La chaleur des routes pour chauffer les bâtiments
Au sein de l’Université Savoie Mont Blanc, plusieurs acteurs dont le Cerema, travaillent sur Dromotherm. Ce démonstrateur consiste à capter l’énergie solaire dans les chaussées, puis à la renvoyer dans un système de stockage thermique alimentant un bâtiment grâce à de la géothermie et une pompe à chaleur.
Récupérer la chaleur du soleil emmagasinée dans la route l’été pour fournir eau chaude et chauffage à un bâtiment toute l’année. C’est l’objet d’un démonstrateur, le Dromotherm, inauguré en décembre 2022 sur la zone d’activités Savoie Technolac près de Chambéry (Savoie). Ce projet du pôle de compétitivité Tenerrdis est mené par le Cerema en partenariat avec le laboratoire Locie (Laboratoire optimisation de la conception et ingénierie de l’environnement) de l’Université Savoie Mont Blanc, l’Institut Pascal de l’Université Clermont Auvergne, l’entreprise de travaux publics Eiffage et le groupe Elydan, fabricant de conduits ou de procédés géothermiques.
Pour ce faire, les chercheurs font circuler un fluide caloporteur, de l’eau en l’occurrence, dans un enrobé bitumineux d’une surface de 40 m2 sélectionné pour sa porosité. L’eau est injectée d’un côté, récupère la chaleur sous la couche de roulement, puis ressort de l’autre grâce au dévers de la route. Sous l’asphalte, aucun tuyau n’est nécessaire : le fluide caloporteur coule entre les deux couches d’enrobé étanches. Puis, l’eau chaude arrive dans un échangeur thermique qui augmente la température d’une deuxième boucle d’eau fermée. L’eau contenue dans celle-ci se déverse ensuite sous le bâtiment dans un stockage intersaisonnier composé d’un volume de sable saturé d’eau. « L’été, ce stockage thermique de 45 m2 peut monter à environ 35°C. L’hiver, les calories en sont extraites grâce à une corbeille géothermique – des sondes en forme de spirale situées sur cinq couches à un peu plus de trois mètres de profondeur – et une pompe à chaleur. Lorsque la température de l’eau tombe à 0°C, elle gèle. Ce processus libère également de l’énergie, la “chaleur latente de solidification”. Plus le volume de stockage est important, plus ce processus est long, et plus nous pouvons en retirer de l’énergie », expose Frédéric Bernardin, chef de groupe recherche Système de transports intelligents (STI) au Cerema.Tout ce dispositif alimente en eau chaude et en chauffage un local technique situé juste au-dessus. Ce dernier, d’une superficie de 20 m2, reproduit les besoins d’un logement RT2012 de 120 m2.
D’autres applications déjà testées
Ce démonstrateur, lancé en 2019, fait suite à à un premier, lui déployé à Egletons (Corrèze) en 2015. Ce projet de recherche était conduit par le Cerema et l’école d’application aux métiers des travaux publics (Eatp). « À cette époque, nous œuvrions à mettre au point un système pour chauffer la route et faire fondre la neige et le verglas. C’est dans ce cadre que nous avons créé cet échangeur thermique à base d’eau et sans tuyau. C’était une petite révolution puisque ce liquide est habituellement l’ennemi du secteur du BTP », se rappelle Frédéric Bernardin. L’objectif n’était toutefois pas de déployer cet échangeur sur toutes les routes, cela coûterait trop cher. Les chercheurs pensaient aux plus stratégiques : celles à proximité des hôpitaux par exemple pour pallier le ralentissement des ambulanciers dû au verglas ou à la neige. Lors de ce projet, l’énergie était stockée dans un massif de granit mais n’était utilisée que pour réchauffer la route. Les travaux de thèse consistaient notamment à déterminer la température du fluide à injecter sous la couche de roulement pour la dégeler en fonction des conditions météorologiques. Les sondes géothermiques instrumentées utilisées ont ainsi prouvé la capacité du sol rocheux à se recharger en chaleur l’été afin d’apporter en hiver l’énergie nécessaire à la chaussée pour qu’elle ne gèle pas.
Ce projet corrézien a permis d’embrayer sur le savoyard. Cette fois, l’eau n’est pas chauffée au préalable. « On passe d’une chaussée chauffante à une chaussée récupératrice d’énergie », résume Frédéric Bernardin. L’objectif désormais ? Analyser divers paramètres tels que la météo ou les températures de la route et du stockage à travers le temps pour dimensionner le dispositif pour un déploiement plus large. Les scientifiques comptent notamment définir le taux de récupération de chaleur de la route ou encore le volume de stockage nécessaire pour un bâtiment type. Des capteurs ont donc été installés pour transmettre des informations en temps réel sur la production, la consommation et les besoins en énergie du bâtiment ou de la route. Un doctorant travaille sur ces données qu’il faudra suivre pendant deux ans minimums. « Elles sont tributaires de la météo donc c’est important de les consolider sur plusieurs années », souligne Frédéric Bernardin. Un système de pilotage de l’énergie a également été intégré. « Dans le futur, il sera indispensable à l’utilisation du dispositif en synergie avec d’autres unités de production d’énergie », étaye le chercheur.
Un déploiement à grande échelle ?
Pour les scientifiques impliqués dans le projet, « les routes constituent un gisement d’énergie solaire thermique très important : moins de 5 % de leur surface reçoivent une énergie solaire équivalente au besoin total de chaleur de la France ». Il n’est toutefois pas possible de récupérer l’intégralité de cette énergie. « Lors du premier Dromotherm, nous estimions que le taux de récupération pouvait atteindre 30 % dans le cadre d’un environnement idéal (météo, situation géographique etc.). Nous allons consolider ces données lors du deuxième mais il me semble que nous serons plus proches de 15 à 20 % », expose Frédéric Bernardin. Même si le gisement est présent, la solution coûtera cher. Elle ne pourra pas être déployée sur toutes les routes. Ainsi, à l’issue du projet, le consortium disposera d’outils de dimensionnement pour certains cas d’usage (l’alimentation d’un petit collectif ou la connexion à un réseau de chaleur basse température) et d’une étude technico-économique. Celle-ci permettra selon les scientifiques de « positionner la technologie sur des marchés liés à la production locale d’énergie ».
Son déploiement contribuerait ainsi à l’augmentation de la production d’énergie renouvelable tout en respectant l’objectif de zéro artificialisation nette à l’horizon de 2050, grâce à son implantation sous des chaussées. Il limiterait également les surchauffes urbaines en été en induisant une baisse de leur température en été en récupérant leur chaleur (jusqu’à 5°C). « Dans le futur, nous pourrions même utiliser l’eau de pluie comme fluide caloporteur. Cela permettrait de la stocker pour éviter des crues dans des villes où la surface artificialisée est importante. En effet, celles-ci vont augmenter en fréquence et en intensité selon les scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) », projette Frédéric Bernardin. Le deuxième volet de Dromotherm est financé à hauteur de 330 000 euros par les partenaires, dont une petite partie par une subvention de Chambéry-Grand Lac économie. Il bénéficie également d’une enveloppe de 200 000 € de la Région Auvergne-Rhône-Alpes à travers le dispositif Pack Ambition Recherche sur la période 2020-2025.