Pyrogazéification : des soutiens attendus pour confirmer la dynamique de la filière en France
Grâce à leur grande flexibilité en termes d’intrants, de capacités et de voies de valorisation, les procédés de pyrogazéification peuvent être intégrés dans divers écosystèmes. Une filière française est aujourd’hui prête à déployer ces technologies et les acteurs des territoires y reconnaissent une réponse pertinente aux enjeux locaux de valorisation des déchets non recyclables et de décarbonation des consommations énergétiques. Pour confirmer cette dynamique et soutenir les acteurs d’ores et déjà engagés, des aides concrètes doivent être mis en place.
Développée dès la fin du XVIIIe siècle, la gazéification de combustibles solides (bois, charbon) a permis la production d’un gaz de synthèse riche en hydrogène, d’abord utilisé en production de chaleur ou dans des moteurs à vapeur, puis au début du XXe siècle, pour la production de gaz de ville. Ces technologies ont connu un regain d’intérêt lors du choc pétrolier des années 70 pour produire de l’énergie et des carburants à partir de ressources locales, la baisse des prix des combustibles fossiles ayant par la suite freiné cet engouement. Depuis le début des années 2000 et désormais face à l’urgence climatique, de nombreuses unités de pyrogazéification valorisant des biomasses et déchets divers ont vu le jour. Une filière valorisant le syngaz en usage direct (chaleur, cogénération) est aujourd’hui largement développée. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE)*, près de 1 500 unités sont en fonctionnement dans le monde, avec des capacités allant de quelques dizaines de kW à plusieurs MW.
En France, cette voie connaît une belle dynamique, par exemple :
- récemment mise en service et exploitée par Dalkia, l’installation Dall Energy à Rouen (17 MW) permet de valoriser un large spectre de biocombustibles pour alimenter le réseau de chaleur urbain ;
- deux projets de gazéification de biomasse portés par la société bretonne Energy&+ ont été lauréats fin 2019 de l’appel à projets cogénération biomasse (2 MWe en Auvergne-Rhône-Alpes et 800 kWe en Bretagne) de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). La valorisation du biochar co-produit permettra de stocker 3 250 tonnes par an de CO2 biogénique.
Depuis une quinzaine d’années, une nouvelle génération d’unités intégrant des procédés de pyrogazéification émerge avec pour objectif la production de molécules de synthèse (méthane, hydrogène, biocarburants) permettant de remplacer nos consommations fossiles.
Un intérêt croissant
Le respect de la hiérarchie de traitement des ressources territoriales est un pilier du développement souhaité par les acteurs de la filière de pyrogazéification. Ainsi, seuls des intrants non valorisables directement sous forme alimentaire ou matière sont visés, notamment des biomasses résiduelles issues d’activités diverses (sylviculture, agriculture, agroalimentaire, etc.) et des déchets solides carbonés non recyclables (combustibles solides de récupération, déchets d’éléments d’ameublement, plastiques, etc.) via les techniques actuellement disponibles. En ouvrant la porte à d’autre voies de valorisation de ces ressources que la chaleur directe, la pyrogazéification est de plus en plus reconnue par les acteurs des territoires comme une solution complémentaire à développer pour répondre aux enjeux auxquels ils sont confrontés. Pour les filières forêt-bois, agricole, industrielle et déchets, elle constitue en effet un exutoire non intermittent et complémentaire à la combustion « classique » pour des ressources en manque de débouchés, offrant une multiplication d’usages énergétiques et/ou de capacités de stockage et de transport via l’injection en réseau de méthane de synthèse.
Polyvalence de la filière
Production de chaleur, cogénération, production de méthane de synthèse injectable, d’hydrogène, de biocarburants, de biochar, recyclage chimique de plastiques complexes, etc. Les voies de développement de la filière sont multiples et les projets qui émergent aujourd’hui en France, articulés autour de divers schémas d’économie circulaire selon les ressources et les besoins locaux, illustrent bien cette polyvalence.
- Injection de méthane de synthèse : La production de méthane de synthèse injectable par pyrogazéification de biomasse et de déchets non recyclables profite de plusieurs retours d’expérience issus de démonstrateurs européens (Güssing, GoBiGas, Gaya). Un premier stade de maturité technologique a ainsi été atteint, permettant d’envisager un passage à l’échelle commerciale. Plusieurs projets industriels sont bien engagés en France : citons par exemple les projets de Qairos Energies et Hymoov lauréats du « bac à sable réglementaire » de la CRE (voir encadré) ou encore le projet Salamandre porté par Engie qui, fort des avancées de la plateforme de démonstration à échelle semi-industrielle Gaya, envisage la construction d’une première unité industrielle au Havre à partir de 2023 (production jusqu’à 150 GWh de gaz et 45 GWh de chaleur renouvelables via la valorisation de 70 000 t/an de déchets non recyclables). Le développement de cette filière dépendra bien sûr de la mise en place de mécanismes de soutien par les pouvoirs publics et notamment d’un tarif d’achat sur le gaz de synthèse injecté dans les réseaux. Ces avancées nécessaires à l’équilibre économique des premières unités industrielles sont attendues par les acteurs, notamment dans le cadre de la mise en place des contrats d’expérimentation pour la production innovante de biogaz introduits dans la Loi Énergie-Climat.
- Production d’hydrogène : La pyrogazéification constitue également une voie de production d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone. Au-delà de nos frontières, il existe des références comme l’installation Ebara au Japon qui fabrique depuis 2003 de l’hydrogène à partir de déchets plastiques non recyclables pour un industriel qui l’utilise comme matière première pour la synthèse de l’ammoniac. Une filière de production d’hydrogène par transformation thermochimique de biomasse ligneuse et de déchets non recyclables a d’ores et déjà émergé en France et aura besoin de bénéfi cier, au même titre que l’électrolyse, des appels d’offres introduits par l’ordonnance hydrogène.
- Production de biocarburants avancés : Les biocarburants produits par pyrogazéification peuvent être du carburant aérien (jet fuel), du diesel ou encore du méthanol/ éthanol (utilisables dans les moteurs essence). À Dunkerque, le projet BioTfuel, qui doit valider la production de biocarburants de deuxième génération par voie thermochimique et ainsi ouvrir la voie à l’industrialisation, touche à sa fin. Bionext et ses partenaires ont récemment annoncé avoir franchi une étape cruciale dans le développement du biokérosène à faible teneur en carbone, avec la production de produits de synthèse Fischer-Tropsch à partir de biomasse issue de déchets de bois.
Développement du recyclage chimique
La filière de pyrogazéification de plastiques émerge actuellement. Ce nouveau type de recyclage permet d’optimiser la valorisation de certains déchets plastiques ne pouvant faire l’objet d’un recyclage mécanique, notamment en les transformant en huile de pyrolyse ou en syngaz. Ceux-ci pourront à leur tour être utilisés pour la production de nouvelles matières plastiques.
* IEA Bioenergy Task 33 “Status report on thermal gasification of biomass and waste” (2019)