Industrie : décarboner pour pérenniser le secteur

Le Shift Project poursuit la publication des différents volets de son Plan de transformation de l’économie française avec un rapport consacré à l’industrie. Pour le think thank, c’est notamment à l’industrie lourde de mener la majorité des efforts afin de baisser les émissions du secteur de 80 % d’ici 2050.
Le secteur industriel n’est pas au mieux en France. Son poids dans l’économie nationale a chuté, il représente aujourd’hui à peine 13 % des emplois contre presque 25 % dans les années 1980. La balance commerciale des biens industriels en France s’est érodée jusqu’à atteindre un déficit annuel de 58 milliards d’euros en 2018 pour les industries extractives et manufacturières. Pourtant, le secteur représente encore presque 20 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) soit bien plus que son poids économique. S’il a déjà fait des efforts pour se décarboner, ce qui lui a permis d’atteindre une baisse de ses émissions annuelles de 60 Mt de CO2 par rapport à 1990, cela reste insuffisant pour atteindre l’objectif de 80 % en 2050.
Trois piliers pour décarboner
« La décarbonation est possible à condition de la faire reposer sur trois piliers essentiels : progrès, ruptures technologiques et sobriété », estime Éric Bergé, chef de projet industrie lourde au Shift Project dans le cadre du Plan de transformation de l’économie française (PTEF). Il reste notamment des progrès à réaliser sans bouleverser l’appareil industriel. Environ 40 % de la décarbonation du secteur pourrait être atteinte en améliorant l’efficacité énergétique, en changeant le combustible des fours ou en recyclant plus et mieux les matériaux. Le deuxième pilier représente aussi 40 % de la décarbonation de l’industrie mais il demandera plus d’efforts car il nécessite de mettre en oeuvre des technologies encore balbutiantes.
Le Shift Project évoque le recours à l’hydrogène produit par électrolyse, le recyclage chimique et le captage-stockage de CO2 (CCS) directement à la sortie des cheminées des industries lourdes. « Le CCS représente un potentiel de 7 Mt de CO2 par an », estime Maxime Efoui-Hess, coordinateur du secteur dédié à l’industrie. Ce sont surtout les installations des filières de production de ciment, d’acier et d’ammoniac qui sont adaptées au déploiement de cette technologie. Enfin, la sobriété permet d’assurer les 20 % restants de la décarbonation de l’industrie. Mais ces parts pourraient fluctuer. « Les risques d’échec étant bien plus forts sur les leviers technologiques de rupture que sur les leviers de progrès continu, il est essentiel de comprendre qu’il doit être envisagé de recourir à une sobriété plus intense si leur déploiement échoue dans les années à venir », précise Maxime Efoui-Hess.
Le Shift Project insiste sur l’importance de se focaliser sur l’industrie lourde car elle représente 75 % des rejets du secteur. En son sein, la sidérurgie émet 17 Mt de CO2 par an sur les deux grands sites de Fos-sur- Mer et Dunkerque. Pour diminuer ses rejets, l’efficacité énergétique ne suffi ra pas car la plupart des installations sidérurgiques sont déjà optimisées. Il faudra donc développer l’acier recyclé. Cela nécessite un revirement complet de politique car la France exporte aujourd’hui chaque année 4 Mt de ferraille qui est recyclée à l’étranger. La réduction directe du fer avec l’hydrogène vert pour remplacer les combustibles fossiles est une autre piste évoquée, mais cela reste une technique assez nouvelle. Pour la filière ciment-béton, il est possible de réaliser des progrès considérables sans se tourner vers des technologies de rupture.
Il y a encore des économies d’énergie à aller chercher, le secteur peut utiliser des combustibles alternatifs comme la biomasse ou changer la composition des bétons. Enfin, la chimie devra électrifier certains de ses procédés (recompression des vapeurs, recours à des pompes à chaleur). Décarboner l’industrie française demandera donc de gros efforts et des changements de pratiques. C’est indispensable, et pas seulement pour des raisons environnementales. En effet, cela doit assurer sa survie dans un monde très concurrentiel et rendre possible la transformation de l’ensemble de l’économie nationale.