Bassin dunkerquois : la décarbonation collective à l’étude

22 05 2023
Léa Surmaire
CUD

La zone industrialo-portuaire de Dunkerque est lauréate du tout premier appel à projets « Zones industrielles bas carbone » (Zibac) aux côtés de celles de Fos-sur-Mer et du Havre. Autoroute de la chaleur, hub CO2, hydrogène… Rafael Ponce, directeur général adjoint à la Communauté urbaine de Dunkerque (CUD) et David Lefranc, directeur « Aménagement et Environnement » du Grand port maritime de Dunkerque (GPMD) évoquent les projets de décarbonation de la zone et leurs enjeux.

Le bassin de Dunkerque, à l’origine de 21 % des émissions de CO2 d’origine industrielle, s’est-il fixé des objectifs de décarbonation ?

Rafael Ponce : Dunkerque est un lieu stratégique pour faire de la décarbonation. Son territoire élargi, avec 16 millions de tonnes équivalent CO2, est à l’origine de 72 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) des Hauts-de-France. En 2018, les quatre industriels les plus émetteurs du Dunkerquois -ArcelorMittal (11 MteqCO2), Aluminium Dunkerque, Ferroglobe et Comilog- ont créé le Collectif CO2 pour réfléchir à des moyens destinés à les réduire.. Ils ont été rejoints par des institutionnels dont la CUD, le GPMD et l’Ademe (1), puis par d’autres industriels tels que Eqiom ou Lhoist. Nous visons la neutralité carbone. À l’horizon 2030, l’objectif est donc de diviser les émissions par deux par rapport à 2019, soit 8 MteqCO2. Pour l’instant, la trajectoire visée est respectée.

Qu’est-ce que cela signifie être lauréat de l’AAP Zibac ?

David Lefranc : Ce dispositif permettra de réaliser des études d’ingénierie et de faisabilité relatives à la réduction des émissions carbone avec un budget de 27,2 millions d’euros -dont une subvention allouée par l’Ademe à hauteur de 50 %-, soit 13,6 M€. Le reste est financé par les porteurs de projets : la CUD, le GPMD et les industriels.

R.P. : Un groupement d’intérêt public Euraénergie a été créé à l’initiative de la CUD en collaboration avec d’autres partenaires publics et privés il y a trois ans. Il vise à fédérer les acteurs du territoire pour mener des projets dans le cadre de la transition énergétique et de la transformation du tissu industriel.

Pourriez-vous nous détailler le projet d’autoroute de la chaleur sur 20 km ?

D.L. : Depuis les années 1980, la chaleur fatale d’ArcelorMittal a été captée et utilisée dans le réseau de chaleur urbain de la CUD, qui alimente principalement des bâtiments publics. Une étude menée avec le collectif CO2 en 2018-2019 a conclu que nous disposions encore de gisements de chaleur fatale sur le territoire. Suite à cela, Euraénergie a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour connaître les industriels intéressés pour capter ou recevoir de la chaleur industrielle. Finalement, à l’horizon 2025, du gaz va être collecté au niveau du sidérurgiste Ferroglobe, converti en vapeur essentiellement, et être acheminé dans une canalisation de 14 km jusqu’au producteur de cellules de batteries Verkor. Le gisement est estimé à 20 MW. D’ici 2027, la même quantité d’énergie sera récupérée sur les sites de Befesa et Comilog. Cette autoroute, réseau d’échanges entre industriels, sera alors étendue de 6 km. En tout, ce projet devrait permettre d’éviter le rejet de 120 000 tonnes d’équivalent CO2.

R.P. : Aujourd’hui, nous avons trois producteurs et un consommateur. Demain, d’autres industriels pourraient se raccorder à la boucle. Dans un futur plus lointain, nous pourrions aussi imaginer l’interconnexion de cette canalisation avec le réseau de chaleur urbain, pour du secours notamment.

Quel est l’intérêt du projet « Hub CO2 » ?

R.P. : Lorsqu’on fait de la décarbonation, il est difficile d’aller jusqu’à l’élimination complète des émissions de CO2. Il est possible de capter les résidus et de les réutiliser dans d’autres processus industriels -comme pour créer des carburants de synthèse par exemple- ou de les stocker dans des lieux tels que des formations géologiques (CCS). Aujourd’hui, il existe des projets de stockage aux Pays-Bas, en Norvège… Le projet actuel serait constitué d’un réseau de canalisations pour le transport du CO2 et d’un terminal de réception, liquéfaction puis stockage avant expédition ou réemploi. La première phase fait l’objet d’une concertation publique avec comme parties prenantes Lhoist, Eqiom, Air Liquide Dunkerque LNG, RTE. ArcelorMittal arrivera un peu plus tard. Le « Hub CO2 » de Dunkerque offrirait ainsi des capacités de collecte, transport, puis stockage intermédiaire avant chargement dans des navires adaptés ou réemploi. Dans des projections plus lointaines, on peut imaginer le transporter pour l’utiliser sur d’autres territoires pour de la chimie.

Comment va être déployé l’hydrogène sur le territoire ?

DL : Nous avons de nombreux projets de production d’hydrogène sur le territoire. Au cœur du GPMD, l’objectif de H2V est d’en fabriquer 28 000 t/an d’ici 2026 par électrolyse de l’eau. D’autres projets sont également à l’étude. Tout récemment, à la suite d’une étude d’opportunité lancée en septembre 2022 par GRTgaz, onze entreprises se sont déclarées intéressées par une infrastructure de transport d’hydrogène dans la zone industrialo-portuaire. Parmi celles-ci, cinq le sont pour de la production d’hydrogène et six pour de la consommation, que ce soit pour des activités industrielles existantes ou pour des nouvelles. ArcelorMittal fait partie des consommateurs potentiels.

H2V produira-t-il de l’hydrogène vert ?

R.P. : Oui, avec le mix énergétique imaginé sur ce territoire, il y aurait de l’énergie décarbonée avec le nucléaire (deux nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR) à Gravelines) et de l’énergie verte avec les 46 éoliennes offshore et les 20 hectares de panneaux photovoltaïques prévus. L’idée c’est que H2V et d’autres puissent bénéficier de la labellisation verte de l’hydrogène. L’hydrogène sera produit par électrolyse de l’eau.

Avez-vous pensé à traiter des eaux moins conventionnelles ?

R.P. : Ici, la culture de la préservation de la ressource en eau existe depuis longtemps, ce qui permet à l’industrie de bénéficier d’une eau de moindre qualité pour les process industriels ou pour du refroidissement. Un projet est en cours, avec plusieurs études (2) destinées à optimiser la gestion de cette eau industrielle, analyser les besoins pour la production d’hydrogène, valoriser les eaux non conventionnelles et étudier la faisabilité de création d’un réseau d’eau de mer.

dunkerque zone industrialo-portuaire ZIBAC
Crédits : Euraénergie

Qu’est-ce que le projet GrHyd ?

R.P. : Entre 2014 et 2020, Engie, en partenariat avec la CUD et neuf autres partenaires, a créé un démonstrateur à taille réelle « Power to gas » dans un quartier de Cappelle-la-Grande. Ce projet GrHyd consistait à alimenter environ 100 logements avec un mélange de gaz naturel et une proportion d’hydrogène allant jusqu’à 20 % en volume.

De nouvelles industries telles que l’usine de cellules de batteries de Verkor ou la production d’hydrogène d’H2V vont s’implanter. Allez-vous prévoir des formations adéquates ?

R.P. : Oui, un Pacte éducatif du Dunkerquois a été signé en ce sens en septembre 2022 conjointement par l’Université du Littoral Côte d’Opale, la CUD, l’État, l’Éducation nationale, la région, le département, Pôle Emploi et Entreprendre Ensemble et les industriels. 

(1)mais aussi la Chambre de commerce et d’industrie littoral HDF

(2) menées par la CUD, le Syndicat Eaux du Dunkerquois, le GPMD et Euraénergie

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