Le Giec exhorte les États à agir vite

03 04 2023
Olivier Mary
© A. Tardy/IPCC

Le Giec a publié le 20 mars la synthèse de son sixième rapport d’évaluation. S’il alerte sur les conséquences déjà visibles et à venir du changement climatique, il montre aussi que des solutions concrètes et disponibles peuvent les limiter. Mais pour les mettre en œuvre, il faudrait beaucoup plus de volonté politique.

Après cinq jours de négociations en Suisse avec 195 pays lors d’une session d’approbation, les experts du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) ont adopté et publié le 20 mars la synthèse de leur sixième rapport d’évaluation. Ce document à l’intention des décideurs résume les quelque 10 000 pages publiées depuis la fin du cinquième cycle il y a huit ans, c’est-à-dire les trois volets consacrés aux causes du réchauffement, aux impacts et aux solutions ainsi que les trois rapports spéciaux portant sur les impacts d’un réchauffement à d’1,5°C et ses conséquences sur les terres, les océans et la cryosphère. Sans surprise, cette nouvelle édition rédigée par 93 auteurs confirme les conclusions rendues lors de la précédente. Mais presque une décennie a passé sans action globale concrète pour éviter un dérèglement irréversible du climat.

+1,5 °C dès 2030

« Le taux d’augmentation de la température au cours du dernier demi-siècle est le plus élevé depuis 2 000 ans. Les concentrations de dioxyde de carbone (CO2) n’ont jamais été aussi importantes depuis au moins deux millions d’années. La bombe à retardement du climat fait tic-tac », a mis en garde le Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (Onu) António Guterres. Pour les scientifiques, il ne fait aucun doute que les activités humaines et les émissions de gaz à effet de serre (GES) qui en découlent réchauffent le climat. Depuis l’ère préindustrielle, la température moyenne à la surface du globe a déjà augmenté de 1,1 °C. La barre de 1,5 °C devrait être atteinte dès 2030. Et cette tendance s’emballe, avec son cortège de records inquiétants. Si les concentrations de CO2 dans l’atmosphère n’ont jamais été aussi élevées depuis au moins 2 millions d’années, elles ne sont pas les seules à exploser : celles de méthane (CH4) et d’oxyde nitreux (N2O) sont sans égales depuis 800 000 ans.

La hausse du niveau de la mer est plus rapide depuis 1900 que sur les trois derniers millénaires et elle s’est réchauffée plus vite au siècle dernier que depuis 11 000 ans. Pour expliquer ces chiffres, les chercheurs pointent le principal coupable : le recours aux énergies fossiles. En 2019, environ 79 % des émissions de GES provenaient de l’énergie, de l’industrie, des transports et des bâtiments. Le reste était dû à l’agriculture, la sylviculture et à d’autres utilisations des terres. Ce dérèglement du climat a déjà des conséquences directes et visibles sur les humains et les écosystèmes. Sécheresses, vagues de chaleur, inondations, incendies et cyclones tropicaux se multiplient et deviennent plus intenses.

Des impacts visibles

3,3 à 3,6 milliards de personnes, souvent peu responsables des rejets de GES, vivent dans des zones particulièrement exposées à ces aléas climatiques. « Au cours de la dernière décennie, les décès dus aux inondations, aux sécheresses et aux tempêtes ont été 15 fois plus nombreux dans les régions très vulnérables », a déclaré Aditi Mukherji, l’un des 93 auteurs de ce rapport de synthèse. De plus, elles sont plus touchées par les maladies, l’insécurité alimentaire ou le manque d’eau. La moitié de la population mondiale subit déjà une grave pénurie d’eau pendant au moins une partie de l’année. Ces multiples difficultés entraînent des migrations en Afrique, en Asie, en Amérique du Nord, centrale, et du Sud. Les petits États insulaires des Caraïbes et du Pacifique Sud sont notamment touchés de manière disproportionnée. Chaque dixième de degré de réchauffement supplémentaire entraînera des conséquences toujours plus graves.

Plus la hausse sera importante, plus les risques d’extinction d’espèces ou de perte irréversible de biodiversité dans les écosystèmes, y compris les forêts, les récifs coralliens et les régions arctiques, augmenteront. Certains écosystèmes sont d’ores-et-déjà irrémédiablement bouleversés, en particulier dans les zones polaires et les montagnes qui pâtissent de la fonte des glaciers et du pergélisol. Si le réchauffement atteint 2 °C d’ici 2100, les calottes du Groenland et de l’Antarctique occidental disparaîtront presque complètement et de manière définitive. Malgré ce catalogue de mauvaises nouvelles, le Giec se veut optimiste. « Ce rapport de synthèse souligne l’urgence de prendre des mesures plus ambitieuses et montre que, si nous agissons maintenant, nous pouvons encore assurer un avenir durable vivable pour tous », a déclaré Hoesung Lee, le président de l’organisation. Cela impliquerait de plafonner les émissions mondiales d’ici 2025 au plus tard, puis de les réduire de près de moitié d’ici 2030 pour limiter le réchauffement à 1,5 °C.

Des solutions disponibles

Selon le Giec, l’Humanité dispose de suffisamment de connaissances, d’outils et de capitaux pour relever ce défi qui peut sembler utopique. Pour favoriser le développement durable, les experts suggèrent des investissements bien plus importants de la part des Gouvernements, des investisseurs et des banques centrales. Avec les fonds mobilisés, ils insistent notamment sur la nécessité de développer les énergies renouvelables, surtout le solaire et l’éolien. Il faut « cesser d’octroyer des licences ou de financer de nouvelles exploitations de pétrole et de gaz, conformément aux conclusions de l’Agence internationale de l’énergie », a insisté le Secrétaire général de l’Onu. Ils préconisent également d’électrifier les villes, de développer l’efficacité énergétique, d’améliorer la gestion des forêts, des cultures et des pâturages, ainsi que de réduire les quantités de déchets et le gaspillage alimentaire. Tout cela est techniquement viable dès aujourd’hui et de moins en moins cher à mettre en œuvre. Entre 2010 et 2019, les coûts du solaire et de l’éolien ont diminué respectivement de 85 % et de 55 %. Celui des batteries lithium-ion a également chuté de 85 %. L’essor des technologies vertes pourrait en outre engendrer des co-bénéfices. Par exemple, l’accès à une énergie et à des technologies propres améliore la santé, en particulier celle des femmes et des enfants ; l’électrification à faible émission de carbone, la marche, le vélo et les transports publics améliorent la qualité de l’air, la santé, les possibilités d’emploi et l’équité.

Les États en retard

La plupart des États doivent totalement réorienter leurs politiques. En effet, les ressources financières dédiées au développement durable restent très insuffisantes et sont encore largement dépassées par les sommes allouées aux énergies fossiles. Il manque aussi des fonds pour l’atténuation et l’adaptation. En outre, beaucoup d’actions mises en place en la matière s’avèrent contreproductives et relèvent de la maladaptation : c’est le cas du développement de la climatisation pour lutter contre la chaleur, qui contribue à son tour au changement climatique. De plus, les émissions de GES en 2030 prévues par les contributions déterminées au niveau national (INDC) ne sont pas suffisantes pour limiter le réchauffement à + 1,5 °C d’ici la fin du siècle. Plus grave, les trajectoires promises ne sont absolument pas respectées. Les politiques mises en œuvre actuellement entraîneront fatalement des émissions mondiales de GES plus élevées que prévu dans les INDC à horizon 2030. Si cet écart n’est pas comblé, la planète se dirigerait vers un réchauffement de 3,2 °C d’ici 2100. Devant un tel scénario catastrophe, l’Onu exhorte les pays développés à s’engager à atteindre la neutralité carbone en 2040. L’organisation octroie une décennie supplémentaire aux économies émergentes pour y parvenir. « Chaque pays doit faire partie de la solution. En exigeant que les autres agissent en premier, on s’assure que l’Humanité arrive en dernier », a alerté António Guterres. 

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