Comment entraîner son territoire dans la transition ?
Pour aller le plus loin possible dans la transition écologique, les collectivités doivent pousser les entreprises, les associations ou encore les citoyens à s’engager puis les accompagner. Panorama de diverses politiques testées en France.
Selon l’Ademe, sur un territoire, 10 % de l’énergie est consommée par la collectivité et les 90 % restants par d’autres acteurs : entreprises, associations, citoyens… En termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES), 15 % provient de la collectivité. Ce pourcentage peut être étendu à 50 % si l’on prend en compte les impacts indirects des politiques publiques.
« En collaborant avec les acteurs socio-économiques, la collectivité peut contribuer à réduire ces émissions indirectes », analyse Aodrenn Girard, chargé de mission Politique climat-air-énergie pour Amorce. Pour cela, le plan climatair- énergie territorial (PCAET) apparaît comme « une opportunité de mobiliser les acteurs du territoire dont les citoyens », selon le « Rapport concernant la contribution des plans climat-air-énergie territoriaux et des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires aux politiques de transition écologique et énergétique » remis par le ministère de la Transition écologique au Parlement en avril 2022. Cependant, « l’ambition d’en faire la feuille de route territoriale pour la transition, partagée et portée par les acteurs locaux, n’est pas encore atteinte », déplore le ministère dans ces écrits.
Pour aider les collectivités à embarquer davantage les acteurs socio-économiques, Amorce a mis en lumière en janvier 2023 un panorama de solutions proposées par des intercommunalités lors d’un webinaire. En effet, selon l’association, il est indispensable que la collectivité s’engage puisque les acteurs socio-économiques font rarement état d’un avancement plus élevé que les actions menées par cette dernière.
Une COP locale
À Rouen, dès 2017, une Conférence des parties (COP) locale en partenariat avec WWF et l’Ademe a été organisée par l’agglomération afin de mobiliser les acteurs du territoire pour atteindre les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique, soit une diminution par quatre des émissions de GES et par deux des consommations d’énergie. Un collège d’experts locaux a produit des analyses thématiques sur le territoire (qualité de l’air, forêts, ressource en eau…) pour « mettre en évidence l’urgence à agir », insiste Agnès Grandou, responsable de projet COP21 à la Métropole Rouen Normandie.
En parallèle, « des élus de la Métropole ont démarché les communes pour faire le bilan et les inciter à prendre des engagements pour la transition », expose la responsable. 71 communes ont ainsi formalisé leurs engagements et 16 sont parvenues à l’obtention du label « Climat air énergie » de l’Ademe. De même pour les entreprises. « Sur les 25 000 du territoire, nous nous sommes concentrés sur les plus importantes et les plus énergivores. 80 de la centaine démarchée se sont engagées. Au moment de l’accord de Rouen, l’idée était d’avoir des pionniers qui allaient permettre un effet d’entraînement sur les autres », analyse la responsable. La Métropole s’est également appuyée sur le tissu associatif existant afin de sensibiliser et accompagner les citoyens, grâce à des animations, expositions, ateliers dans les communes et dans un lieu dédié à la transition écologique, le « pavillon des transitions ». L’efficacité de ces actions est évaluée par un groupe de travail spécifique.
S’appuyer sur l’écologie industrielle et territoriale
D’autres actions peuvent être portées grâce à la démarche de l’écologie industrielle et territoriale (EIT). Ce pilier de l’économie circulaire, défini par l’Ademe, consiste à créer des synergies entre les entreprises d’un territoire pour favoriser la mutualisation et la substitution de ressources (matières, équipements, stockage, transports, énergie, eau, compétences). La démarche EIT Sud Vienne a pour but d’accompagner techniquement et méthodologiquement les entreprises souhaitant s’engager dans une transition écologique. Elle est portée par le Simer86, un syndicat de déchets qui se trouve sur deux intercommunalités de Sud Vienne.
Sur ce territoire, 70 entreprises sur 2 000 ont bénéficié d’un « diagnostic ressources ». Leurs besoins et les matières inutilisées générées par leur process ont notamment été relevés. Puis, la mise en relation de 28 acteurs économiques lors d’ateliers a fait naître des synergies. En parallèle, des groupes de travail thématiques (gravats, bois etc.) œuvrent à créer des filières de valorisation locale, rassemblant un écosystème d’acteurs locaux. Selon Lucie Milon, chargée de la démarche au Simer86, 180 synergies ont été déjà concrétisées ou sont en cours de l’être en deux ans, six services ont été mutualisés et dix entreprises ont été accompagnées sur des problématiques individuelles d’économie circulaire. L’EIT a par exemple permis de développer l’utilisation d’une alternative à la paille ou de fabriquer des bacs à bec grâce à des masques et des charlottes usagées. La gouvernance du système est partagée entre tous. Pour cette chargée de mission, « l’enjeu est de travailler en démarche participative. C’est certes un peu plus long mais cela permet vraiment l’implication des acteurs ».
Les élus du bassin de Pompey (44 000 habitants) l’ont déjà bien compris. Dans cet ancien territoire sidérurgique de Lorraine, où a notamment été construite la tour Eiffel, ils sont très actifs dans l’accompagnement à la transition des acteurs économiques. « Ils ont lancé une démarche EIT, un plan de mobilité commun sur le parc Eiffel, un magazine co-écrit avec les acteurs économiques et la collectivité investit elle-même dans des filières comme celle du bois de chauffage par exemple. Elle a également lancé une plateforme logistique trimodale ou encore un partenariat avec l’enseignement supérieur », expose Jean-Luc Manceau, représentant de l’Association des professionnels en conseil climat énergie & environnement (APCC).
Le renouveau de la collectivité
Pour optimiser sa transition, la Métropole Nice Côte d’Azur accompagne également ses propres agents. Dans le cadre de sa mission climat 2025 menée depuis septembre 2022, elle a lancé un axe de sensibilisation de ces derniers. « Nous nous appuyons sur un réseau d’ambassadeurs, cent agents de la Métropole, de la Ville et du Centre communal d’action sociale (CCAS). Ils sont notre relai pour diffuser des données et en faire remonter. Nous allons leur déployer “l’école du climat”, une formation sur l’adaptation, l’atténuation et l’action face au changement climatique », projette Émilie Andorno, chargée de mission pour le Plan Climat 2025. Pour impliquer les acteurs externes, la métropole de 550 000 habitants a également mis en place des concertations avec les acteurs économiques, un conseil d’experts locaux — comme la Métropole de Rouen Normandie – et une convention citoyenne locale sur le même modèle que celle nationale. Une centaine de citoyens ont ainsi été tirés au sort. Ils seront formés pour détenir le même niveau d’information, puis mobilisés au sein d’ateliers techniques (sur les événements extrêmes ou la préservation de la biodiversité par exemple) pour rédiger des contributions à ajouter à la stratégie d’adaptation de la Métropole.
Pour Jean-Luc Manceau, d’autres pistes peuvent être explorées. « Une collectivité peut organiser des visites pour faire monter ses élus en compétence, s’appuyer sur les frémissements de l’enseignement supérieur, permettre aux entreprises qui ont une démarche vertueuse de s’exprimer publiquement ou encore créer avec elles des partenariats public-privé ». En fait, déplore-t-il, « le monde économique et les collectivités se côtoient sans se connaître, ni se comprendre. Leurs temporalités sont différentes, leurs logiques aussi, ce qui constitue des obstacles à leur rapprochement. Pourtant, ces deux grandes familles d’acteurs doivent coopérer pour que la transition progresse ».