niveau sera abaissé de 5 % chaque année jusqu’à atteindre 10 % en 2026.

Une profession sous pression

Les organismes de contrôle vont donc devoir se retrousser les manches. Le Comité français d’accréditation Cofrac en comptabilise actuellement une trentaine accréditée selon la norme NF EN ISO/CEI 17020, de toutes tailles, généralistes ou spécialisées dans le contrôle des CEE. Thierry Schulz, directeur-général d’Onis Contrôles, se prépare à absorber cette nouvelle charge de travail. La société créée il y a un an compte tripler le nombre de ses contrôleurs d’ici fin 2022 pour atteindre 30 contrôleurs répartis sur le territoire français. « Une part importante de nos difficultés tient actuellement dans la problématique de recrutement. Car nous devons non seulement trouver des profils motivés, mais aussi les former », argumente le directeur-général d’Onis Contrôles. Sans compter que les compétences attendues de la part des contrôleurs augmentent en raison de la plus grande complexité des opérations à contrôler.

Recours limité au personnel non-salarié

Par ailleurs, l’arrêté introduit une limitation du recours à du personnel non salarié, ce qui préoccupe l’association professionnelle Filiance. « Cette limitation, à hauteur de 30% du nombre d’opérations contrôlées, altère notre réactivité, alors que le volume et la complexité des opérations soumises au contrôle vont croissant. Ce mode de fonctionnement avec des personnels non salariés est inscrit dans notre ADN, ce que permet d’ailleurs la norme d’accréditation NF EN ISO/CEI 17 020 sans limite en volume. Nous comprenons la volonté du ministère de fiabiliser le secteur. Mais le recours à du personnel non salarié apparait particulièrement adapté au marché de l’inspection des opérations standardisées des CEE ; un marché à géométrie très variable en termes de volume, géographie, nature des opérations et délais », pointe Gilles Michel. Les demandeurs de CEE auront toutefois la possibilité de réaliser eux-mêmes certaines opérations de contrôle, celles pouvant être menées par « contact », autrement dit par appel téléphonique, par échange de courrier ou de mail avec le bénéficiaire.

Inspection en bout de chaîne

La question des délais de dépôt cristallise les préoccupations des acteurs. LSF Energie s’inquiète par la voix de son président Jonathan Lumbroso « des mesures qui risquent d’enrayer la machine ». Ce mandataire appelle de ses voeux un allongement du délai de dépôt des dossiers au PNCEE de 12 à 24 mois à compter de la date de fi n de travaux. « En effet, l’augmentation et la généralisation du nombre de contrôle associé à la prochaine réévaluation du volume minimal par dossier de 50 à 300 GWh cumac fait peser une forte contrainte sur le marché de la rénovation énergétique. Les retours terrain montrent que les délais de constitution des dossiers de 300 GWh cumac pour les acteurs plus modestes (mandataires, délégataires, obligés) excèdent les délais règlementaires prévus », regrette le président de LSF Energie. Le directeur-général d’Onis Contrôles renchérit en évoquant la difficulté d’intervenir en bout de chaine, « après la déclaration de fin de travaux, après la vérification de la conformité administrative du dossier par le demandeur. Il ne reste aux organismes d’inspection qu’une poignée de mois pour intervenir. Or les bénéficiaires peuvent se montrer réticents à ouvrir leurs portes dans le contexte de crise sanitaire. Par ailleurs, si 30 % des opérations réalisées en 2022 s’avèrent non-conformes il faudra contrôler la totalité du lot ! ».

C’est pourquoi Onis Contrôles milite pour que le contrôle soit à la charge de l’installateur et non du demandeur. « Cela permettrait d’avoir un contrôle pendant le chantier, en présence de l’installateur et non à postériori. Si tel n’était pas le cas, la seule façon pour les bureaux de contrôles de pouvoir réaliser l’intégralité de tous les contrôles, serait de prolonger les délais de dépôt afin de nous laisser plus de temps pour traiter les lots de nos clients ». Point positif, la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) a précisé les points de contrôle dans l’arrêté, répondant ainsi à une forte attente des professionnels. « Jusqu’à présent on nous demandait de contrôler si l’installation avait été faite dans les règles de l’art, ce qui convient pour des installations neuves, pas dans la rénovation énergétique. Mais, le dispositif des CEE est un système voué à s’améliorer de jour en jour, pour augmenter le niveau de qualité et rassurer les bénéficiaires », pointe Thierry Schulz.

Référentiels co-construits

Le travail de « co-construction » entre Filiance, le Cofrac et le ministère de la Transition écologique a ainsi porté ses fruits. « Cette collaboration a permis d’établir des référentiels d’inspection pertinents sur la base des chartes, fiches d’opération et arrêtés. Les lettres d’information mensuelles du ministère jouent également un grand rôle dans l’élaboration d’une jurisprudence applicable au dispositif », assure Gilles Michel. LSF Energie veut également apporter sa pierre au dispositif en proposant le partage d’une base de données entre l’ensemble des acteurs concernant les travaux d’économies d’énergie déjà réalisés et valorisés en certificats. « Cette base de données pourrait par exemple être indexée sur le registre des parcelles cadastrales », propose Jonathan Lumbroso.

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