Luttes d’influence autour de la taxonomie européenne
Afin d’identifier précisément les activités économiques considérées comme durables, l’Union européenne a décidé de mettre en place une taxonomie sur la finance verte. Elle permettra de flécher les investissements vers des secteurs compatibles avec la lutte contre le changement climatique. Mais tout le monde n’est pas d’accord sur le caractère vert ou non d’une filière : le gaz et le nucléaire font notamment l’objet d’importants débats.
Comment définir une activité économique atténuant le changement climatique ? Pour répondre à cette interrogation, l’Union européenne a présenté le 21 avril un acte délégué, une sorte de décret d’application en droit européen censé lister les activités favorables à l’environnement. Le but est d’inciter les organismes financiers à les soutenir et non de sanctionner ceux qui font le choix d’investir encore dans les secteurs polluants. Cette idée de “taxonomie verte” a été lancée en 2018 par la Commission européenne. Elle entrera partiellement en vigueur à la fi n de l’année, puis dans son ensemble fin 2022. Actuellement, la part verte déterminée par le projet de taxonomie ne représente que quelques pourcents de l’économie de l’Union. L’objectif est d’augmenter progressivement cette part afin d’atteindre une économie neutre en carbone.
Pour être considérée comme verte et être mentionnée dans le texte européen, une activité ne devrait pas émettre plus de 100 g de CO2 par kWh. Cela exclut de fait les secteurs liés aux combustibles fossiles. Mais s’il semble y avoir un consensus pour sortir le charbon qui rejette 1 000 g de CO2/kWh, certains secteurs entraînent de nombreux débats, non seulement entre industriels et organisations non gouvernementales (ONG) mais aussi entre États de l’Union.
Le gaz et le nucléaire exclus pour l’instant
Le cas du gaz divise. Climate Bonds chiffre ses émissions à 500 g de CO2/kWh en comptant ses rejets indirects. Mais certains estiment qu’il peut représenter un secteur de transition pour sortir du charbon. En juin 2020, un vote au parlement européen a semblé donner raison à ses défenseurs. Il a en effet ajouté la possibilité d’intégrer dans la taxonomie des activités émettant plus de 100 g de CO2 par kWh qui permettraient de remplacer des filières dont le bilan carbone serait pire. Cette intégration du gaz est notamment poussée par dix pays d’Europe, en particulier la Pologne, qui mènent un lobbying intense pour que ce combustible soit considéré comme bénéfique pour mener à bien la transition vers une économie décarbonée. Cette possible inclusion du gaz a fait réagir des ONG et des organisations scientifiques. 225 d’entre elles ont alerté sur les risques encourus dans une lettre ouverte publiée à l’initiative du WWF. Selon le Réseau action climat (RAC), qui a signé le document, « investir dans le gaz fossile, c’est maintenir la dépendance de l’Europe à une énergie fossile pour les trente prochaines années et rendre l’objectif climatique européen pour 2030 ainsi que la neutralité climatique d’ici à 2050 inatteignables. »
Les ONG craignent une alliance entre pro- gaz et pro-nucléaire. « La France ne doit pas laisser entrer le gaz fossile dans la taxonomie avec l’intention d’ouvrir ainsi une porte à l’inclusion du nucléaire », ajoute le Rac. C’est pourtant le scénario qui semble se dessiner. Dans un courrier adressé à Bruxelles, la France, la Roumanie et la Pologne ont souligné son « indispensable contribution pour combattre le changement climatique ». Pour défendre son industrie nucléaire, pour l’instant non retenue dans la taxonomie suite à un rapport d’experts, Paris a donc fait le choix de ne pas s’opposer à l’inclusion du gaz. Les deux filières restent donc dans l’attente pour l’instant. La Commission a choisi de reporter le débat pour se laisser plus de temps. En coulisses, les tractations promettent d’être intenses.