CEE : une montée en puissance et de nouveaux défis

22 10 2022
Léa Surmaire
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En 17 ans, les CEE sont devenus le principal outil de financement de l’efficacité énergétique. Face à leur accélération, se pose toutefois la question des gisements disponibles ou de l’intégration d’une modalité carbone dans l’équation…

Encore trop complexes et parfois méconnus, les certificats d’économie d’énergie (CEE) se sont imposés comme un des principaux outils de la politique d’efficacité énergétique française avec le crédit d’impôt développement durable (CIDD) et de l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ). Tout commence en 1997 avec le protocole de Kyoto. Malgré cet accord international, les émissions de gaz à effet de serre (GES) continuent d’augmenter. En 2006, l’Union européenne adopte alors la directive 2006/32/CE pour accroître les objectifs d’économies d’énergies et d’efficacité énergétique déjà fixés en 1998. Elle impose maintenant aux États membres de veiller à ce que les fournisseurs d’énergie proposent des mesures d’amélioration de l’intensité énergétique. Certaines peuvent être axées sur le marché tels que les “certificats blancs”, comme ceux déjà déployés en Italie (TEE) ou en France (CEE).

Institué dans l’Hexagone par la loi Pope dès 2005, le dispositif des certificats d’économie d’énergie prévoit que les fournisseurs d’énergie, les “obligés”, doivent mettre en place des actions pour améliorer leur efficacité énergétique ou celles d’autres acteurs : ménages, industriels, collectivités… Ils peuvent par exemple financer l’isolation d’une maison ou racheter les économies d’énergies réalisées par une entreprise. À chaque kWh cumac économisé, un CEE leur est remis.

En fin de période tri ou quadriennale, ils doivent le présenter à l’État sous peine d’une forte pénalité financière. À la suite de la loi Grenelle II en 2010, les obligations des CEE ont été étendues aux metteurs à la consommation de carburants, c’est-à-dire les distributeurs les plus en amont du réseau, pour lesquels les ventes annuelles dépassent un certain seuil. En septembre 2022, la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) recensait 155 obligés.

Des objectifs toujours plus ambitieux

En 2012, dans sa directive 2012/27/UE, la Commission européenne réaffirme l’objectif de 20 % d’efficacité énergétique européenne d’ici 2020. L’Union ne respectant pas la trajectoire définie dès 2007, de nouvelles contraintes pour les États membres sont établies telles que la publication de leurs plans d’action tous les trois ans.

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Ainsi, d’années en années, le dispositif des CEE, s’étend. L’obligation totale d’économies à réaliser augmente à chaque période. Elle passe de 54 TWhc en première période (2006-2009) à 3 100 TWhc en cinquième période (2022-2025). Aussi, depuis 2015, les certificats sont plus difficiles à obtenir. Cette année-là, 20 % des CEE européens ont perdu leur éligibilité, faute d’aller au-delà de la directive “écoconception”.
Selon les estimations de l’Ademe, le dispositif serait “efficace” : il aurait contribué, sur la troisième période (2015-2018), à hauteur de 40 % des réductions d’émissions de GES observées. En 2018, la directive européenne est de nouveau révisée. Elle prévoit à l’horizon 2030 une réduction supplémentaire des consommations d’énergie primaire et finale de 32,5 % chacune. Le 14 juillet 2021, la Commission européenne propose une nouvelle version de cette directive dans son paquet “Fit for 55”, qui viserait à réduire de 55 % les émissions de GES d’ici à 2030 et à atteindre neutralité carbone 2050. Elle prévoit donc une diminution des consommations énergétiques primaires et finales en 2030 de respectivement 39 % et 36 % par rapport à 2020. Pour cela, chaque année, entre 2024 et 2030, les États membres devront économiser 1,5 % d’énergie finale de plus par rapport à leur consommation totale, et non plus 0,8 % comme avant. Ainsi, cette révision devrait encore augmenter le volume d’obligations du dispositif des CEE.

Une course dans le vide

Se pose toutefois la question de la disponibilité des gisements. Si selon la DGEC, les obligés ont atteint leurs objectifs en quatrième période (2018-2021), Marc Gendron, délégué général du club C2E de l’ATEE précise que : « ils y sont parvenus grâce aux coups de pouce (CDP) qui génèrent des CEE bonifiés. Ces volumes de CEE bonifiés ne sont pas remontés au titre de la Directive européenne. Sans ces bonifications, les obligés n’auraient rempli que 53 % de l’obligation ». Ainsi, pour lui, alors que les objectifs augmentent, les gisements potentiels d’économies d’énergies diminuent. Un effet ciseau qui peine à être compensé par de véritables ruptures technologiques. Se pose donc la question de la sobriété, pour économiser de l’énergie et ne plus compter sur l’efficacité énergétique uniquement.

Pierre de Montlivault, le président de la Fédération des Services Énergie Environnement (Fedene), lui, se dit peu inquiet : « Le rythme des économies d’énergie ces vingt dernières années est très lent. Il reste de la marge, d’autant plus que le système actuel doit profondément évoluer pour soutenir davantage les opérations globales plutôt que les mono gestes ».

Décarboner grâce aux CEE ?

« Au début du dispositif, des procédés décarbonés, mais sans gain d‘économie d’énergie, comme par exemple un changement de chaudière fioul par une biomasse, faisaient gagner des CEE. Depuis, ces fiches d’opérations standardisées ont été enlevées », raconte Daniel Cappe, vice-président de l’ATEE.
Actuellement, alors que pullulent les alarmes des scientifiques sur l’urgence de la réduction des GES et que les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) peinent à être atteints, des voix plaident à Bruxelles, comme à Paris, pour une prise en compte plus importante de la décarbonation dans le dispositif des CEE. La Commission européenne envisage dans sa nouvelle directive d’exclure des CEE les procédés qui certes sont plus efficaces énergétiquement mais utilisent des combustibles fossiles, et donc émettent des GES. Comme l’expliquait en octobre 2021 (Énergie Plus n°673) Julie Pisano, chargée de mission au club C2E de l’ATEE, 33 fiches, et donc 10 TWhc, risqueraient d’être impactés par cette réforme.

En France, pour l’instant, la loi Énergie et climat du 8 novembre 2019 permet une pondération seulement du CEE en fonction des rejets de gaz à effet de serre évités. Ainsi, au début de la 5e période, la contribution relative de chaque énergie à l’objectif national CEE s’est fondé sur le volume d’énergie vendue ou mis à la consommation, ce qui a eu pour effet d’augmenter l’obligation des producteurs de fioul et de gaz de 50 % par rapport à la P4 alors que celle de l’électricité Montlivault, les émissions de GES « devraient être intégrées au calcul ». Pour lui, il serait même pertinent de « soumettre les grands principes des CEE aux parlementaires ».

L’Ademe a justement publié un rapport* en juillet 2021 pour jauger l’introduction d’un paramètre carbone dans les CEE. Pour l’Agence, le dispositif CEE, bien que centré sur les économies d’énergie, intègre déjà une part importante de réduction de GES. Deux modèles prospectifs se distinguaient en terme de gain carbone : l’intégration du poids carbone des énergies dans la répartition de l’obligation et la suppression de la référence à l’énergie primaire pour élargir les actions pouvant être soutenues par le dispositif.

Des limites intrinsèques

La décarbonation passe également par une bonne utilisation du dispositif des CEE. Toutefois, il est « peu adapté » aux petites collectivités, déplore Maxime Schaeffler, chargé de mission maîtrise de l’énergie pour Amorce. En effet, alors qu’elles manquent déjà d’expertise sur le sujet, le renforcement des contrôles en amont du dépôt du dossier les a d’autant plus fragilisés. « Nous devons faire appel à des cabinets de contrôle. Le volume de CEE déposés par les collectivités est moindre, et le coût de ces inspections n’est pas proportionnel. Dans certains retours d’expérience, la valorisation de la collectivité était presque nulle », expose Joël Ruffy, responsable des relations publiques d’Amorce. Et, comme l’expliquent Marc Gendron et Pierre de Montlivault, les industriels peinent également à se lancer dans des opérations spécifiques à cause du manque de visibilité du financement final.

* L'intégration d'une composante carbone dans le dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE)

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