Hydrolien : la filière française vogue vers un changement d’échelle

23 09 2021
Clément Cygler
Sabella
Parmi les énergies marines renouvelables, appelées également énergies océaniques, l’hydrolien est actuellement la filière la plus avancée technologiquement en Europe.

Démonstrateurs, fermes pilotes et bientôt fermes commerciales ? Depuis quelques années, le nombre de projets sur l’hydrolien a fortement progressé en France, relançant par la même la filière. Tous les acteurs attendent désormais un petit coup de pouce de l’État afin de mieux prendre en compte cette énergie océanique dans sa politique.

Si la grande majorité des énergies renouvelables pro duites en Europe est actuellement issue d’installations terrestres, cette situation pourrait s’atténuer ces prochaines décennies avec le développement attendu des énergies renouvelables en mer. En effet, le Vieux Continent qui bénéficie d’un potentiel prometteur, compte en partie sur ces énergies pour devenir climatiquement neutre d’ici à 2050. En novembre 2020, l’Union européenne s’est ainsi dotée d’une stratégie ambitieuse sur les énergies renouvelables en mer. Celle-ci propose de porter la capacité de production éolienne offshore à au moins 60 GW en 2030 et à 300 GW d’ici à 2050, mais également de développer les énergies océaniques avec 100 MW en service en 2025, puis 1 GW en 2030 avant de viser les 40 GW en 2050 !
Par ailleurs, ces énergies marines renouvelables (hydrolien, houlomoteur, osmotique, thermique…) étant pour la plupart en phase de R&D et d’expérimentation, cette stratégie vise ainsi à poser les bases nécessaires à la structuration des filières industrielles européennes. C’est notamment le cas pour l’EMR la plus avancée, l’hydrolien. Une vraie opportunité pour la France et le Royaume-Uni qui du fait de leurs ressources hydroliennes conséquentes (respectivement 4 GW et 7,5 GW) et de leur niveau d’innovation, peuvent se placer en position dominante sur le marché mondial à venir. « On a la chance d’avoir depuis quelques mois une stratégie dans le domaine des EMR et de l’éolien offshore extrêmement claire et très ambitieuse. Ce sera important pour la France et les acteurs de la filière hydrolienne d’être présents au rendez-vous », confirme Marc Lafosse, président d’Énergie de la Lune et de la Commission énergie marines renouvelables du Syndicat des énergies renouvelables (Ser).

 

Avantages de l’hydrolien
L’hydrolien marin présente de nombreux avantages lui permettant d’avoir potentiellement une place de choix dans le mix énergétique global de demain. En effet, c’est avant tout une énergie renouvelable prédictible. Pour un producteur, avoir dans son mix une ENR prédictive a un fort intérêt et une valeur stratégique. Entièrement immergées, les hydroliennes ne génèrent aucun impact visuel et sonore. De plus, les sites sont peu étendus : moins de 40 km² seulement pour l’ensemble du potentiel français. Cela va faciliter son acceptation sociale et limiter les recours contre la création future de parc d’hydroliennes. D’autant plus que les zones convoitées par la filière présentent très peu d’activités humaines ce qui réduit les éventuels conflits d’usage. Enfin, cette énergie est particulièrement propice au milieu insulaire, notamment quand les îles sont déconnectées du continent.

Premiers retours d’expérience

En France, soutenus par des financements régionaux, nationaux (programme d’investissements d’avenir) ou encore européens, les projets de démonstrateurs se sont multipliés depuis quelques années. Six sont en cours actuellement sur la façade atlantique et en Manche, des zones très propices à l’exploitation de l’énergie hydrolienne.

immersion D10 Sabella
Immersion Hydroliènne

Sur ces sites, les opérateurs peuvent tester pendant plusieurs mois voire années, le plus souvent à échelle intermédiaire, leurs machines en milieu marin. Dès 2015, le turbinier Sabella testait ainsi dans le courant du Fromveur, au large des côtes de l’île de Ouessant, son prototype Sabella D10. Immergée à 55 mètres de profondeur, cette machine de 10 mètres de diamètre et d’une puissance de 1 MW est devenue la première hydrolienne à injecter des électrons d’origine marine sur le réseau français à partir de novembre 2015. Testé pendant un an, le prototype a ensuite été sorti de l’eau afin d’être inspecté et amélioré avant d’être replongé fin 2018 dans les courants forts du Fromveur. « Au final, le cœur du réacteur, c’est-à-dire la turbine, a été assez rapidement mis au point. Ce sont surtout tous les connexes comme les connectiques et les câbles qui ont posé plus de problèmes », précise Fanch Le Bris, directeur général de Sabella. De son côté, HydroQuest a également pu tester sur le site d’essais de Paimpol-Bréhat la conception de son prototype à axe vertical de 1 MW ainsi que son fonctionnement en milieu marin entre les étés 2019 et 2021. L’intérêt d’un site d’essai est également de comprendre l’impact environnemental et de réaliser un suivi environnemental pendant les tests. « Dans cette optique, des études acoustiques sont notamment réalisées pour s’assurer de l’absence de nuisances pour la faune », ajoute Marc Lafosse.

Un Tiger pour accompagner la filière

Les premiers retours d’expérience issus de ces démonstrateurs ont permis aux acteurs français d’améliorer leurs prototypes et d’envisager l’étape suivante avec des projets de démonstrateurs plus poussés et surtout de premières fermes pilotes hydroliennes. La filière française doit par ailleurs en partie son développement et son dynamisme actuels au projet Tidal Stream Industry Energiser du programme Interreg France (Manche) Angleterre. Connu sous le nom de « Tiger », ce projet de plus de 45 millions d’euros a été lancé en octobre 2019 afin de créer des partenariats transfrontaliers pour développer de nouvelles technologies, les tester et les présenter sur plusieurs sites de la région de la Manche. L’objectif de Tiger sera également de démontrer la rentabilité économique de l’énergie hydrolienne afin que celle-ci puisse entrer dans le bouquet énergétique du Royaume- Uni et de la France en réalisant des économies d’échelle grâce à une production en masse et au déploiement de plusieurs dispositifs.
Dans le cadre de Tiger, plusieurs projets importants sont ainsi été soutenus comme celui porté par Morbihan Hydro Énergies (MHE), une co-entreprise entre Sabella et la SEM 56 Energies. Il vise à implanter deux hydroliennes d’une puissance nominale de 250 kW dans le courant de la Jument, à l’entrée du Golfe du Morbihan, pour une durée de trois ans. Elles seront en mesure de fournir de l’électricité à quelque 400 foyers hors chauffage. Actuellement en phase d’instruction, le lancement opérationnel de l’expérimentation est prévu pour le second semestre 2022, après validation de l’enquête publique.

Raz Blanchard
HydroQuest
Situé entre le Cap de la Hague (Contentin) et l’île anglo-normande d’Aurigny, le Raz Blanchard est un passage présentant le courant le plus intense d’Europe, supérieur à 10 noeuds, soit plus de 20 km/h. Son potentiel hydrolien exploitable atteint les 3 GW, ce qui équivaut à 75 % du potentiel de la France métropolitaine.

Deux pilotes au Raz Blanchard

Deux autres projets de fermes pilotes sont également soutenus par Tiger au Raz Blanchard (Normandie) sur les anciennes concessions d’Engie et EDF Renouvelables, respectivement reprises par Normandie hydroliennes et par Hydroquest. Ce dernier s’est associé à l’énergéticien Qair pour développer la plus grande ferme hydrolienne d’une capacité totale de 17,5 MW, pour une production net moyenne de 41 GWh, soit environ 8 200 foyers. « En tant qu’énergéticien, si on veut se positionner sur la filière hydrolienne, on se doit de regarder et comparer toutes les technologies existantes. Celle d’HydroQuest est en train de sortir du lot et a désormais ses chances de changement d’échelle », explique Olivier Guiraud, directeur général de Qair Marine, Groupe Qair. Ce projet vient par ailleurs dans la continuité des actions réalisées précédemment, notamment du projet OceanQuest à Paimpol-Bréhat. « Deux ans de test et de retours d’expérience nous ont permis de valider puis d’améliorer notre machine pour parvenir à un nouveau modèle plus grand et puissant afin d’équiper Flowatt », précise Thomas Jaquier, président d’HydroQuest.
Construite et assemblée à Cherbourg par CMN, principal actionnaire d’HydroQuest, cette turbine à double axe vertical sera plus légère et compétitive, et verra sa puissance nominale passer de 1 MW à 2,5 MW. Au total, 7 turbines seront réunies sur la concession de 600 mètres de large et 200 mètres de long. Si aucune consultation n’est nécessaire pour exploiter cette concession, un travail d’adaptation des autorisations existantes au nouveau projet devra être réalisé. Une étude environnementale devra également être menée pour regarder les différences d’impact entre le projet initial et celui en cours. « Au niveau financier, un dossier de demande d’aides sera prochainement envoyé à l’Ademe afin de pouvoir bénéficier d’un système de soutien équivalent à l’éolien flottant aujourd’hui, c’est-à-dire une part de subventions et un tarif de revente d’électricité qui participeront au dérisquage des technologies », détaille Olivier Guiraud. Sous réserve du soutien du PIA opéré par l’Ademe, la mise en service de FloWatt est prévue pour 2025, avec un démarrage de la construction des hydroliennes à partir de 2023.

hydroquest
HydroQuest

Améliorer la connaissance

Si la validation des technologies est essentielle, une meilleure connaissance de la ressource hydrolienne et de sa variabilité l’est tout autant afin de s’assurer de la viabilité économique des projets de fermes pilotes et commerciales. Une erreur sur la prédiction du courant de 10% – ce qui est assez typique – se traduirait au final par une erreur de 30 % sur la puissance hydrolienne. Pour répondre à cette problématique, « France Énergies Marines a coordonné un ensemble de projets collaboratifs d’amélioration de la connaissance de la ressource et de sa variabilité », précise Yann-Hervé de Roeck, directeur général de FEM. Le projet HYD2M a par exemple permis d’étudier l’impact de l’état de mer et des tempêtes sur la ressource hydrolienne du Raz Blanchard grâce à des mesures radar in situ associées à de la modélisation numérique.
D’autres projets (Thymote et Muscatts) ont eux porté sur la connaissance des processus turbulents des sites hydroliens, et ont abouti à des applications de dimensionnement en fatigue des hydroliennes et d’estimation de leur rendement. Enfin, FEM vient tout juste de sortir DTOcean+, une suite logicielle open source destinée à la conception des fermes hydroliennes et houlomotrices. Cet outil est le fruit d’un projet H2020 qui a réuni 16 partenaires européens et 2 laboratoires étatsuniens pendant près de 40 mois. Un grand nombre de paramètres technologiques (coûts du cycle de vie, fiabilité, maintenabilité, performances, impacts environnemental et socioéconomique) mais également une analyse du marché actuel (taille, applications potentielles, zones géographiques et perspectives d’avenir) ont été intégrés dans l’outil afin qu’il soit le plus pertinent possible et définisse au mieux l’architecture et l’emplacement des futures fermes pilotes et commerciales.

Révision de la PPE

Cette étape de ferme pilote permettra de valider le fonctionnement des hydroliennes les unes par rapport aux autres et les architectures de ferme dans des conditions similaires à une installation commerciale. « C’est un cap important pour nous car il faut également réussir à financer ce type de projets par des banques et les assurer. Si on n’y arrive pas avec des projets de 17 MW, comment pourrait-on le faire pour des projets de 1 GW ? », prévient Olivier Guiraud. Qu’ils soient administratif, technique ou financier, tous les retours d’expérience des sites pilotes aideront de nouveau les porteurs de projets à optimiser leur dispositif et à réduire les coûts pour passer à la ferme commerciale. Le coût de production d’électricité reste en effet élevé et avoisine les 200 € le MWh. La volonté de la filière serait de parvenir à 50 €/MWh pour les premiers appels d’offres commerciaux à horizon 2030, grâce à l’amélioration continue des technologies et l’augmentation des volumes industriels. La filière attend toutefois un geste du Gouvernement pour les aider à se positionner en leader industriel. Au Royaume-Uni, des appels d’offres de 120 MW, avec un objectif de 1 GW d’ici 2030, ont été planifiés afin d’accompagner le développement de l’hydrolien et réussir le changement d’échelle. En France, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) n’intègre actuellement aucun objectif pour les EMR et indique juste que « le Gouvernement suivra avec attentivement les projets de démonstrateurs qui seraient poursuivis ainsi que l’évolution des performances dans les prochaines années ».

Sabella
Sabella

Emplois directs et indirects

Avec les retours d’expérience prometteurs de plusieurs démonstrateurs et bientôt ceux des premières fermes pilotes, les performances de certaines solutions pourront enfin être démontrées. En cas de résultats concluants, les acteurs espèrent que dès la révision de la PPE en 2023, l’hydrolien figurera parmi les appels d’offres prévus (au moins 500 MW de projets en deux tranches) par les pouvoirs publics ce qui donnera du volume et une vraie perspective. « Aujourd’hui les clients grands exports comme les Philippines, l’Indonésie, le Japon ou le l’Australie attendent de savoir ce que la France et l’Angleterre qui ont à la fois les technologies et les ressources, vont faire en terme de déploiement commercial. C’est donc fondamental que les projets commerciaux aboutissent dans ces deux pays », appuie Fanch Le Bris. D’autant plus que les retombées économiques de ces projets seront partagées avec de nombreux acteurs des territoires. Ces activités permettront de générer une forte mobilisation de la filière française structurée autour de PME et ETI, créatrice de nombreux emplois directs et indirects. Pour le projet OceanQuest, 80 % du prototype avait ainsi été réalisé en France.

 

Une ferme pilote à Ouessant
Porté par Akuo Energy en partenariat avec Sabella, le projet Phares (pour Programme d’Hybridation Avancée pour Renouveler l’Énergie dans les Systèmes insulaires) vise à décarboner significativement la production d’électricité pour l’île d’Ouessant. Pour y parvenir, plusieurs moyens de production d’énergies renouvelables (deux hydroliennes de 500 kW unitaire, une éolienne de 0,9 MW et un parc solaire photovoltaïque de 480 kW) vont être associés à un système de stockage d’ici fin 2022. Ce projet soutenu par la Région Bretagne, l’Ademe, et la mairie d’Ouessant, a également pour ambition de démontrer la pertinence d’un modèle énergétique hybride dans un contexte insulaire.

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