Le photovoltaïque veut mettre de l’agri dans son nom

15 03 2021
Caroline Kim-Morange
Sun'Agri

Agrivoltaïsme, le terme est à la mode. Ce serait l’un des moyens pour atteindre les objectifs photovoltaïques du pays. Dans le monde agricole, cette notion suscite espoirs et inquiétudes. Pour permettre l’essor de cette nouvelle niche, les différents acteurs tablent sur la réglementation.

Annoncée en 2018, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit pour le solaire photovoltaïque 35,6 à 44,5 gigawatts (GW) de puissance installée en 2028. Les énergéticiens ont fait leurs calculs. « Aujourd’hui, le parc installé a une puissance de 10 GW. Si 50 % de cette puissance est installée au sol et 50 % en toiture et que l’on vise l’objectif haut de la PPE, il faudrait donc installer 17 GW au sol. Cela représente 18 000 à 27 000 hectares à couvrir de panneaux solaires. Soit 3 à 4 000 ha par an. Par rapport aux 55 000 ha de sols artificialisés chaque année et aux 85 000 ha de terres gagnées par la forêt par an, l’enjeu du photovoltaïque est très faible », assurait Jean- Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (Ser) lors d’un webinaire organisé le 15 décembre 2020 par le Ser sur “l’énergie photovoltaïque dans le monde agricole”.
Pourquoi partir sur 50% de surfaces photovoltaïques (PV) à installer au sol ? « Parce que les centrales au sol, par économie d’échelle, produisent l’électricité la plus économique, et que par nature les centrales en toiture sont petites. Il n’existe pas de toitures permettant d’installer des projets de 15 ou 20 MW. Même chose pour les parkings. Bien sûr, nous faisons des petits projets mais il faudrait des millions de petits projets pour atteindre les objectifs de la PPE », estime Xavier Daval, président de SER-Soler, la branche solaire du SER.

Surcoûts réglementaires

D’après lui, l’un des enjeux principaux du développement du solaire est désormais de faire baisser son coût, et surtout les nombreux surcoûts liés aux contraintes imposées par la réglementation. Le travail en hauteur sur les toitures impose par exemple l’utilisation d’équipements de protection spécifiques. Quant aux terrains dégradés, qui peuvent être plus étendus que les toitures ou les parkings, « ils sont souvent petits, avec des sols non stabilisés ou pollués et encastrés dans des zones construites. Tout ce qui limite le solaire aux terrains les plus dégradés de France renchérit beaucoup son coût. Or il faut aujourd’hui aller vite et démontrer que le solaire peut-être intéressant d’un point de vue économique. Il faut donc trouver le moyen de permettre son déploiement sur un peu plus que les 9 % de terres artificialisées du territoire français », poursuit Xavier Daval. D’autant qu’aujourd’hui, « les acteurs se battent pour sécuriser le foncier, ce qui fait augmenter les loyers », note Arthur Omont, vice-président chez la société de conseil Finergreen.

Agrivoltaïsme : un modèle économique à créer
Les installations photovoltaïques en milieu agricole sont encore une nouveauté, et le modèle est à inventer. L’agriculteur peut investir pour financer tout ou partie de l’installation, et touchera ainsi les bénéfices de la revente de l’électricité à EDF. L’énergéticien peut louer les terres pour y installer des société de conseil en transactions panneaux : il paye alors un loyer au propriétaire, qui en reverse une partie à l’exploitant des terres si financières spécialisée dans le celles-ci sont en fermage. Enfin, dans le cas de l’agrivoltaïsme dynamique, l’installation qui porte les panneaux peut être considérée comme un équipement à vocation agricole. Dès lors, l’énergéticien finance tout ou partie de l’installation et se rémunère sur la vente d’électricité ; l’agriculteur, de son côté, bénéficie gratuitement de l’équipement qui protège ses cultures. Il ne touche pas de loyer. Il peut toucher une partie des bénéfices de la revente d’électricité s’il a participé à l’investissement initial.

Inquiétudes des agriculteurs

L’argumentation des promoteurs du solaire se heurte à l’inquiétude de nombre d’agriculteurs. « 27 000 ha [comme évoqués par Jean-Louis Bal, ndlr], ce sont 225 exploitations agricoles, donc 225 jeunes qui demain ne pourront pas s’installer si l’on ne fixe pas de cadre précis », s’inquiétait Maxime Buizard - Blondeau, président du syndicat Jeunes Agriculteurs du Loiret, pendant le webinaire du Ser. Les enjeux sont multiples : maintien d’une production alimentaire, transmission et pérennisation des exploitations, montage juridique des projets, accompagnement des agriculteurs qui adaptent leur production, etc. « Il faudra en outre partager la valeur entre le propriétaire terrien, le fermier, l’énergéticien. Peut-être aussi permettre l’appropriation financière par les acteurs du territoire », rappelle François Beaupère, vice-président de l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture (Apca).

Tensions sur le foncier

Lutter contre la spéculation foncière est un autre enjeu, alors que les loyers offerts par certains énergéticiens pour installer des panneaux solaires sur une terre atteignent parfois dix à vingt fois le montant des fermages payés par les fermiers. « Ces prix perturbent le débat », regrette ce dernier. Face à la multiplication des centrales au sol sur terrains agricoles ou forestiers, les chambres d’agriculture refusent tout projet remettant en cause la vocation agricole d’une terre. Dans un communiqué daté de septembre 2020, l’Apca indiquait que « l’implantation de panneaux solaires sur des sols agricoles, naturels ou forestiers doit par principe être interdite, en évitant l’implantation de centrales solaires lorsque les surfaces concernées ont conservé une vocation agricole et sont susceptibles d’être rétrocédées pour un usage agricole ». Le communiqué précisant toutefois porter « une attention particulière aux retours d’expériences sur les projets d’agrivoltaïsme ».

Production agricole principale

Au sein du vaste champ des possibles d’installations photovoltaïques en territoire agricole, l’agrivoltaïsme est porteur de beaucoup d’espoirs. Le terme lui-même n’est pourtant pas encore vraiment défini. Début 2020, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a tenté une caractérisation lors de son appel d’offres “Innovation 3” : « Au sens de cet appel d’offres, les installations agrivoltaïques sont des installations permettant de coupler une production photovoltaïque secondaire à une production agricole principale en permettant une synergie de fonctionnement démontrable. Les innovations concerneront des systèmes photovoltaïques équipés d’outils et de services de pilotage permettant d’optimiser les productions agricole et électrique.» Concrètement, « nous avons dû détailler les besoins de l’agriculteur et expliquer en quoi notre solution répondait à ses problématiques », raconte Antoine Nogier, président de Sun’Agri, la société qui a remporté 22 des 31 projets retenus par la CRE au terme de l’appel d’offres. Le solaire en toiture en était exclu, de même que les ombrières fixes. Ces dernières permettent parfois le maintien d’une forme d’agriculture, comme l’élevage, mais elles ne ressortent pas de “l’agrivoltaïsme” tel qu’il était compris par la Commission.

Panneaux asservis à la plante

Sun'Agri

« Des études agronomiques ont été réalisées pour voir si le rendement de la plante pouvait être amélioré avec des ombrières fixes. La réponse est que ce n’est généralement pas possible », soutient Antoine Nogier. Or, selon lui, l’agrivoltaïsme n’est pas un partage d’espace où chacun, agriculteur comme énergéticien, fait un compromis en acceptant une diminution de sa production propre. Au contraire, « nous voyons cela comme un nouvel outil de protection des cultures destiné à améliorer la production agricole. Il n’y aurait pas besoin d’agrivoltaïsme si le climat ne changeait pas ». Concrètement, les persiennes solaires sont pilotées à partir d’algorithmes conçus sur-mesure selon les besoins de la plante. Asservies à des capteurs de température, de lumière et d’humidité, « elles s’inclinent, en temps réel, en fonction des nécessités d’ensoleillement ou d’ombrage des cultures », poursuit Antoine Nogier. En outre, les panneaux régulent l’humidité et réduisent les besoins en irrigation. L’installation est donc adaptée à chaque parcelle, entre quatre et cinq ha en moyenne. Cela multiplie les projets mais n’empêche pas de voir grand. Un objectif de 300 installations d’ici 2025, soit 1500 ha équipés au total et une puissance installée d’environ 1 GW, a été annoncé par le président de Sun’Agri. Ombrea, autre acteur français de l’agrivoltaïsme, donne aussi la priorité aux besoins de la plante. Créée en 2016, la start-up a d’abord imaginé protéger les cultures contre les excès d’ensoleillement grâce à ses panneaux. Ces derniers sont, là encore, asservis à des capteurs qui analysent les conditions climatiques et déclenchent leur ouverture ou fermeture. Les panneaux PV n’y ont été ajoutés qu’a posteriori, en partenariat avec des acteurs comme RES et Total Quadran, et ne sont que des options. Ces solutions font partie des techniques dites “dynamiques” d’agrivoltaïsme, puisqu’elles s’adaptent en permanence aux besoins de la plante. Ces arguments parlent aux agriculteurs. « Dans les vignes, par exemple, on vendange trois semaines plus tôt qu’il y a trente ans pour éviter que les raisins ne soient brûlés. En ombrageant, on leur permet de croître plus lentement », explique l’agriculteur André Bernard, vice- président de l’Apca et président de la chambre d’agriculture sud-Paca.

Étude de l’Ademe

Reste que la définition de l’agrivoltaïsme est encore en train d’être construite et ne se limitera peut-être pas à ces solutions “dynamiques” asservies aux besoins de l’agriculteur. Pour participer à la définition de ces nouvelles pratiques, l’Ademe a entamé en 2019 un panorama des liens qui existent entre agriculture et photovoltaïque. Dix “systèmes à approfondir” ont ainsi été identifiés dans le cadre de cette étude, qui doit être achevée mi-2021. Chacun met en regard un mode de production d’électricité solaire avec un ou plusieurs types de production agricole. Les ombrières dynamiques, les centrales au sol ou ombrières fixes avec pâturage sont incluses, ainsi que les serres et du PV sur toiture. La définition des systèmes dits agrivoltaïques pourrait donc être relativement vaste. Est-ce souhaitable ? Les avis divergent. Le président des Jeunes Agriculteurs du Loiret Maxime Buizard, fustige les « projets qui ne sont que des faire-valoir, avec une centrale photovoltaïque et quelques moutons ou une ruche pour dire que l’on maintient une activité agricole sur le terrain ». D’autres agriculteurs se montrent moins intransigeants. Jean-Philippe Rives, président de la Coordination rurale de l’Aude, estime que « quand une exploitation est petite, que la terre est difficile, le photovoltaïque peut être un moyen pour l’agriculteur de se maintenir ». Cela pourrait aussi être un moyen de revaloriser les friches agricoles. Sur ces terres qui ont cessé d’être exploitées, un agriculteur pourrait théoriquement réinstaller une production en s’appuyant sur les équipements apportés par les énergéticiens. Il n’existe toutefois pas de définition réglementaire ni d’inventaire des friches agricoles, à quelques rares exceptions près. « Sur ces terres, il faudra aussi se demander si un boisement intelligent ne serait pas meilleur qu’une installation photovoltaïque », note François Beaupère.

Sun'Agri

D’autres solutions peuvent être envisagées. Vice-président de l’Apca, André Bernard vante les mérites des serres photovoltaïques. Sur ses terres à Uchaux, dans le Vaucluse, ses fils ont installé 2,5 ha de serres maraîchères photovoltaïques, dotées d’un système de gestion de l’irrigation. « C’est mieux qu’une production en extérieur. Il y a une grosse économie d’eau et une protection contre les aléas climatiques. Notre mâche était impeccable même après un fort mistral, nos asperges magnifiques malgré des pluies importantes », témoigne l’agriculteur.

Souplesse chez les grands

Next2Sun GmbH

Du côté des énergéticiens, les espoirs aussi sont grands. « L’agrivoltaïsme est pour beaucoup un moyen de trouver de nouvelles terres dans le sud de la France, là où il y a les meilleurs ensoleillements », estime Arthur Omont, vice-président de Finergreen, société de conseil en transactions financières spécialisée dans le secteur des énergies renouvelables. La stratégie est donc souvent à la souplesse. « Nous n’avons pas d’offre standardisée en matière d’agrivoltaïsme car il n’y a pour l’instant pas de cadre réglementaire », explique Adrien Alexandre, responsable agrivoltaïsme et nouveaux marchés chez Total Quadran. Cette entreprise vise 500 MW à l’horizon 2025 en France, avec ses partenaires Invivo (union de coopératives agricoles), Ombrea et Next2Sun, une société allemande qui a développé des panneaux bifaciaux verticaux. Elle les implante suivant une orientation est-ouest. L’avantage: produire de l’électricité solaire essentiellement le matin et le soir, au moment où les autres panneaux sont quasiment à l’arrêt. « Nous voulons lancer cette année en France plusieurs projets pilotes, d’une puissance de quelques centaines de kW chacun, surtout sur des terrains destinés à des cultures céréalières, maraîchères, arboricoles et aux plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) », dit Adrien Alexandre. Même adaptabilité chez EDF Renouvelable, qui déclare travailler sur plusieurs pistes, avec des panneaux fixe ou dynamique. Le géant français se positionne avec toute la puissance de son nom. Devançant ses concurrents et même le Ser, EDF Renouvelable a signé en janvier 2021 une charte des bonnes pratiques avec l’incontournable Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et l’Apca. La charte vise à « développer et mieux encadrer le développement des projets photovoltaïques au sol impliquant des terres agricoles ». Dans le communiqué de presse qui accompagnait cette signature, EDF réitérait son ambition de devenir « l’un des leaders du solaire en France avec un objectif de 30 % de part de marché d’ici 2035 », sans préciser ses plans de développement dans l’agriculture. Il annonçait toutefois la naissance de ses premiers projets photovoltaïques dans le monde agricole pour 2022.

Réglementer

La signature de cette charte et l’étude de l’Ademe sont le signe des efforts faits pour permettre la croissance du secteur. « Aujourd’hui, il existe des tensions autour de la réglementation qui sera mise en place », selon Arthur Omont. En effet, aucun acteur ne veut être exclu de ce marché. Pour l’analyste, « l’agrivoltaïsme insuffle une nouvelle dynamique sur le marché photovoltaïque français ». Xavier Daval assure quant à lui que l’agrivoltaïsme a besoin d’une nomenclature officielle pour caractériser les bénéfices agricoles avérés et permettre une concurrence la plus loyale possible entre des solutions comparables. « Installer une ruche sous une centrale au sol n’est pas la même chose que piloter un ensemble de panneaux par des automates asservis à des capteurs. Il faut donc créer un ensemble de catégories regroupant des technologies à coûts comparables. La France doit devenir le champion de ce type d’applications, car c’est un secteur clé pour lutter contre le réchauffement climatique. Ce sont des technologies dont le monde a besoin ».

 

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