Malgré la crise, les investissements climat se maintiennent

I4CE publie son nouveau panorama des financements climat. Cette édition a la particularité de répertorier les investissements dans un contexte de crise sanitaire. Ils se sont maintenus grâce à l’action publique mais restent bien insuffisants par rapport aux objectifs nationaux. Il manque entre 13 et 15 milliards d’euros par an jusqu’en 2023, et environ le double jusqu’en 2028.
Malgré la crise liée à la pandémie de Covid-19, les investissements en faveur du climat se sont poursuivis en 2020. Les ménages, les entreprises et les pouvoirs publics ont investi 44,7 milliards d’euros en France, ce qui représente une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente. Ces chiffres sont issus de l’édition 2021 du panorama des financements climat que vient de publier l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) en collaboration avec le ministère de la Transition écologique, l’Ademe et la Fondation européenne pour le climat. Malgré la bonne dynamique portée par l’action des pouvoirs publics constatée par I4CE, ces sommes ne sont absolument pas suffisantes par rapport aux objectifs nationaux fixés dans le deuxième budget carbone de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Il faudrait de 13 à 15 Md€ d’investissements publics et privés supplémentaires chaque année jusqu’en 2023, puis doubler ce total jusqu’en 2028.
Aubaine pour la mobilité électrique
Si cette somme n’est pas suffisante, elle est aussi assez mal répartie. Si on analyse la hausse des investissements entre 2019 et 2020, elle profite surtout aux voitures électriques et hybrides rechargeables, dont l’intérêt écologique peut être mis en doute. Les investissements dans les voitures individuelles bas carbone ont triplé en 2020 pour atteindre 6,9 Md€. Cette tendance est soutenue par l’État, qui accorde davantage d’aides à l’achat. Depuis juin 2020, le plafond du bonus écologique est porté à 7 000 € au lieu de 6 000 € et le dispositif est étendu aux hybrides rechargeables. La prime à la conversion est également plus incitative, les ménages pouvant bénéficier jusqu’à 5 000 € supplémentaires pour l’achat de véhicules électriques ou hybrides. Pour autant, ces aides ne permettent pas d’atteindre l’objectif d’immatriculation fixé dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) : ces véhicules devraient représenter 14 % ventes en 2023. Pour atteindre cette part, il faudra investir 3,1 Md€ de plus par an par rapport à la moyenne 2019-2020. « Les ventes progressent déjà et elles devraient se renforcer car il y a de plus en plus de points de recharge disponibles et les batteries des véhicules sont de plus en plus performantes », explique Maxime Ledez, chargé de recherche chez I4CE.
Mais l’État devrait être plus regardant sur les performances des voitures achetées. En effet, le barème du bonus-malus prévu n’est pas compatible avec les objectifs de réduction d’émissions du parc neuf : elles ne devraient baisser que de 14 % entre 2020 et 2025. À l’inverse, les sommes dédiées au réseau ferroviaire et aux transports en commun, qui ont subi la crise sanitaire de plein fouet, n’augmentent pas. Les investissements dans les infrastructures ferroviaires ont baissé de 8 % en 2020. La diminution du trafic est en cause : au premier semestre 2021, la fréquentation des TGV était encore inférieure de 50 % par rapport à deux ans auparavant. Cela a privé SNCF Réseau de 1,1 Md€ de revenus en 2020 et a retardé des chantiers sur certaines lignes. Les transports en commun urbains ont subi les mêmes désagréments. Moins de passagers, moins de recettes, et des chantiers qui prennent du retard.
Pour relancer le secteur, il faudrait investir 1,8 Md€ de plus par an jusqu’en 2023. Cette somme devrait en partie être apportée par l’État dans le cadre de France Relance qui prévoit 1 Md€ de subventions pour les transports en commun. De plus, les pouvoirs publics ont lancé un quatrième appel à projets « transports collectifs en site propre et pôles d’échanges multimodaux » doté d’une enveloppe de 900 millions d’euros. Les investissements dans les aménagements et équipements cyclables ont quasiment doublé en 2020, atteignant 2 Md€. Toutefois, pour atteindre l’objectif de 9 % de part modale du vélo en 2024, la France devra investir 1,1 Md€ de plus par an.
La rénovation globale et les EnR à la peine
Les investissements pour la rénovation énergétique des logements ont légèrement baissé, passant de 14,9 à 14,7 Md€ entre 2019 et 2020. L’immense majorité de ces fonds ont servi à mener des chantiers de rénovation étape par étape. Selon une étude réalisée par l’Ademe, Dorémi et Enertech, ce type de travaux n’atteint pas les niveaux de consommation envisagés par la stratégie nationale. Il faudrait donc privilégier les rénovations globales. Mais les investissements sont totalement insuffisants en la matière : il faudrait les augmenter de 33,9 Md€ durant les prochaines années, ce qui parait totalement irréalisable. « Les rénovations globales ne devraient pas décoller à court terme car les aides publiques ne couvrent absolument pas le reste à charge de ces travaux, qui peuvent facilement représenter 50 000 € pour une maison individuelle », estime Maxime Ledez.
De plus, les ménages sont mal accompagnés et il n’existe pas assez d’artisans formés en la matière. Enfin, les tensions sur l’approvisionnement en matériaux et le manque de main d’oeuvre pourraient retarder les chantiers en cours et décourager les ménages de se lancer. Les investissements dans les capacités de production d’électricité renouvelable ont légèrement diminué en 2020, passant de 4,4 à 4,1 Md€. C’est surtout l’éolien terrestre qui a connu une baisse des investissements, contrairement à l’éolien en mer et au photovoltaïque qui ont profité d’une légère croissance. Néanmoins, les fonds destinés à financer les renouvelables restent insuffisants. Il faudrait investir 5,9 à 7,3 Md€ les deux prochaines années pour respecter les objectifs fixés par la PPE. Pour autant, injecter des fonds supplémentaires ne suffira pas.
Il devient de plus en plus difficile aux porteurs de projet de trouver des terrains pour implanter leurs parcs car de nouvelles exigences administratives limitent les parcelles disponibles, pour des questions environnementales et de sécurité. France énergie éolienne (FEE) estime que les couloirs de navigation militaires empêchent d’implanter des éoliennes sur près de 50 % du territoire. De plus, « les porteurs de projets de parcs éoliens font face à des oppositions locales avec des recours administratifs qui retardent les mises en service », note Maxime Ledez. Le biométhane et la chaleur renouvelable ont vu les investissements légèrement croitre pour atteindre 1,1 Md€ mais il serait nécessaire d’investir 0,6 à 0,8 Md€ de plus d’ici 2023 pour installer de nouvelles capacités d’injection de biométhane, des chaufferies biomasse ou géothermiques, et pour étendre les réseaux de chaleur. Si les objectifs de la PPE en matière d’injection de biométhane seront probablement atteints, l’essor des chaufferies bois et des réseaux de chaleur devrait être insuffisant pour augmenter de 64 % la chaleur renouvelable livrée par les réseaux d’ici 2023.
Les fossiles délaissés
Les investissements fossiles ont dégringolé de 32 % en 2020, passant de 66,3 à 45,3 Md€. Cette chute est la conséquence du durcissement de la réglementation européenne sur les voitures neuves. Les parts de marché des véhicules essence et diesel s’élèvent à 88 % en 2020 contre 94 % en 2019. Le secteur aérien a aussi un rôle majeur dans cette chute. Depuis le début de la crise, les gestionnaires d’aéroports et les compagnies aériennes ont été forcés de diminuer leurs investissements pour faire face à la chute du trafic et préserver leur trésorerie. Quant aux sommes allouées aux chaudières gaz et fioul, elles ne cessent de diminuer depuis dix ans. Ce phénomène devrait s’accélérer avec l’entrée en vigueur du décret pour l’interdiction d’équipements de chauffage très émetteurs de gaz à effet de serre prévue pour juillet 2022, et qui empêchera l’installation d’appareil au fioul. Au contraire, les investissements dans les hydrocarbures restent à peu près stables, notamment à cause du recours accru aux centrales thermiques au gaz. Bien qu’en forte chute, les fossiles bénéficient toujours de plus d’argent que les secteurs plus vertueux, même si l’écart se resserre.