Enedis, vent debout pour protéger le réseau

22 11 2024
Léa Surmaire
Enedis
Fin 2023, la tempête Ciarán a haché menu certaines parties du réseau électrique, privant 1,2 million de foyers d’électricité.

Voici un an, après la tempête Ciarán, le réseau électrique breton ne tenait plus qu’à un fil. Depuis, l’opérateur renforce la résilience de ses lignes aux catastrophes engendrées par le changement climatique.

Dimanche 29 octobre 2023. La tempête Ciarán se forme. Trois jours plus tard, des rafales, dont certaines à près de 200 km/h, frappent la Bretagne. « L’intensité de Ciarán a été similaire à celle d’un cyclone tropical, avec des vents qui ont atteint le niveau 12 de l’échelle de Beaufort*, décrit Hervé Champenois, membre du directoire et directeur technique d’Enedis. Certaines parties du réseau électrique ont été littéralement hachées menu. Les sols détrempés ont facilité le déracinement des arbres, et un grand nombre est tombé sur les lignes électriques, ainsi que sur les poteaux qui les maintenaient. Des postes de distribution d’électricité ont été entièrement écrasés ». Au total, 1,2 million de foyers ont été privés d’électricité, dont 780 000 en Bretagne.

D’habitude, face à ce type de catastrophe, Enedis parvient à rebrancher tous les foyers en moins de 48 heures. Cette fois, la tempête a été trop forte. De plus, il a fallu réparer de nombreuses lignes basse tension, très éparses en Bretagne du fait de la dispersion des logements. « Cela a nécessité des diagnostics et des réparations presque à chaque habitation dans certains territoires, et dans des zones rendues difficiles d’accès à cause de la tempête », déplore Pascal Pouzac, le directeur régional d’Enedis en Bretagne. 90 % des ménages ont finalement retrouvé la lumière en moins de quatre jours. Pour d’autres, cela a pris plusieurs semaines.

Le dispositif déployé a pourtant été important : 3 400 techniciens venus d’autres régions ont été dépêchés en renfort, 750 tonnes de matériels et 8 000 poteaux ont été commandés, 2 200 groupes électrogènes ont été acheminés, et 30 hélicoptères ainsi que des centaines de drones ont été utilisés.

17 tempêtes exceptionnelles en 2023

Les premières réparations passées, le gestionnaire de réseau a commencé à se projeter. En effet, Ciarán ne devrait pas être la dernière catastrophe naturelle de cet ordre. Avec le changement climatique, elles augmentent en intensité et en fréquence, selon le Groupement intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). « En 2024, nous avons été assez épargnés, mais l’an passé, dix-sept tempêtes exceptionnelles ont eu lieu en France. Il ne s’agit déjà plus d’événements “exceptionnels” », contextualise Pascal Pouzac. Il faut donc augmenter la résilience du réseau.

Pour cela, Enedis lance le plan Reconstruction Bretagne. Avant lui, l’opérateur prévoyait de moderniser 3 500 kilomètres de lignes électriques entre 2025 et 2029 en Bretagne (sur 110 000 km). Finalement, cela concernera 5 500 km (+57 %). L’enveloppe de 390 millions d’euros prévue pour cette période va donc croître, même si le coût global n’a pas encore été calculé.

De l’aérien au souterrain

Trois types de chantier sont en cours. Tout d’abord, Enedis enfouit le réseau électrique situé près des arbres pour le protéger de leur chute. Aujourd’hui, en Bretagne, la moitié du réseau est souterrain, contre 30 % en 1999. Avant la tempête, l’opérateur avait prévu d’en enterrer 400 km supplémentaires pour la période 2025-2029. Depuis, 1 100 km sont concernés. Cette solution est la plus efficace, mais c’est aussi la plus chère. Elle coûte 100 à 150 euros par mètre enfoui.

Enfouir pour résister
À Ergué-Gabéric (Finistère), le courant a été coupé trois fois durant la tempête Ciaràn. Un an plus tard, une pelleteuse creuse. Elle va enterrer la ligne moyenne tension pour éviter qu’un arbre ne tombe dessus une fois encore. Le nouveau tracé de quatre kilomètres ne passera plus par les champs, mais par la route. Un prérequis pour faciliter les travaux d’entretien. « Cinq kilomètres de ligne ont été déposés. Nous les traitons comme des déchets parce qu’ils ne peuvent pas être recyclés du fait de leur exposition à l’air salin et aux ultraviolets », expose Pierre Olivier Courtois, chef de projet Reconstruction Bretagne.
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Lorsque les lignes sont assez éloignées des arbres, une deuxième méthode consiste à effectuer de la rénovation programmée. En clair, des techniciens détectent les anomalies du réseau aérien et prévoient le remplacement des composants concernés. Pour ce faire, des drones prennent des photographies du réseau. Puis, les opérateurs traitent les images, aidés par un outil d’intelligence artificielle (IA) appelé Dora pour « Diagnostic d’ouvrage des réseaux aériens ». Sur la base de modèles de prédiction, le logiciel identifie de potentielles défaillances qui sont ensuite validées, infirmées ou complétées manuellement. « Nous entraînons l’IA avec des images depuis 2021. Avec son aide, nous traitons environ trois fois plus de photographies que sans elle », note Franck Peron, technicien pour Enedis. Ces interventions ciblées permettent de prolonger la durée de vie du réseau jusqu’à vingt-cinq ans.

Les opérateurs, aidés par l’intelligence artifi cielle, identifi ent les défaillances du réseau et prévoient le remplacement des pièces concernées.
Les opérateurs, aidés par l’intelligence artificielle, identifient les défaillances du réseau et prévoient le remplacement des pièces concernées.
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L’intelligence artificielle a repéré de la corrosion sur une attache.

« Tous les trois ans, un contrôle est effectué, qu’il soit par drone, en hélicoptère ou à pied », complète Pierre-Olivier Courtois, chef du projet Reconstruction Bretagne. D’ici 2029, sur les 5 500 kilomètres de ligne fiabilisés par Enedis, 3 000 km le seront grâce à cette technique d’intervention basée sur l’IA (dont 800 km supplémentaires avec Reconstruction Bretagne). À 20 à 30 €/m et donc bien moins coûteuse que l’enfouissement, cette méthode a été privilégiée quand cela était possible.

Renforcer la basse tension

Le troisième type de chantier vise à « muscler » les lignes basse tension (230V ou 400V). Les fils électriques nus en cuivre (tendus en parallèle) sont retirés. À la place, un câble torsadé est posé. Il est composé de quatre fils en aluminium. Ces derniers sont enroulés les uns autour des autres et enrobés d’un isolant en polyéthylène (voir photo encadré ci-contre). « Cela les rend dix fois plus robustes que les fils nus », précise Pascal Pouzac.

Des torsades sur la basse tension
À Brec’h (Morbihan), après la tempête, les habitants ont attendu une dizaine de jours pour être réapprovisionnés en électricité. Un an plus tard, des agents remplacent les fils nus de la ligne basse tension par un câble torsadé. Pour cela, ils installent de nouveaux poteaux. Comme la charge est un peu plus lourde, ceux-ci sont moins espacés que les précédents. Sur cette portion, 900 mètres de fils nus vont être déposés et un kilomètre de câble torsadé installé. « Il est plus long parce que nous en avons profité pour sécuriser le réseau. Si une portion est coupée, une autre pourra prendre le relai plus facilement », précise Pierre-Olivier Courtois, chef de projet Reconstruction Bretagne.q

Avant la tempête, Enedis visait l’éradication des fils nus d’ici 2035 et avait prévu d’en remplacer 900 km d’ici 2029. Reconstruction Bretagne a accéléré la cadence. 1 400 km de câble torsadés seront déployés à cette échéance. Cette solution coûte entre 80 et 100 €/m.

En parallèle de ces trois gros chantiers, l’opérateur augmentera sensiblement le nombre de kilomètres élagués en Bretagne : de 10 500 à 11 500 km (+ 9,5 %).

Tailler les arbres à proximité des lignes électriques permet en effet d’éviter que ces derniers ne les détériorent en tombant lors de tempêtes. Ainsi, pour Enedis, la Bretagne est un laboratoire visant à évaluer la résistance de ses solutions au risque tempête… « À chaque région, ses particularités. Dans le Nord, nous étudions davantage les solutions contre le risque inondation. Nous devons par exemple mettre hors d’eau les postes sources en les déplaçant ou les surélevant. Dans d’autres, nous attachons plus d’importance au risque chaleur », explique Pascal Pouzac.

* L’échelle de Beaufort est une échelle de mesure de la vitesse moyenne du vent sur une durée de dix minutes utilisée dans les milieux maritimes. Elle comporte 13 degrés (de 0 à 12).

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