Les SMR au coeur de nombreux questionnements

Les small modular reactors sont des réacteurs nucléaires dont la puissance est généralement comprise entre 50 et 500 MW. Sous cette appellation commune, de nombreuses technologies très différentes cohabitent. Plus de 70 projets sont plus ou moins avancés dans le monde, mais leur industrialisation semble encore hypothétique, principalement pour des raisons de coûts et de sûreté.
Lors de son discours de présentation de France 2030 le 12 octobre dernier, le président de la République Emmanuel Macron a égrené dix objectifs prioritaires afin de construire une économie décarbonée, résiliente et souveraine. Le numéro 1 était plutôt surprenant compte tenu de la confidentialité de la technologie mise en avant. Emmanuel Macron a proposé de « faire émerger en France d’ici 2030 des réacteurs nucléaires de petite taille innovants avec une meilleure gestion des déchets ». Il a ajouté que l’État était prêt à y « investir 1 milliard d’euros d’ici 2030 ». Appelés small modular reactors (SMR), ces réacteurs nucléaires ont une puissance comprise entre 50 et 500 MW, loin des 900 à 1 450 MW des équipements installés en France ces dernières décennies.
Ces petits réacteurs ne sont pas nouveaux. La plupart de ceux construits dans les années 1950 n’étaient pas puissants. La particularité des SMR est d’être modulaires. Ils sont conçus pour être fabriqués en série en usine et assemblés ensuite sur site. Leurs promoteurs considèrent qu’ils peuvent représenter un complément aux énergies renouvelables intermittentes, mais aussi offrir d’autres fonctionnalités : chauffer les villes et les usines, produire de l’eau douce en dessalant l’eau de mer, favoriser la cogénération nucléaire, décarboner la production d’hydrogène et produire des carburants de synthèse. 72 sont en projet dans le monde selon un décompte tenu par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Certains sont des versions réduites de modèles existants, d’autres reposent sur des concepts bien plus innovants. Mais très peu sont en marche ou en construction.
Une famille de technologies
Les SMR ont en commun des puissances inférieures à 500 MW et un caractère modulaire. Cependant, pour produire de l’électricité, toutes les technologies sont possibles. Certaines sont déjà maîtrisées et sont juste miniaturisées. D’autres sont bien plus innovantes. À l’image du nucléaire classique, le type de réacteur le plus utilisé est celui à eau pressurisé (REP). Cette technologie d’origine américaine représente les deux tiers des 444 installations nucléaires dans le monde, dont la totalité du parc français actuellement en fonctionnement. Elle équipe aussi de nombreux porte-avions et sous-marins à propulsion nucléaire.
Les REP fonctionnent à partir d’oxyde d’uranium faiblement enrichi. Il utilise l’eau comme fluide caloporteur et pour faire office de modérateur. Dans la même famille des réacteurs à eau légère, quelques projets de SMR sont basés sur la technologie à eau bouillante (REB), en particulier en Russie. Un peu plus de dix projets reposent sur des réacteurs à haute température (HTGR), une technologie où le combustible est refroidi par du gaz. Encore émergente, elle intéresse la filière car elle utilise un uranium très faiblement enrichi qui ne peut pas être détourné à des fins militaires.
Quelques projets sont des réacteurs rapides à métal liquide (LMFR) qui utilisent du mercure, du sodium, du plomb ou de l’étain pour refroidir le réacteur. Cette technologie est à la base issue de sous-marins à propulsion nucléaire. Enfin, une dizaine de SMR reposent sur le principe des fondus (RSF). Le combustible nucléaire s’y présente sous forme liquide, dissous dans du sel fondu qui joue le rôle de caloporteur et de barrière de confinement. Des procédures d’octroi de licences sont en cours au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Une profusion de projets
aux États-Unis Les États-Unis ont beaucoup d’ambition pour cette filière dont ils font partie des précurseurs. « Il y a beaucoup d’acteurs dans le nucléaire qui continuent à mener des recherches dans ce pays. Depuis les années 2010, ils considèrent, d’abord pour des applications militaires, qu’il serait intéressant d’utiliser de petits réacteurs. Il y a d’ailleurs déjà eu des essais pour équiper en SMR des bases militaires isolées dans le grand nord pour remplacer des groupes électrogènes », raconte Bernard Laponche, physicien et cofondateur de Global Chance.
Le grand projet développé par les Américains est civil et il est baptisé NuScale. Le NuScale Power Module (NPM) est un réacteur à eau sous pression (REP) d’une capacité de 60 MW refroidi à l’eau légère. Il est possible de l’installer seul ou jusqu’à douze exemplaires pour atteindre 720 MW et faire baisser les coûts. Chaque NPM peut fonctionner indépendamment des autres modules dans une configuration à plusieurs appareils. L’ensemble des modules est géré depuis une salle de contrôle unique.
D’abord, un premier prototype à taille réelle sera construit l’année prochaine. NuScale Power envisage une mise sur le marché aux environs de 2027. Puis, un projet à douze modules devrait voir le jour vers 2029 sur un site du département de l’Energie des États- Unis (DOE) qui garantira un prix du mégawattheure de 55 dollars grâce à des subventions. Cette centrale SMR viendra remplacer celles tournant au charbon qui arrivent en fin de vie. C’est également vers 2027 ou 2028 que devrait être commercialisé le BWRX-300, porté par un consortium américano-japonais composé des groupes General Electric et Hitachi Nuclear Energy. Ce REB de 300 MW est en fait une adaptation d’une installation existante de 1 520 MW.

Pour autant, les Américains ne se contentent pas de miniaturiser des concepts existants. Ils pensent déjà à associer l’idée du SMR avec le nucléaire de quatrième génération. Kairos Power développe en ce sens KP-FHR, un SMR de 140 MW qui utilise la technologie des sels fondus. Il vise à être compétitif par rapport au gaz naturel et à réduire encore ses coûts à long terme notamment en misant sur une disponibilité et des performances élevées avec de faibles coûts de maintenance. Avec son XE-100, X Energy a de son côté opté pour un HTGR de 200 MW, dont un prototype devrait être construit en 2025. Ces technologies, assez innovantes, n’ont pas encore de calendrier précis concernant leur commercialisation.
Malgré les incertitudes, les SMR commencent à intéresser au-delà de la sphère traditionnelle des énergéticiens américains. Bill Gates qui a créé l’entreprise TerraPower il y a quinze ans, s’est allié à PacifiCorp pour mettre en oeuvre un réacteur refroidi au sodium dans l’État du Wyoming. D’une puissance de 345 MW, il sera combiné à un système de stockage de l’énergie pour les sels fondus. La technologie de stockage permettra, si besoin, d’augmenter la puissance de l’installation jusqu’à 500 MW. En octobre 2020, le DOE a accordé à TerraPower un financement de 80 millions de dollars malgré les doutes qui planent sur cette technologie en termes de sécurité. En effet, « le sodium liquide présente des risques d’explosion à l’eau et peut s’enflammer au contact de l’air », explique Bernard Laponche.
Des SMR chinois et russe déjà en service
Si les États-Unis comptent le plus de projets différents, c’est en Chine qu’une installation de démonstration a vu le jour. Équipée de deux HTGR de 250 MW, la centrale de Shidaowan, dans la province de Shandon, a été connectée au réseau électrique et a commencé à produire de l’électricité l’année dernière.

Ce module à deux réacteurs entraînant une turbine unique de 210 MW doit encore démontrer sa pertinence avant d’atteindre l’étape de commercialisation, néanmoins attendue très prochainement. Des unités avec plusieurs modules de réacteur standardisés couplés à une seule turbine à vapeur de 200, 600 ou 1000 MW sont envisagées. Des sites ont déjà été identifiés pour un déploiement à plus grande échelle.
Un autre projet, plus classique, devrait produire de l’électricité en Chine prochainement. Le pays a démarré le chantier d’un REP de 125 MW sur l’île tropicale et touristique de Hainan, située non loin des côtes du Viêtnam. ACP100, conçu par le géant local du nucléaire CNNC, n’a pour l’instant pas de date de mise en service précise mais l’entreprise entend déjà exporter ce modèle. Elle négocierait avec le Pakistan, l’Iran, le Royaume-Uni, l’Arabie Saoudite, l’Indonésie, la Mongolie, le Brésil, l’Égypte et le Canada pour lancer des projets de coopération, sans succès probant pour l’instant. Le seul autre pays à avoir un SMR en marche est la Russie.
La France en retrait
En promettant 1 Md€ pour la filière, Emmanuel Macron tente de la relancer. Dans un premier temps, la France était plutôt en pointe. Dès 2006, un prototype baptisé Astrid avait été envisagé par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). D’une puissance de 600 MW, ce réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium devait être construit sur le site de Marcoule. Pourtant, après avoir bénéficié d’un financement de plusieurs centaines de millions d’euros pour la période 2010-2017 dans le cadre du grand emprunt national, ce projet est finalement abandonné en 2019. En cause, un coût total estimé entre 5 et 10 Md€ que l’État n’a pas souhaité financer alors que les dépenses pour l’EPR de Flamanville s’envolaient. La même année, le CEA, EDF, Naval Group et TechnicAtome ont dévoilé un nouveau projet de SMR basé sur une technologie éprouvée qui ne devrait pas réserver de mauvaises surprises sur les plans budgétaires et techniques.
Nuward est une solution composée de deux REP de 170 MW et d’une salle de commande. Les réacteurs seront installés dans des réservoirs d’eau de 25 mètres sur 25, et seront en partie enterrés pour les protéger d’éventuelles attaques extérieures. Ils fonctionneront grâce à un combustible standard fourni par Orano et Framatome déjà utilisé dans les grands réacteurs actuellement en fonctionnement. Nuward devrait être commercialisé d’ici 2035-2040. Mais quel serait l’intérêt de mettre sur le marché une telle installation dans un pays comme la France qui privilégie les grandes installations ?
Une orientation que vient d’ailleurs de confirmer Emmanuel Macron en annonçant la construction de six nouveaux EPR. EDF et ses partenaires ne s’en cachent pas, il n’y en a pas et Nuward serait exclusivement réservé à l’exportation. « Le concept vise à alimenter avec une électricité décarbonée des régions isolées, des réseaux électriques non dimensionnés pour de fortes puissances ou des sites industriels énergivores, par exemple dans les pays émergents. Il permettra en particulier de remplacer des centrales à charbon », précise le CEA.
Cette stratégie commerciale pose de nombreuses questions, notamment du point de vue réglementaire. Le réacteur appartiendra-t-il au pays acheteur ou à sa compagnie d’électricité ? Qui le gèrera ? Qui le contrôlera, a fortiori dans les États n’ayant aucun vécu avec le nucléaire et ne disposant pas d’administration dédiées comme l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en France ? Qui serait responsable en cas d’accident ? Et enfin, qui prendra en charge les déchets ? « Si c’est le vendeur, il prend une responsabilité considérable et cela pose des problèmes de traités internationaux », estime Bernard Laponche.
Une question de sûreté et de coûts
Outre l’aspect réglementaire, les SMR devront convaincre sur le plan de la sécurité. Leurs promoteurs considèrent qu’ils sont plus sûrs car plus petits et plus simples, et peuvent fonctionner dans des zones isolées avec peu de personnel qualifié. « Certains d’entre eux estiment que les exigences de sûreté devraient être adaptées du fait des caractéristiques de sûreté intrinsèques inhérentes à ces concepts », explique l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Cette demande ne convainc pourtant pas les experts de l’institut même s’ils reconnaissent que certains de ces réacteurs de faible puissance peuvent être plus sûrs que de grandes installations. Ils estiment cependant « qu’il n’y a pas lieu de revoir à la baisse les exigences de sûreté pour les SMR, la simplification et les caractéristiques de sûreté inhérentes devant bénéficier à la sûreté et à la démonstration de celle-ci au travers du respect de ces exigences ».

L’IRSN alerte aussi sur les SMR reposant sur des technologies nouvelles. « La plupart des concepts font appel à des solutions dont la faisabilité et l’efficacité restent à démontrer. Seul un examen détaillé des choix et des hypothèses de conception permettrait d’évaluer les gains possibles en matière de sûreté par rapport à des réacteurs de puissance plus élevée. » Enfin, les SMR parviendront-ils à s’imposer dans un milieu économiquement très concurrentiel ? Les porteurs de projets estiment que la fabrication en série réglera le problème de coût. Toutefois, ce modèle industriel nécessite un investissement initial massif pour mettre en place des usines de fabrication des modules. Et cela ne pourra se faire que si les commandes de réacteurs sont assez nombreuses pour rentabiliser les investissements.
Pour l’instant, compte tenu de l’hétérogénéité des technologies, il semble prématuré d’imaginer qu’un des 72 modèles développés dans le monde parvienne à convaincre un nombre assez élevé d’acheteurs. Seul « un petit sous-ensemble des nombreux modèles en cours de développement sera finalement capable d’établir un tel marché », estime prudemment l’OCDE dans un rapport sur les SMR. Et pour l’instant, ces projets coûtent très chers et ont tendance à dépasser leurs budgets. Les réacteurs russes installés sur l’Akademik Lomonosov ont nécessité un investissement de 740 M€, quadruplant leur budget durant la construction. Le coût par kilowatt installé atteint donc 15 200 dollars. Quant au coût de production, il atteint environ 200 $/MWh, alors qu’il n’est que de 55 $/MW en moyenne pour le parc nucléaire français.
Pas de marchés ?
« Un même modèle devrait être fabriqué par milliers pour que le coût de son électricité soit équilibré avec celui des grands réacteurs », estime M. V. Ramana, physicien au laboratoire de recherches sur l’énergie nucléaire de l’Université de Colombie-Britannique à Vancouver, qui a mené une étude spécifique sur le coût des SMR. Pourtant, les acheteurs se font rares. « Les SMR développés en Russie, en Chine et en Corée du Sud n’ont pas trouvé de clients. Aux États- Unis, le premier SMR, impliquant la construction d’un réacteur NuScale, a connu des difficultés. De nombreuses compagnies d’électricité qui s’étaient engagées dans le projet ont choisi d’abandonner le processus à cause de son coût trop élevé », ajoute le chercheur.
Ces technologies, qui pour la plupart ne seront pas commercialisées avant 2030 ou 2040, seront probablement beaucoup plus chères que les renouvelables. Au Portugal, le gouvernement a confirmé un appel d’offres à 11 €/MWh en 2020 pour des parcs photovoltaïques. Même couplée à des batteries lithium, une centrale PV sera donc forcément moins chère qu’un SMR… Plus que pour des raisons réglementaires, de sécurité ou d’acceptation sociale, les SMR risquent surtout de buter sur cette question de coût.