Projet Horizeo : gigantisme et opposition
Engie et Neoen ont présenté début janvier 2021 Horizeo, un projet de champ photovoltaïque au sol de très grande ampleur alliant production d’électricité et d’hydrogène et une surface d’agrivoltaïsme. Le projet génère de nombreuses oppositions.
Engie et Neoen prévoient d’implanter leur projet de parc solaire de 1 000 hectares, baptisé Horizeo, à Saucats en Gironde, non loin de Bordeaux. Le parc ainsi créé aurait une puissance d’1 GW, pour une production d’électricité équivalente à la consommation annuelle de plus de 600 000 personnes. « C’est la configuration du territoire qui permet cette ambition. Le terrain est situé dans la plus grande forêt artificielle d’Europe, qui couvre au total 1 million d’hectares. Il ne représente que 0,1 % de cette surface. Cette forêt est composée d’une monoculture de pins, avec une biodiversité assez ordinaire, malgré la présence certes d’espèces patrimoniales. Les parcelles que nous avons identifiées sont dédiées à la production de bois et situées à l’intérieur d’une chasse commerciale entièrement clôturée : cette forêt n’est donc déjà pas accessible au public. Enfin, elles sont situées à proximité d’un poste de transformation qui offre une capacité rare d’injection », argumente Mathieu Le Grelle, porte-parole du projet.
Sur place, l’annonce des deux industriels ne laisse pas indifférent. Philippe Barbedienne, président du Sepanso Gironde qui regroupe de nombreuses associations environnementales de la région, dénonce « la démesure du projet. Il est évidemment beaucoup plus économique de s’installer sur un terrain naturel, mais comme tout projet qui consomme des espaces non artificialisés, ses conséquences sont néfastes. Des arbres, qui sont des puits de CO2, vont être coupés. Ces forêts, qui ne sont pas entretenues de manière intensive et abritent donc une certaine biodiversité, servent de halte aux oiseaux migrateurs, vont être détruites. »
Boisements compensateurs, fausse compensation ?
Afin de prévenir les éventuelles contestations, les porteurs du projet ont déjà annoncé des boisements compensateurs supérieurs à la surface concernée. Ils parlent d’environ 2 000 ha replantés. « Nous voulons identifier des parcelles pour replanter des arbres au plus près des usines de transformation du bois. Ce seraient des terrains touchés par les tempêtes de ces dernières années ou dites en “impasse sylvicole”, où les peuplements d’arbres dépérissent », plaide Mathieu Le Grelle. La réglementation oblige en effet à compenser la perte économique du secteur sylvicole liée à un changement d’usage d’une parcelle. Comme sur les sites d’origine, les espèces plantées devraient donc être dans leur majorité du pin maritime. Toutefois, « les porteurs de projet ont la volonté de diversifier les essences dans le but d’améliorer la biodiversité », poursuit Mathieu Le Grelle. Ces arguments ne convainquent pas Philippe Barbedienne. « Replanter, c’est une fausse compensation. Pour le faire, les énergéticiens ne recherchent pas 2 000 ha libres de toute occupation naturelle. Ils se mettent d’accord avec un forestier pour trouver des boisements qui n’étaient pas ou plus gérés car abîmés par les aléas climatiques. Ce sont donc 2 000 ha déjà occupés par la forêt, et qui sont tenus par la loi de rester des surfaces boisées. Ils vont y replanter de la forêt sur la forêt. Il n’y a donc pas de gain du point de vue de l’impact CO2. Par contre, sur ces parcelles qui n’étaient plus gérées, une biodiversité intéressante avait pu s’installer ; on va la perdre, puisque les forestiers vont y mener une exploitation de type industriel. C’est la double peine : on perd 1 000 ha du fait du projet et on reperd 2 000 ha riches en biodiversité du fait de la “compensation”», déplore-t-il.
Face à ces critiques, Mathieu Le Grelle ajoute un argument : « Certes, sur l’installation il y aura des pistes pour le passage des engins, mais les panneaux eux-mêmes seront vissés dans le sol sans l’abîmer. Après, la nature reprendra ses droits. La biodiversité passera d’un stade d’une monoculture boisée à celui d’une lande humide endémique, qui s’installera sous les panneaux.»
Sortir des appels d’offres de la CRE
Au-delà du volet environnemental, le projet interpelle par son ambition économique. Engie et Neoen annoncent en effet vouloir sur ce projet s’affranchir des mécanismes de soutien de l’État aux énergies renouvelables et “innover sur le modèle économique”. D’après les deux promoteurs d’Horizeo, l’énergie produite par le parc photovoltaïque sera vendue à des entreprises par le biais de contrats de vente d’électricité de gré à gré, c’est-à-dire en dehors des appels d’offres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et donc, sans recours aux dispositifs de soutien public. Soit dit en passant, les appels d’offres de la CRE interdisent souvent l’installation de panneaux au sol sur des terrains à vocation agricole ou sylvicole. Outre la vente directe d’électricité, le projet comprend diverses initiatives. Il prévoit la production d’hydrogène vert grâce à l’énergie photovoltaïque. L’électrolyseur aurait une puissance de 10 MW. Cela représenterait l’équivalent des besoins quotidiens de quarante bus ou 30 % des besoins industriels régionaux. Reste à identifier les débouchés concrets. Horizeo inclut en outre la mise en place de batteries d’une puissance de 40 MW, qui serviraient d’un côté à lisser la production solaire, d’un autre côté à apporter une réserve primaire et secondaire au gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE). C’est sur cette brique technologique qu’interviendrait Neoen, le reste du projet étant porté par Engie.
La construction d’un centre de données (datacenter) est enfin prévue sur le site. Il serait alimenté en direct par l’énergie du parc photovoltaïque, une première en France. « Cela couvrirait environ 20 % de ses besoins, le réseau électrique classique apportant le reste », précise Mathieu Le Grelle. Enfin, les porteurs de projet planifient la mise en culture d’une zone agrivoltaïque d’une surface comprise entre 10 et 25 ha. « Les solutions retenues pourraient être des structures surélevées équipées de panneaux effaçables, mais nous étudions aussi la possibilité d’installer des serres agricoles alimentées en calories par la chaleur fatale issue du centre de données », poursuit le porte-parole du projet.
Les élus Verts de la Région vent debout
Horizeo représenterait à lui seul plus de 15 % de l’objectif de production d’énergie photovoltaïque de la région Nouvelle-Aquitaine, qui est de 8,5 GW à l’horizon 2030 contre 2 GW aujourd’hui. Toutefois, la sénatrice de la Gironde Monique de Marco rappelle que dans son département, et en région Aquitaine en général, « il y a déjà énormément de parcs photovoltaïques, dont un parc en développement à Cestas près de Bordeaux, qui fait 250 ha, ce qui est déjà énorme. » Horizeo pourrait d’ailleurs avoir du mal à passer à l’échelle régionale. Le schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire (Sraddet), adopté par la Région en 2019, précise que les parcs solaires doivent être installés de préférence sur des surfaces artificialisées. La vice- présidente en charge du climat et de la transition énergétique de la Région est Françoise Coutant, élue Europe Écologie les Verts (EELV). Elle affirme début janvier dans un communiqué du groupe EELV au Conseil régional que « sans toucher aux terres agricoles et forestières, en utilisant simplement les surfaces artificialisées déjà existantes, nous avons de quoi atteindre nos objectifs de développement des énergies renouvelables. » Elle se fait même très critique : « Ce parc géant, élaboré par deux multinationales sans concertation avec les habitants et les collectivités, constituerait une confiscation d’un bien commun, la forêt, pour des intérêts privés, au nom d’un intérêt général en réalité dévoyé. » La Commission nationale du débat public a pris la décision d’organiser sur ce projet de parc un débat public dans la seconde moitié de 2021. Un débat qui promet d’être houleux, pour un projet que ses porteurs espèrent mettre en service en 2025-2026.