Concilier rénovation et préservation du patrimoine

20 01 2022
Olivier Mary
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Pour atteindre la neutralité carbone, rénover massivement est essentiel. Une condition qui ne pose pas de problèmes particuliers dans l’habitat récent. Mais l’ancien, classé ou non, demande de prendre bien plus de précautions pour préserver son intérêt patrimonial. Pourtant, efficacité et esthétique ne sont pas toujours incompatibles.

Dans sa stratégie nationale bas carbone (SNBC), l’État prévoit de réduire les émissions de CO2 du secteur du bâtiment de 49 % en 2030 et d’atteindre la neutralité vingt ans plus tard. Cela suppose un rythme de rénovation énergétique élevé : 500 000 chantiers sont nécessaires chaque année pour atteindre cet objectif. Rénover des bâtiments récents ne pose pas de problèmes particuliers, d’autant plus que beaucoup d’entre eux n’ont pas d’intérêt historique. Les travaux sont plus délicats à mettre en oeuvre dans les bâtiments anciens car il faut éviter de les défigurer, plus encore quand ils sont classés ou dans un secteur protégé.

Pourtant, il est indispensable d’améliorer ce parc construit avant 1948 car il représente un tiers du bâti en France. « Le bâti ancien est consommateur, notamment celui construit durant la période 1948-1975. Toutefois, il faut être clair : il ne tient pas la comparaison avec du neuf, même avec la RT 2005 », explique Élodie Héberlé, responsable d’activités Performance énergétique des bâtiments au zentre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) Est. Depuis la loi de transition énergétique pour la croissance verte (TEPCV), ces bâtiments sont désormais pleinement intégrés dans les considérations techniques de la réglementation thermique des bâtiments existants.

La réglementation se durcit

Avant la TEPCV, ces bâtiments n’avaient aucune obligation du point de vue énergétique. Le décret d’application n°2016-711 du 30 mai 2016 relatif aux travaux d’isolation en cas de ravalement de façade, de réfection de toiture ou d’aménagement de locaux en vue de les rendre habitables, définit désormais un cadre d’intervention. Lorsqu’un bâtiment fait l’objet de travaux de ravalement d’au moins 50 % d’une façade hors ouvertures, ou de réfection de toiture d’au moins 50 % de l’ensemble de la couverture, le maître d’ouvrage est obligé de mener des travaux d’isolation thermique conformes aux prescriptions défi nies dans la loi. Toutefois, pour les bâtiments datant d’avant 1948 et d’une surface inférieure à 1 000 m², la réglementation n’est pas extrêmement contraignante et n’exige pas de rénovation globale. Elle définit seulement une performance minimale pour l’élément remplacé ou installé (isolation, chauffage, production d’eau chaude sanitaire, de refroidissement, de ventilation, etc.).

Cette « réglementation thermique (RT) existante élément par élément » est régie par l’arrêté du 3 mai 2007. Ses exigences ont été relevées par celui du 25 mars 2017, entré en vigueur en 2018. Cependant, elle ne s’applique pas aux bâtiments classés Monument historique ou inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques lorsque les travaux modifient l’aspect extérieur. La réglementation environnementale 2020 (RE2020) pourrait encore durcir la législation. « Une fois que le ministère aura fait ses derniers ajustements sur la RE2020, il n’est pas impossible que la RT existante soit révisée car il faudra bien la remettre au goût du jour », estime Élodie Héberlé. Ces obligations, longtemps limitées, ont donc tendance à se renforcer. La réforme du diagnostic de performance énergétique (DPE), entrée en vigueur le 1er juillet dernier, pourrait aussi entraîner des impacts sur le bâti ancien. Sa méthode de calcul est en effet unifiée pour tous les logements. Elle élimine la méthode dite « sur facture » y compris pour les bâtiments antérieurs à 1948 : le nouveau DPE s’appuie désormais uniquement sur les caractéristiques physiques du logement comme le bâti, la qualité de l’isolation, le type de fenêtres ou le système de chauffage. À partir de ces variables, un logiciel détermine la classe du bâtiment.

Nouveau DPE problématique

« Nous craignons les conséquences de cette évolution car nous considérons que le moteur de calcul du DPE ne modélise pas correctement le bâti ancien, ne prend pas en compte sa forte inertie. De plus, dans l’ancien, seules une ou deux pièces sont chauffées. Forcément, comme les logiciels font des hypothèses conventionnelles qui considèrent que toute la surface habitable est chauffée, le DPE calculé pourrait être très défavorable », précise Élodie Héberlé. Il est donc probable que de nombreux logements anciens se retrouvent avec une étiquette F ou G, alors que dans l’ancienne version, ils n’étaient pas considérés comme des passoires thermiques. Un deuxième problème potentiel se pose avec le nouveau DPE : il va être de plus en plus adossé aux aides à la rénovation. La dérive possible, pointée notamment par les architectes du patrimoine, est la précipitation potentielle dans les décisions de travaux et l’atteinte à l’esthétique ainsi qu’aux caractéristiques techniques des constructions.

Privilégier les matériaux biosourcés

La philosophie des édifices anciens est très différente des modernes. Construits à partir de matériaux naturels et locaux (pierre, chaux, bois, brique, etc.), leurs murs sont naturellement traversés par la vapeur d’eau. Ce n’est pas le cas pour le béton ou le parpaing. Dans les maisons récentes, l’humidité ne transite pas par les murs, elle est évacuée par un dispositif de ventilation. Certains isolants comme le polystyrène ou le polyuréthane, très étanches et largement utilisés depuis des décennies, sont donc peu adaptés aux vieux bâtiments. Avec ces matériaux, l’humidité s’accumule à l’interface entre le mur et l’isolant, puis condense. En plus de la sensation d’inconfort pour les habitants, les planchers ou les poutres en bois peuvent pourrir. Les matériaux de type laines minérales ne sont pas forcément conseillés : s’ils sont mieux adaptés pour isoler le bâti ancien que le polystyrène, ils le sont bien moins que les matériaux biosourcés. De plus, leur bilan carbone est moins bon.

Image reconstruction bati ancien
©Picturenews/AdobeStock

Il faut donc privilégier les enduits et isolants naturels. Ils sont assez nombreux sur le marché. L’enduit « perspirant » est efficace : ce mortier minéral est constitué d’un mélange de silices expansées liées par la chaux hydraulique naturelle. Les enduits à base d’hydrate de chaux blanche et de ciment blanc, avec granulats légers sans fibre, sont aussi efficaces. Divers isolants biosourcés sont disponibles. La mousse minérale composée de sable, d’eau et de chaux, se présente sous la forme de panneaux rigides, résistants à la compression, imputrescibles et incombustibles. Ils maintiennent les échanges hygrométriques et possèdent une très bonne inertie. Les isolants à base de silicate de calcium offrent les mêmes caractéristiques. Les panneaux semi-rigides à base de laines de bois, de chanvre ou de mouton possèdent également une très bonne inertie. Mais ils résistent mal à la compression et peuvent pourrir et brûler. La ouate de cellulose, fabriquée à partir de 85 % de journaux recyclés, est plus adaptée pour isoler les combles que les murs car elle est très sensible à l’eau. Le béton de chanvre est un complexe de matériaux naturels associant chaux aérienne et chanvre. Il peut être utilisé pour isoler l’intérieur ou en enduit extérieur. Il n’est pas forcément adapté à tous les bâtiments anciens mais convient tout particulièrement aux maisons à colombage.

Préserver les façades

Une fois les matériaux choisis, faut-il isoler par l’intérieur ou l’extérieur ? L’isolation par l’extérieur (ITE) est la plus efficace. Elle conserve mieux la chaleur l’hiver et la fraîcheur l’été et réduit plus fortement les consommations énergétiques que l’isolation par l’intérieur. Mais elle est parfois impossible à mettre en oeuvre dans le bâti ancien car elle dégrade visuellement les façades. Dans certains secteurs protégés, elle peut d’ailleurs être tout simplement interdite. Pourtant, quelques expériences ont vu le jour, en particulier à Paris. Près de 60 % des parcelles parisiennes (environ 42 000) ont connu un ravalement entre 2006 et 2020. Dont 3 % ont été l’occasion de mettre en oeuvre une ITE. Celles-ci ont notamment été réalisées dans des immeubles post-haussmanniens du début du XXe siècle. Pour ne pas dégrader les façades donnant sur la rue, seules celles donnant sur cours ont été isolées. Mais l’immense majorité des travaux ont eu lieu dans l’habitat faubourien, qui regroupe les logements ouvriers annexés à la ville de Paris en 1860, situé aujourd’hui plutôt dans les arrondissements périphériques. Les immeubles en briques de l’entre-deux-guerres, situés près du périphérique sont très peu concernés. Quelques expériences ont eu lieu notamment Porte de Bagnolet mais elles ont modifié considérablement l’aspect des façades et elles ne se sont pas répandues.

Lorsque les façades sont classées, il est impossible d’isoler par l’extérieur. Mais des alternatives sont possibles. Le cas d’une école de Mulhouse construite au XVIIIe siècle en tant que filature, est assez emblématique des possibilités offertes. Le maître d’oeuvre s’est rabattu sur une isolation intérieure. Les murs ont été isolés par 8 cm de laine minérale, pour des raisons de coûts, et couplés à un frein-vapeur hygrovariable afin de protéger la paroi des différents risques liés à la condensation. À l’extérieur, les enduits au ciment ont été remplacés par des enduits à la chaux. Le plancher du grenier a été isolé par 26 cm de laine minérale et le sol est isolé par 80 mm de polyuréthane, au-dessus duquel un plancher chauffant a été installé. Les menuiseries en mauvais état ont été remplacées par du double vitrage en bois. Sans ITE, l’école a finalement atteint le niveau BBC Effinergie Rénovation sans pour autant faire l’objet d’une labellisation officielle.

Ne pas oublier les menuiseries

Pour préserver les façades tout en diminuant les déperditions thermiques, il faut aussi travailler sur les fenêtres. Si le bois isole mieux que le PVC ou le métal, c’est bien le verre (les vitrages anciens ont une épaisseur comprise entre 1 mm et 3 mm) qui est à l’origine de la grande majorité des déperditions. S’il fait 0°C à l’extérieur et 20°C à l’intérieur, la déperdition d’une fenêtre simple vitrage est de 84 W/m². Pour une fenêtre double vitrage elle est seulement de 28 W/m². Théoriquement, il faudrait donc toujours privilégier le double-vitrage. Mais parfois, il est impossible de le mettre en place si la menuiserie est trop étroite. Dans ce cas, « pour limiter les passages d’air, il est recommandé d’intégrer un joint dans le rainurage entre le dormant et l’ouvrant. Il faut aussi veiller à ce que le masticage soit en bon état car il assure l’étanchéité entre le verre et le bois », pointe Diane Bouteiller, architecte du patrimoine et enseignante en école d’architecture.

Rénovation bati ancien
©Picturenews/AdobeStock

Si la menuiserie le permet, « il est donc tout à fait possible de conserver le châssis d’origine en bois en creusant la feuillure pour poser un verre feuilleté à la place d’un simple vitrage. On peut aussi élargir la feuillure si le châssis est assez épais pour poser un double vitrage », précise Diane Bouteiller. Le double vitrage est plus performant du point de vue thermique grâce aux propriétés de l’argon. Le verre feuilleté est très efficace au niveau phonique, préserve mieux l’esthétique ancienne, mais est moins bon au niveau thermique. Quelle que soit la solution retenue, les deux sont relativement couteuses car elles se réalisent souvent en atelier. Enfin, dans le cas où il est techniquement et architecturalement possible d’intégrer une double fenêtre, cette solution est intéressante. Elle préserve en l’état la fenêtre ancienne tout en apportant une véritable isolation thermique par la mise en place d’une fenêtre supplémentaire à simple ou double vitrage. « Cette alternative offre la meilleure performance thermique et phonique surtout si du verre feuilleté ou double est installé », relève Diane Bouteiller.

Monter en compétences

Quelles que soient les solutions retenues (isolation par l’intérieur ou extérieur, isolation des combles ou des planchers, changement de fenêtres, etc.), « réhabiliter du patrimoine ancien nécessite une montée en compétences et une amélioration de la qualité des travaux », estime Andrés Litvak, coordinateur du Centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (Creba) au Cerema. La mise en oeuvre de nouveaux labels, plus adaptés à ces constructions, peut participer à cette amélioration. Effinergie vient notamment d’en créer un en 2020. Baptisé Effinergie Patrimoine, cette expérimentation est toujours en cours. Quarante projets seront labellisés après un passage devant une commission composée d’experts en architecture, en patrimoine et en énergie. C’est d’ailleurs une tendance visible : s’il reste encore des dissensions au sein de ces corps de métiers, ils collaborent de plus ou plus pour participer à la décarbonation du secteur du bâtiment, qui représente 26 % des émissions de CO2 en France.

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