Les premiers contrats CPB arrivent malgré quelques incertitudes

11 02 2025
Caroline Kim-Morange
Kletr/Adobe Stock

Mi-2024 ont été publiés les textes donnant naissance au mécanisme de certificats de production de biogaz. La filière est en pleine ébullition : les producteurs et les fournisseurs négocient les premiers contrats, les acteurs convertissent certaines installations de cogénération ou en crééent de nouvelles. Le point sur les espoirs, les craintes et les propositions d’amélioration du dispositif.

Les certificats de production de biogaz (CPB) sont apparus dans la loi Climat et Résilience d’août 2021 avec pour objectif de financer la filière biométhane et plus particulièrement l’injection. Ce dispositif s’ajoute à l’existant : l’obligation d’achat (OA) et les accords de gré à gré appelés Biogas Purchase Agreement (BPA). Le mécanisme des CPB est extrabudgétaire. Il n’est pas supporté par l’État mais par les fournisseurs de gaz, et par répercussion les consommateurs . Après de longs mois d’attente et de concertation, un arrêté et un décret lui donnant naissance sont parus au Journal officiel le 7 juillet 2024. « Enfin », se réjouissent les acteurs du biométhane. « C’est un pas très important pour la filière, qui permettra le développement de nouveaux projets », envisage Frédéric Terrisse, président de la commission gaz renouvelables du Syndicat des énergies renouvelables (Ser).

50 à 60 TWh en 2030

Fin 2024, la capacité annuelle d’injection de biométhane raccordée au réseau en France était de près de 13,9 TWh. Cet indicateur est appelé à croître rapidement. La filière affiche une ambition de 60 TWh d’ici 2030 et le projet de la troisième programmation pluriannuelle de l’électricité (PPE) tablerait sur 50 TWh. Cette belle progression doit être rendue possible par le mécanisme des CPB, qui oblige les fournisseurs à s’assurer qu’une part grandissante du gaz qu’ils vendent est issu de la biométhanisation. Pour le démontrer à l’État, ils devront lui restituer des quantités croissantes de certificats achetés auprès des producteurs de biogaz (voir encadré ci-contre) dès 2026 (1 MWh = 1 CPB).

Ce dispositif devrait notamment favoriser l’émergence d’importants projets de méthanisation. En effet, depuis 2021, l’OA ne tient plus pour les sites de plus de 25 GWh/an (environ un quart du parc). Les installations plus petites pourront aussi aller vers les CPB, tout en continuant à avoir accès à l’OA. « Les CPB signifient toutefois négocier un contrat, mettre en place une gestion probablement plus complexe qu’avec le tarif d’achat », rappelle Frédéric Terrisse.

Le dispositif devrait donc plutôt concerner des installations de taille moyenne et grande. Selon un communiqué de presse du ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique du 16 janvier 2025, le Gouvernement renonce d’ailleurs à lancer des appels d’offres pour la production de biométhane injecté par des sites de plus de 25 GWh/an : « les nouvelles grandes installations seront désormais soutenues par la montée en puissance progressive du dispositif de CPB, introduit en juillet 2024 ». Cela semble d’ores et déjà fonctionner.

Un exemple avec Engie : Benjamin Haas, le directeur régulation France, indique une volonté de « couvrir en interne une partie significative des besoins du groupe en CPB, grâce à la mise en route d’installations ayant une production de 40, 50 ou 60 GWh annuels ». Pour lui, « il s’agit d’une méthanisation à l’échelle territoriale. Les CPB sont une réponse adéquate à l’accélération de ce type de production ». En revanche, selon ses dires, les sites importants (300 GWh ou plus), tel qu’ils existent ailleurs dans le monde, ne seraient pas adaptés au contexte français.

 

Données réglementaires
- Obligations des fournisseurs : dès l’année prochaine, les fournisseurs devront restituer des CPB à l’État pour chaque mégawattheure vendu à des consommateurs tertiaires ou résidentiels (voir tableau). Les consommateurs industriels sont exclus du système. Au démarrage du dispositif, le contrôle se fera non pas chaque année, mais sur le cumul de la période 2026- 2028. Au 1er juillet 2029, les fournisseurs devront donc restituer les CPB correspondant à leurs obligations sur ces trois années.
- Production de CPB : les installations de production de moins de quinze ans génèrent 1 CPB/MWh. En revanche, les installations de production de plus de quinze ans génèrent 0,8 CPB/MWh PCS, de même que les installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND), quel que soit leur âge.

Conversion de la cogénération

Comme les CPB sont dans les tuyaux depuis 2021, la filière s’y était préparée. « Cela fait cinq ans que l’on y travaille. Des producteurs ont leurs premiers projets à proposer aux fournisseurs », indique Frédéric Terrisse. Guillaume Labarrière, directeur général d’Agripower France, ressent néanmoins « un très gros déséquilibre entre l’offre et la demande », les volumes de CPB risquant de ne pas être suffisants au départ. Avant la mise en route des nouvelles capacités de production de biométhane et tant que les volumes de CPB sont faibles, des sites de cogénération reconvertis pour l’injection pourront fournir une part des besoins du dispositif. Ils sont en effet inclus dedans.

« Des installations en fin de contrat d’OA vont pouvoir continuer d’exister, ce qui ne serait pas possible aux tarifs du marché. De plus, des sites en cogénération, qui aujourd’hui ont du mal à joindre les deux bouts, vont pouvoir être convertis et injecter du biogaz. Le tarif d’achat des CPB des installations de plus de quinze ans, qui auront pu bénéficier des OA, sera inférieur à celui des neuves, mais elles pourront entrer dans le mécanisme », souligne Luc Budin, délégué général du Club Biogaz de l’Association technique énergie environnement (ATEE). 

« La reconversion de la cogénération biogaz vers l’injection va contribuer au démarrage de la production de CPB. C’était prévu dès le départ dans la conception du dispositif », note Benjamin Haas. C’est le cas par exemple de Méthélec en Auvergne, où Agripower a investi fin 2024. Objectif : transformer cette installation de cogénération en site d’injection de biométhane et vendre des CPB. « Nous avons signé début décembre 2024 avec Save Energies le premier contrat de CPB de France », revendique Guillaume Labarrière. Il annonce aussi des négociations avec plus d’une vingtaine de propriétaires qui souhaitent céder leurs unités de cogénération.

« Notre stratégie est de racheter des sites de méthanisation, notamment en cogénération éligibles à la conversion en injection de biométhane, afin de créer une plateforme de référence d’actifs de production de biométhane et de valorisation des coproduits », poursuit-il.

Premiers contrats

Les premiers accords entre producteurs et fournisseurs concernant les CPB sont donc en train d’être conçus et signés. « Il y a une large marge laissée à la négociation dans la rédaction des contrats », explique Stéphanie Gandet, avocate associée du cabinet Lexion Avocats, spécialisée en droit de l’environnement.

L’un des points de négociation relève de leur durée. « Elle devra permettre aux projets de biométhane de se financer », avance Frédéric Terrisse. D’après Luc Budin, pour les nouveaux équipements, « la durée moyenne des contrats d’obligation d’achat est de quinze ans ».

Pour les unités de cogénération reconverties, elle pourra être plutôt courte. En effet, l’investissement pour transformer les installations est moins lourd. Il s’élève par exemple à cinq millions d’euros pour Méthélec, y compris avec des travaux d’amélioration. Le site sera donc rentabilisé plus rapidement qu’une nouvelle installation.

Pour le biométhane injecté par cette unité, Agripower a signé avec Save Energies un contrat de six ans. Lancé en 2015, le site aura quinze ans à la fin de ce contrat. Il entrera alors dans de nouvelles modalités de rémunération des CPB. Concrètement, les accords pourraient courir entre un et vingt ans.

Producteurs et fournisseurs ont intérêt à signer un contrat long : les premiers pour avoir de la visibilité sur la vente du biométhane et la rentabilité de leurs installations, les seconds pour s’assurer le respect de leurs obligations réglementaires. « La durée est l’une des clauses cruciales », souligne Stéphanie Gandet.

Valeur du CPB

Une autre donnée est essentielle : la valeur accordée au certificat dans le contrat. La pénalité fixée par l’État pour chaque CPB non restitué étant de 100 € pour la période 2026-2028, le prix ne montera pas au-dessus. « Le tarif des CPB sera régulé par le marché. Est-ce qu’il sera à 80, 90 € ou un peu plus ? » s’interroge Frédéric Terrisse. 

Fait intéressant, toute la production du site fera l’objet d’une commercialisation de CPB (jusqu’aux quinze ans d’ancienneté) à partir de la mise en route de l’injection prévue en mars 2025. « L’obligé peut justifier de la collecte de CPB dès aujourd’hui : c’est reportable sur 2026 ou après », rappelle Guillaume Labarrière, puisque les certificats auront une durée de validité de cinq ans à compter de leur délivrance. Mais au-delà du tarif initial, l’un des points importants des futurs contrats est « l’adaptabilité liée aux variations du marché », selon Stéphanie Gandet.

Comme les prix de l’énergie sont parfois volatils, les parties voudront prévoir des des possibilités de modulation. Des clauses variées peuvent être introduites pour cela : « une indexation du prix sur un indicateur précis, une révision selon des formules de calcul inscrites dans le contrat, une augmentation automatique à telle date, ou encore une clause de revoyure, c’est-à-dire une échéance signifiée dans le texte afin de renégocier le tarif, détaille Stéphanie Gandet. C’est ici que va se trouver le point d’équilibre des contrats : il ne faut pas figer de manière trop immuable les engagements respectifs, tout en offrant de la visibilité et de la sécurité ».

Frédéric Terrisse souhaiterait lui que le montant de la pénalité puisse être adapté. « Nous voulions qu’il soit indexé, par exemple sur l’inflation, sans quoi il risque de s’éroder en monnaie constante », déclare-t-il.

Marché secondaire

Comment en effet négocier un contrat de long terme incluant une clause de variation du prix si le plafond défi ni par la réglementation est rigide ? D’autant plus que les textes offrent pour l’instant peu de visibilité à long terme. Les obligations des fournisseurs ne portent pour l’instant que sur trois années. Et après ? « Nous sommes confiants sur le fait qu’elles ne diminueront pas après 2028 », se projette Frédéric Terrisse. Il se réjouit d’ailleurs du lancement dès à présent d’une concertation annoncée par le ministère de l’Économie, avec pour objectif de « définir une trajectoire ultérieure à 2028 ». Le Gouvernement indique aussi qu’il veillera à un « accès équitable pour les fournisseurs de gaz obligés ».

Certains craignent en effet que le système des CPB soit biaisé par l’existence d’importants fournisseurs, comme TotalEnergies, EDF ou Engie. Ces derniers sont des interlocuteurs a priori rassurants pour les producteurs puisqu’il y a peu de chances qu’ils fassent faillite avant la fin du contrat de CPB. À l’inverse, signer un contrat de long terme avec un petit fournisseur peut être perçu comme plus risqué.

Dans ce contexte, une préoccupation a surgi : s’ils parviennent difficilement à contractualiser, comment les petits fournisseurs pourront-ils remplir leurs obligations ? Face à ces craintes, « des acteurs comme Engie sont depuis des mois proactifs pour mettre en place un marché secondaire des CPB et un dispositif pour l’alimenter en liquidités. Engie a conscience de la nécessité d’assurer une équité de traitement pour les petits fournisseurs qui ne peuvent pas investir dans des installations de méthanisation. Nous voulons que le mécanisme des CPB fonctionne, et donc être exemplaire vis-à-vis de la filière gazière », souligne Benjamin Haas.

Ce marché secondaire est aujourd’hui en train de prendre forme, suite à un travail de concertation avec les autres acteurs, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC). Dans l’esprit de ces travaux, il pourrait être alimenté en CPB par les importants fournisseurs. Ces CPB seraient mis à disposition des plus petits sous forme d’enchères. « Pour des raisons d’équité, tous les importants fournisseurs d’énergie qui ont la capacité d’investir devraient alimenter ce marché secondaire », insiste Benjamin Haas.

Répercussions sur le consommateur

Troisième point abordé par le ministère des Finances dans son communiqué de mi-janvier : l’importance de la « soutenabilité du coût pour les consommateurs ». En effet, ce sont les fournisseurs qui doivent restituer des CPB à l’État, mais ils répercuteront ce coût sur les consommateurs. Le calcul de ce surcoût est encore incertain. Une chose est sûre : le maximum – pour les clients d’un fournisseur qui ne parviendrait à acquérir aucun des CPB qu’il doit restituer et payerait donc 100 € de pénalités pour chaque MWh qu’il vend – serait de 98,80 € pour l’année pour un consommateur de chauffage moyen (14 MWh/an).

Des CPB à 80 € ?

Pour le reste, cela dépendra de la valeur du CPB de chaque contrat. Dans une délibération rendue fi n décembre 2023 (donc avant la publication des volumes réels de CPB à restituer par les fournisseurs), la CRE estimait la valeur du CPB à 80 €. S’appuyant sur cette estimation, elle calculait que pour les 14 MWh/an évoqués plus haut, la facture annuelle se trouverait alourdie de 8 € TTC en 2026, 36 € en 2027 et 79 € TTC en 2028. Il y aura quoi qu’il arrive un surcoût lié à la transition énergétique.

« Le but est que le prix du MWh baisse au fur et à mesure que la filière croît. D’ailleurs, dans son récent rapport sur la filière biométhane, la CRE constate que si l’on exclut les crises comme celle liée à l’Ukraine, il y a une réduction tendancielle des coûts d’investissement dans de nouvelles installations de 6 % par an », note Frédéric Terrisse.

Il rappelle aussi que sur le plan fiscal, l’accise* est la même pour le biométhane et le gaz naturel. « Cela nous semble anormal au vu du caractère décarboné du biométhane. Si l’on supprimait cette taxe pour le biométhane produit notamment dans le cadre des CPB, le surcoût diminuerait », remarque-t-il.

Au-delà des producteurs et des fournisseurs, l’acceptabilité par les consommateurs est en tous cas l’un des autres enjeux du dispositif : in fine, ce sont eux qui le financent… 

Exclus des CPB
Certaines installations qui ne répondent plus aux critères d’éligibilité au système de soutien par obligation d’achat (comme le critère de la nouveauté des équipements de production du biogaz) pourraient se tourner vers les CPB. Toutefois, pour les installations de plus de quinze ans, un coefficient de modulation de la valeur du CPB est appliqué. Chaque megawattheure ne vaut non pas 1 CPB, mais 0,8. « Pour certains sites, financièrement cela ne passe pas. Il devient plus intéressant de tout démonter, de reconstruire et de repartir avec un contrat d’obligation d’achat que de passer par les CPB. Le coefficient de modulation constitue l’un des points d’évolution potentiels souhaités par la filière », signale Stéphanie Gandet, avocate associée du cabinet Lexion Avocats, spécialisée en droit de l’environnement.

* Impôts indirects perçus sur la vente ou l'utilisation des produits énergétiques

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