Le climat, facteur clé de déstabilisation

19 07 2023
Olivier Mary
Andrea Izzotti/Adobe Stock

Un nouveau rapport publié par l’Institut de relations internationales et stratégiques souligne l’augmentation probable des conflits sous l’effet de la précarisation des moyens de subsistance due aux effets du changement climatique. Quatre zones sont particulièrement concernées, surtout en Afrique et en Asie.

Le changement climatique entraîne déjà, et entraînera dans les décennies à venir, une compétition accrue pour les ressources en eau et en nourriture. De cette compétition pourrait survenir de nombreux conflits internes et interétatiques dans le monde. Ce constat alarmant émane d’un rapport publié par l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) dans le cadre de l’Observatoire Défense et Climat, mené pour le compte de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des Armées. « L’objectif de cette note était d’aboutir à une vision globale et hiérarchisée des zones les plus susceptibles de connaître une exacerbation de la conflictualité sous l’effet des changements climatiques », résume Marine de Guglielmo Weber, chercheuse de l’Observatoire Défense et Climat.

Pour les identifier, les scientifiques ont croisé deux indicateurs : le premier (Notre Dame Global Adaptation Index de l’Université de Notre Dame) évalue la résilience de chaque pays face aux effets du changement climatique ; le second (Global Peace Index de l’Institute for Economics & Peace) mesure le niveau de paix de l’ensemble des États. Quatre grands ensembles géopolitiques particulièrement fragiles sont ressortis : l’Afrique de l’Ouest, centrale et de l’Est ; le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Et dans une moindre mesure : l’Asie du Sud Est et le Pacifique Ouest ; l’Amérique Latine. « Leur point commun est qu’ils sont soumis à une forte précarisation des moyens de subsistances sous l’effet de la raréfaction des ressources naturelles, notamment de l’eau et de la nourriture, qui mettent en péril l’agriculture et le tourisme qui sont souvent les deux secteurs économiques les plus importants de ces pays », explique Marine de Guglielmo Weber.

Conflits pour l'eau

L’Afrique de l’Ouest, centrale et de l’Est est la zone la plus exposée et la plus vulnérable aux effets du changement climatique : la Centrafrique, le Soudan, le Soudan du Sud, l’Éthiopie et la République Démocratique du Congo en particulier. Entre 1970 et 2020, les températures du continent ont globalement augmenté de 0,5 °C. De plus, il subit des périodes de sécheresse de plus en plus longues et intenses ainsi que la fonte de ses glaciers. Ce stress hydrique a des conséquences directes sur la production agricole et donc la sécurité alimentaire. Ce problème est aggravé par une forte instabilité politique, des conflits communautaires, une fragilité économique, des infrastructures vétustes et une explosion démographique qui devrait se poursuivre tout au long du siècle. « 278 millions de personnes sont déjà sous-alimentées. Si les températures augmentent de 2 °C, les rendements des cultures céréalières devraient baisser de 10 à 20 %. Si on franchissait le pallier des 3 °C, les zones actuelles de culture du maïs, du millet et du sorgho deviendraient inexploitables », alerte Marine de Guglielmo Weber.

On peut également anticiper des conflits entre agriculteurs, et entre agriculteurs et éleveurs. En effet, les bergers nomades doivent se déplacer toujours plus pour faire boire et manger leurs troupeaux, ce qui crée des tensions avec les agriculteurs sédentaires. En 2003, le conflit au Darfour avait notamment éclaté à cause de tensions entre ces deux populations en concurrence pour la ressource en eau. Aujourd’hui, ces conflits agro-pastoraux sont de plus en plus courants, notamment en Afrique de l’Est et au Sahel. Outre ces déplacements temporaires de populations, des migrations permanentes pourraient aussi déstabiliser la région. D’ici 2050, le nombre de déplacés climatiques internes pourrait atteindre 85,7 millions en Afrique subsaharienne. Les tensions autour de la maîtrise de l’eau des bassins transfrontaliers pourraient aussi déboucher sur des guerres entre États. Il y a déjà des tensions entre l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie autour du partage des eaux du Nil.

Des frictions analogues existent aussi entre les pays riverains du lac Tchad. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, aussi, le manque d’eau devrait entraîner des troubles. 60 % de sa population vit déjà dans une zone où le stress hydrique est élevé. Et cette situation devrait s’aggraver : sur les bassins du Tigre et de l’Euphrate, la ressource en eau pourrait baisser de 60 % d’ici la fin du siècle. La note de l’Iris pointe des risques de conflits entre États car la majorité des pays de la zone partagent leurs ressources en eau avec au moins un voisin tout en ayant de faibles ressources hydriques. Des tensions sont à craindre entre Israël et les pays arabes autour du bassin du Jourdain, et également entre la Turquie et la Syrie autour de l’Euphrate.

Des zones inhabitables

Les zones Asie du Sud-Est et Pacifique Ouest présentent également un risque accru de conflit à cause des changements climatiques. L’Afghanistan est le pays le plus vulnérable devant le Pakistan, la Birmanie, l’Inde, les Philippines, le Bangladesh et la Papouasie-Nouvelle Guinée. Compte tenu de la grande diversité géographique de ces territoires, les aléas climatiques y varient fortement : vagues de chaleur, modification du régime de précipitations et du débit des grands fleuves, pluies plus intenses sont à craindre. Ils exposent cette région à la fois à des sécheresses, des canicules, des glissements de terrain et des inondations. En outre, le réchauffement des océans engendre la hausse de l’intensité et de la fréquence des tempêtes tropicales, cyclones et typhons, ainsi que l’élévation de leur niveau très rapide dans le nord de l’océan Indien.

La montée des eaux est particulièrement problématique dans cette zone qui regroupent des littoraux marins de faible altitude et densément peuplés, des deltas agricoles et des îles coralliennes. L’agriculture devra faire face à la salinisation des sols et des nappes dans des deltas comme celui du Mékong (Vietnam) ou de la rivière des Perles (Chine), mais aussi à des événements météorologiques extrêmes. Une hausse de 1 °C de la température moyenne en Asie du Sud conduirait à la perte de 4 à 5 millions de tonnes de blé par an. Certains territoires pourraient même devenir totalement inhabitables en devenant trop chauds ou en étant submergés par la mer.

Cela entraînerait des déplacements de population potentiellement explosifs sur le plan sécuritaire, mais aussi une conséquence inattendue propre à cette zone. « Les remises en cause des frontières ou du droit international y ont un fort potentiel crisogène. Une partie de ce droit s’appuie sur des éléments naturels (rochers, marées, lignes de côte, etc.) qui peuvent être modifiés par les changements climatiques. La submersion progressive des territoires de faible altitude dans la zone pourrait conduire à une exacerbation des velléités territoriales sur fond de contestation du droit international », estime Marine de Guglielmo Weber. Alors que la Chine, l’Inde et le Pakistan sont des puissances nucléaires, une guerre dans la région serait potentiellement gravissime.

L'Amérique latine plutôt épargnée

L’Amérique latine est, parmi les quatre zones étudiées par l’Iris, celle qui présente le risque le plus faible d’exacerbation des conflits à cause du climat. Les problèmes sont assez identiques qu’en Afrique ou en Asie mais dans des proportions moindres. L’Institut pointe tout de même un risque spécifique entre la Colombie et le Venezuela. Les disparités socio- économiques entre ces deux pays favorisent la prolifération de groupes criminels, les activités de contrebande et les passages illégaux de migrants à la frontière. En 2014, la Colombie a d’ailleurs fermé la sienne avant de la rouvrir cette année. L’exode de millions de Vénézuéliens en Colombie offre en outre des recrues aux réseaux armés et criminels du pays. L’exploitation des migrants par ces gangs contribue à la montée de la xénophobie au sein de la population colombienne. Du fait de l’exposition croissante de ces populations aux aléas climatiques, celle-ci pourrait intensifier les violences internes voire alimenter de nouvelles tensions entre les deux États.

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