Le Cern chauffera 22 000 logements
Sur la commune de Ferney-Voltaire dans l’Ain, un ambitieux projet de revalorisation énergétique comprenant notamment la récupération de chaleur fatale d’une partie des activités du Cern, est en cours. Il permettra d’alimenter en énergie une nouvelle zone d’aménagement concerté et éviter l’émission de 5 000 tonnes de CO2 par an.
D’ ici 2032, une nouvelle zone d’aménagement concerté (ZAC) verra le jour à Ferney-Voltaire, une commune française de l’Ain située à quelques kilomètres de Genève. Pour chauffer ce futur lieu de vie qui abritera près de 22 000 personnes sur 56 hectares, un projet de création de réseau de chaleur a été validé, incluant dans l’équation l’énergie issue de l’accélérateur de particules du Cern. Mais comment ce laboratoire va pouvoir assurer annuellement 55% des besoins énergétiques moyens de cette “ville” ? Un réseau, dit de “5e génération”, va récupérer la chaleur résiduelle dégagée par les dispositifs de rafraîchissement et de refroidissement de l’accélérateur de particules du Cern (évacué à une température d’environ 26°C), pour la réintégrer dans le réseau de chauffage de la ZAC (au préalable réchauffé à 65°C). Ce réseau est dit d’anergie car contrairement aux réseaux de chauffage traditionnels à haute température qui ne font que transporter de la chaleur, ce réseau repose sur un principe d’équilibre des échanges thermiques entre bâtiments. Le réseau de basse température récupère l’énergie dite fatale issue des dispositifs de rafraîchissement et refroidissement des activités économiques pour chauffer les logements. À Ferney-Voltaire, le système repose également sur un stockage géothermique inter saisonnier conçu pour emmagasiner l’énergie plus abondante de la période estivale afin de la restituer en hiver, au moment où la demande est importante.
Jusqu’à 65 % d’EnR
D’une puissance de 24 MW, le réseau du Cern devrait desservir en chaleur la ZAC à hauteur de 20 GWh par an et permettre de supprimer annuellement l’équivalent de 5 000 tonnes d’émissions de CO2. « Lorsque l’accélérateur du Cern sera en fonctionnement, le taux d’énergie renouvelable du réseau montra à 65 %. Les 35 % restant seront apportés par une centrale gaz. Lorsque l’accélérateur de particules sera à l’arrêt, ce qui arrive ponctuellement, le taux d’énergie renouvelable sera réduit à 12 % », ajoute Gilles Bouvard, directeur de SPL Territoire d’Innovation. Les 12 % proviendront d’une boucle d’autoconsommation photovoltaïque permettant d’accroître la part d’énergie renouvelable produite localement. L’agglomération de Ferney-Voltaire s’est appuyé sur l’aménageur de la ZAC, la SPL Territoire d’Innovation, pour étudier la mise en oeuvre de cette infrastructure d’une longueur de cinq kilomètres s’étendant du puit n°8 du Cern jusqu’à la douane de la ville. Pour réaliser l’opération, l’aménageur a su convaincre les interlocuteurs privés afin de créer une Société mixte à opération unique (Semop), constituée avec l’énergéticien Dalkia et la Banques des Territoires. Enfin, par la signature d’une convention de co-financement, l’Ademe contribue largement au projet en le soutenant à hauteur de 11 millions d’euros, sur un investissement total prévu de 28 M€.
Coopération transfrontalière
Ce programme énergétique novateur est en outre un signe fort de la coopération transfrontalière établie entre la France et la Suisse. « C’est toujours une prise de risque de mettre en place un nouveau process, de sortir de la dépendance énergétique mais le modèle économique a été validé par les acteurs privés », commente Gilles Bouvard, qui a suivi le projet depuis ces débuts en 2010. Déjà, la question du mix énergétique était au coeur des débats. « Dès les premières études, nous avons intégré les énergies renouvelables locales », ajoute ce dernier. Et avant de signer une convention avec le Cern, les premières réflexions, confiées à l’entreprise suisse Amstein & Walthert, avait établi un scénario portant sur l’exploitation de la chaleur résiduelle d’un datacenter devant s’établir dans la zone. Un projet abandonné à l’époque car le rendement énergétique ne pouvait couvrir qu’environ 600 à 700 logements. « Or, le système d’anergie nécessite un équilibre entre les besoins en énergie des logements et la chaleur générée par les systèmes de refroidissement », ajoute l’aménageur. Aujourd’hui, avec le programme énergétique du Cern, la SPL Innovation envisage à nouveau d’exploiter d’autres sources de chaleur fatale continues comme celui du data center ou encore celle issue d’un collecteur d’eaux usées. En février dernier, une deuxième convention a été signée avec le Canton de Genève afin d’opérer une liaison entre le réseau de la ZAC et un réseau de froid suisse en cours de construction, baptisé GeniLac.
Réseau de froid GeniLac
Il fonctionnera avec l’eau du lac Léman (température constante de 7°C à l’année) et de l’électricité 100 % renouvelable et devrait atteindre une puissance de 140 MW d’ici 2023, permettant d’économiser 80 % d’électricité pour la fourniture de froid et réduisant de 80 % les émissions de CO2 liées au chauffage des bâtiments. Alors que le réseau de chaleur du Cern est en cours de finalisation ; les premiers immeubles d’habitation sortiront de terre début 2022, celui de GeniLac sera finalisé en 2023. D’ici deux ans, ces deux réseaux seront donc distants d’un kilomètre l’un de l’autre. GéniLac pourrait bénéficier de chaleur en hiver pour améliorer le rendement de ses pompes à chaleur, quant au réseau de Ferney -Voltaire, il pourrait bénéficier de froid en été pour améliorer sa capacité. Un projet de solidarité énergétique encore en devenir, mais prometteur.