La mise en oeuvre du nouveau DPE suscite des retours mitigés

Les premiers mois de vie du nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) n’ont pas atténué les réserves des syndicats professionnels de l’immobilier et du diagnostic. Ces derniers ne remettent pas en cause l’objectif d’un parc au niveau BBC en 2050, mais jugent que la réforme manque de financements et que son calendrier est trop contraignant.
L’arsenal règlementaire déployé en France en vue d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 dans le logement s’est doté d’un nouveau levier. Après l’entrée en vigueur de nouvelles règles dans la construction neuve (réglementation environnementale 2020), la réforme du diagnostic de performance énergétique (DPE) pousse le parc locatif à rénover ses passoires thermiques. Cette réforme, issue de la loi Elan de novembre 2018 et de la loi Climat et Résilience d’avril 2021, vise à rendre le diagnostic des logements plus fiable et plus ambitieux. En ligne de mire, l’objectif de faire passer le parc hexagonal au niveau de performance BBC-rénovation (bâtiment basse consommation) au cours des trente prochaines années, soit les étiquettes A ou B du DPE.
Le DPE est né en 1er novembre 2006 de l’application de la Directive européenne pour la performance énergétique des bâtiments votée en application du protocole de Kyoto. Sa nouvelle mouture est désormais fondée sur une méthode unique : la méthode de calcul de la consommation conventionnelle des logements dite « méthode 3CL ». Cette nouvelle grille ne prend plus en compte la seule consommation énergétique du logement, mais son isolation, ses surfaces vitrées, ses matériaux, ses modes de chauffage, etc. Elle s’intéresse également à l’éclairage ainsi qu’à la ventilation et dispose d’un indicateur portant sur le confort d’été. Résultat, il ne devrait plus y avoir d’étiquettes différentes pour des logements similaires. « Nous avions auparavant des DPE vierges ou encore des DPE réalisés à partir de factures énergétiques », se remémore Maxime Lenglet, directeur général d’Oktave, le service de rénovation performante de l’habitat de la région Grand Est.
Diagnostic opposable
Autre évolution notable, la réforme se traduit par la prise en compte des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour établir les seuils de classe énergétique (A à G). Auparavant, seul le paramètre d’énergie primaire était considéré, si bien qu’un logement chauffé au fioul ou au gaz pouvait bénéficier d’un meilleur classement qu’un logement moins consommateur d’énergie finale, mais chauffé à l’électricité. D’une durée de validité de dix ans, ce nouveau DPE est désormais opposable au même titre que les autres diagnostics immobiliers. Autrement dit, il est possible de saisir la justice s’il comporte des erreurs.
Enfin, et c’est sans doute le volet le plus important de cette réforme, le Gouvernement y a adossé un calendrier visant à bannir les logements indécents du parc français. Selon ses estimations, les passoires thermiques (les biens classés F et G) représentent un logement sur six, soit 4,8 millions de biens. « Davantage que la refonte technique du diagnostic, ce qui fait bouger les lignes dans cette réforme du DPE, c’est l’interdiction à terme de la location des habitations classées G, F, mais aussi E », argumente Sébastien Delpont, directeur du programme EnergieSprong France qui vise à démocratiser les rénovations à zéro énergie. À partir du 25 août 2022, toute augmentation de loyer pour les habitations notées F et G sera impossible : pas d’application de l’indexation annuelle, ni de hausse à la relocation.
À partir du 1er janvier 2023, les logements les plus mal notés au sein de la classe G, ceux dont la consommation énergétique excède 450 kWh/m²/an, seront interdits à la location. Ils seraient environ 90 000 sur le territoire national, soit environ 4 % des passoires thermiques. En 2025, ce sera au tour des autres logements classés G (plus de 420 kWh/m²/an). En 2028, ils seront suivis par les biens notés F, puis en 2034, par les logements E. Cette vaste réforme du DPE n’est pas encore complète, l’ensemble des textes n’ayant pas encore été publiés. Les professionnels de l’immobilier attendent notamment les détails de la réforme du DPE « collectif » concernant les immeubles en copropriété (lire en encadré).
Bug au démarrage
Quelques mois après son lancement, comment se passe la mise en œuvre du DPE nouvelle mouture ? Tout d’abord, son entrée en vigueur a connu un bug au démarrage. Initialement prévue au 1er juillet 2021, elle a dû être décalée de quatre mois en raison d’un problème de paramétrage du nouveau logiciel. Des écarts très importants avaient été constatés par comparaison à l’ancienne version, pénalisant les logements construits avant 1975. Plus de 200 000 diagnostics ont dû être refaits. De même, l’obligation de réaliser un audit énergétique lors de la vente d’une maison ou d’un immeuble en monopropriété classé F ou G, a été reportée du 1er janvier 2022 au 1er septembre 2022.
« Sur le fond, les diagnostiqueurs se réjouissent de l’avènement de ce nouveau DPE unifié, opposable, mais aussi contraignant dans la mesure où il oblige les propriétaires à engager des travaux en vue d’améliorer les performances thermiques de leurs biens. Sur la forme, son lancement s’est avéré extrêmement chaotique. Outre les couacs au démarrage, la phase d’autotests demandée aux éditeurs des logiciels de DPE a duré 9 mois, la validation définitive n’ayant été faite que début mai. Or les professionnels ont commencé à produire des diagnostics dès septembre 2021 », souligne Jean-Christophe Protais, le président du Syndicat interprofessionnel du diagnostic immobilier (Sidiane), une organisation fondée suite aux difficultés de lancement du DPE.
Un DPE collectif en voie de finalisation
Les copropriétés représentent plus des deux-tiers du parc locatif français selon la Fnaim, Plurience et Unis. Dans ce contexte, les professionnels de l’immobilier sont attentifs au cadre en cours d’élaboration qui permettra la mise en oeuvre du nouveau DPE « collectif ». Jusqu’à présent ce diagnostic était obligatoire pour tout immeuble de moins de 50 lots à chauffage, climatisation ou eau chaude sanitaire collectif. D’une durée de validité de dix ans, ce diagnostic pouvait remplacer les DPE individuels. Les immeubles d’habitation de plus de 50 lots en chauffage collectif étaient soumis pour leur part à la réalisation d’audits énergétiques. Le nouveau DPE collectif sera lancé selon un calendrier fixé dans la loi Climat et Résilience : il sera obligatoire à partir de 2024 pour les copropriétés de plus de 200 lots, 2025 pour les copropriétés de plus de 150 lots, 2026 pour les copropriétés de moins de 50 lots. Le nouveau diagnostic pourra être utilisé pour faciliter la génération des DPE individuels de chaque logement, mais ne pourra plus remplacer un DPE individuel. Comme pour le DPE individuel, il s’appuiera sur la nouvelle méthode de calcul 3CL.
Former les diagnostiqueurs
Sur le terrain, « 60 Millions de consommateurs » a constaté un manque de fiabilité du nouveau diagnostic. Pour son test réalisé en février et mars 2022, le magazine s’est associé aux propriétaires de quatre maisons, à Toulouse, Corbeil- Essonnes, en banlieue de Bordeaux et dans un village de Haute-Garonne. Chaque propriétaire a sollicité cinq diagnostiqueurs différents et le magazine a eu recours également à un expert indépendant. Or, les DPE réalisés comportent « des erreurs en pagaille », souligne Fanny Guibert, cheffe de rubrique au mensuel, avec parfois des écarts de deux catégories de l’un à l’autre. Date de construction erronée, nombre de portes ou de fenêtres mal évalué, pompe à chaleur oubliée, etc. « Sur la partie données, les diagnostiqueurs ne font pas un assez bon boulot », a-t-elle jugé. « On a vérifié les dates de formation des diagnostiqueurs qui ont réalisé les DPE, et souvent elles étaient antérieures à la réforme » a noté Virginie Potiron, juriste à 60 Millions de consommateurs.
Ce constat a conduit le magazine à préconiser une meilleure formation des diagnostiqueurs. De leur côté, les professionnels de l’immobilier saluent l’ambition, mais s’inquiètent du calendrier de la réforme. La mise à niveau du parc français aux standards énergétiques européens figure parmi les priorités de l’Agenda logement 2022 défini avant les élections présidentielles par les syndicats professionnels de l’immobilier Fnaim, Plurience et Unis (Union des syndicats de l’immobilier). « L’urgence écologique de la rénovation du parc de logements est indéniable : la crise actuelle de l’énergie ne le rappelle que trop, comme le bilan environnemental du secteur du bâtiment qui représente 43 % des consommations énergétiques annuelles françaises et génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre français. Toutefois, la stratégie de rénovation française doit être repensée ».
Aides sous-dimensionnées
Géraud Delvolvé, délégué général d’Unis estime qu’il faut tenir le cap. « Atteindre l’objectif 2050 fixé par la Cop21 et la loi Climat en plusieurs étapes apparait une stratégie efficiente en matière de rénovation thermique des logements. À condition d’intégrer une nouvelle réalité qui s’impose au secteur : les conséquences d’une guerre en Ukraine, d’une crise énergétique, de l’inflation, et d’un secteur du bâtiment confronté à des difficultés de de recrutement et d’approvisionnement ». Les acteurs du marché estiment par ailleurs que les aides financières à la rénovation thermique rassemblées dans le dispositif national MaPrimeRénov’ demeurent insuffisantes. Emmanuel Macron a expliqué lors de la campagne des Présidentielles avoir réussi en 2021 à financer la rénovation de 650 000 logements et se fixer l’objectif de rénover au moins 700 000 logements par an durant le prochain quinquennat. Le Gouvernement a calculé son enveloppe d’aides en fonction d’une estimation de 4,8 millions de logements classés F et G.
Or selon les professionnels interrogés, le nombre de ces passoires énergétiques se situerait davantage dans une fourchette de 6 à 8 millions de logements. « Sans ajustement du calendrier de nombreux bailleurs vont se détourner de la location longue durée en choisissant de vendre leurs biens ou de privilégier la location de meublés touristiques », avertissent la Fnaim, Plurience et Unis.
Sur le plan technique, le directeur- général d’Oktave s’inquiète d’un possible effet de bord du nouveau DPE : « La nouvelle méthode de calcul du DPE privilégie les sources d’énergie électrique. Or installer une pompe à chaleur (PAC) n’est pas une solution performante en soi. Dans des régions semi-continentales où on enregistre de grandes amplitudes thermiques, mettre en place une PAC avant de traiter la performance thermique du bâti demeure une hérésie. Le DPE reste un document utile pour avoir une photographie des performances d’une habitation. Mais, il ne doit pas inciter à faire l’économie d’un audit énergétique détaillé, afin d’étudier les solutions de rénovation les plus pertinentes ».
Quid des propriétaires-occupants
La stratégie même de la réforme du DPE en vue d’atteindre la neutralité carbone dans le logement est questionnée par l’Unis. Géraud Delvolvé rappelle que selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la France compte 58% de propriétaires-occupants. « Les lois Climat et Elan n’ont aucune exigence spécifique en direction des propriétaires- occupants. Dans ce contexte, la réforme du DPE pourrait inciter les propriétaires-bailleurs de biens classés F ou G à vendre leurs logements. Ces derniers pourraient être rachetés par des propriétaires-occupants qui ne sont soumis à aucune obligation de rénovation. Cela réduirait l’offre locative ».
Or le projet de révision de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments prévoit de nouveaux objectifs à atteindre pour les bâtiments neufs comme pour les anciens, pour le parc immobilier locatif comme pour celui des propriétaires-occupants. Les bâtiments existants devaient atteindre a minima la classe E au 1er janvier 2033. Dans ce contexte, la Fnaim, Plurience et Unis proposent au Gouvernement de se caler sur ce calendrier. Les acteurs de la fliière alignent d’autres pistes. Sidiane propose un contrôle technique du bâti qui intègre les performances énergétiques, sur le modèle des contrôles techniques automobiles. « Le DPE reste lié à la transaction immobilière, car il doit être fourni au moment de la location ou de la mise en vente d’un bien immobilier. Dans ce contexte, un diagnostic technique du logement serait intéressant pour le propriétaire, car il rassemblerait toutes les informations concernant son logement. Il permettrait de plus à l’administration d’avoir des données plus fiables », expose Jean-Christophe Protais.
Massifier réduit la facture
La Fnaim, Plurience et Unis ont imaginé un dispositif destiné à inciter les copropriétaires à enclencher de vastes plans de rénovation de leurs immeubles : « il pourrait être prévu que l’adoption d’un Plan pluriannuel de travaux (PPT) qui permette des économies d’énergie, entraine la suspension de l’indécence énergétique d’un logement individuel situé dans l’immeuble pendant la durée du PPT (dix ans, soit le calendrier européen). Ainsi serait suspendue l’interdiction de location, tout en garantissant le lancement d’un plan de travaux ambitieux, aisément contrôlable via le DPE collectif de l’immeuble ».
Né aux Pays-Bas, le programme EnergieSprong veut démocratiser les rénovations énergétiques très performantes en accélérant le développement de solutions innovantes. « Nous n’atteindrons pas la neutralité carbone par des sauts de puces. Cela coutera moins cher d’aller vite. Jusqu’à présent, les bailleurs sociaux ont ciblé les immeubles les plus simples à rénover sur le plan technique. Restent les parcs les plus complexes. Les bailleurs sont pris de vertige devant le montant des travaux. Cette problématique doit être prise en compte, afin d’enclencher une logique d’industrialisation. Pour cela, il faut agréger une demande. Des entreprises du bâtiment ont des solutions à proposer, mais celles-ci dépassent pour l’instant les prix du marché », pointe Sébastien Delpont. Dans cet esprit, l’Union sociale pour l’Habitat des Pays de la Loire coordonne depuis un an une démarche EnergieSprong regroupant 12 organismes HLM répartis sur quatre départements. Celle-ci visant à massifier, industrialiser la rénovation de 2 000 logements. Le DPE n’est pas le seul carburant de la rénovation thermique. La hausse des coûts des énergies incite largement les propriétaires publics comme privés à améliorer les performances de leurs bâtiments.
Copropriétés accompagnées dans le Grand Est
Oktave, le service de rénovation performante de l’habitat du Grand Est, anticipe la mise en œuvre du DPE « collectif ». Cet organisme créé par la région Grand Est et l’Ademe a initié en 2021 le programme « Copro Grand Est ». Ce projet vise à déployer des conseillers en éco rénovation auprès des syndics de copropriété. Il associe la région, des syndicats professionnels de l’immobilier (Fnaim et Unis), la Banque européenne d’investissement et dix collectivités locales. « Ces conseillers ont vocation à jouer le rôle d’assistant à maitrise d’ouvrage auprès des copropriétaires, autrement dit à les accompagner dans la réalisation d audits énergétiques, la consultation des entreprises, les montages financiers, etc. Les aides n ont jamais été aussi important, mais elles demeurent insuffisantes pour massifier la rénovation. Oktave est en mesure de préfinancer les aides et d’aiguiller les copropriétés dans le financement de leur reste à charge grâce à ses partenaires », détaille Maxime Lenglet, le directeur général d’Oktave. Huit conseillers en éco rénovation ont été mis en place à Strasbourg, Colmar, Mulhouse, Haguenau, Metz, Épinal, Reims et Charleville Mézières.
Lancé il y a quatre ans, le programme Oktave a commencé par accompagner les rénovations de maisons individuelles (200 chantiers par an), avant d’élargir son spectre il y a un an aux logements en copropriété. Son ambition est d’atteindre 500 chantiers de maisons individuelles et 3 000 chantiers de logements en copropriété par an.