La formation dans les EnR doit se structurer et attirer des candidats
Malgré les bonnes perspectives de l’emploi dans les secteurs des énergies renouvelables, les entreprises peinent souvent à recruter. Une offre de formation encore peu structurée et fournie, ainsi qu’un manque d’attractivité des carrières en sont les principales causes.
Les évolutions de l’emploi dans les secteurs des énergies renouvelables pour les dix prochaines années sont très prometteuses. Dans son « Évaluation et analyse de la contribution des énergies renouvelables à l’économie » publiée en juin 2020, le Syndicat des énergies renouvelables (Ser) calcule que le nombre d’emplois dans les EnR pourrait passer de 166 000 à 264 000 entre 2019 et 2028. Cette estimation suppose que les objectifs hauts de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) seront atteints. Toutes les EnR traitées par le Ser, du biogaz à l’éolien en passant par la biomasse et le solaire, sont en hausse. « La filière qui croît le plus en termes d’emploi est l’éolien en mer, qui devrait passer d’environ 3 000 salariés à près de 19 000 », souligne Jérôme Morville, responsable du cadre économique des énergies renouvelables au Ser.
Le travail du Syndicat n’inclut pas la filière hydrogène. Dans son livre blanc « Compétences-métiers de la filière Hydrogène » d’avril 2021, l’association France Hydrogène affirme de son côté qu’à l’horizon 2030 : « Ce sont plus de 100 000 emplois qui vont être créés dans la filière. » Cette croissance exponentielle s’explique par l’adoption en 2020 de la Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné, dotée d’un budget de 7,2 milliards d’euros.
Coloration ou expertise
Bon nombre des profils recherchés par le secteur des EnR ne sont pas propres à leur filière, comme des électriciens ou des spécialistes de la cybersécurité. Ils n’auront besoin d’acquérir qu’une « coloration » spécifique à la filière concernée. D’autres au contraire nécessiteront un bagage plus conséquent, voire une véritable expertise du secteur et de la technologie concernée. Pour les métiers n’exigeant que des savoirs basiques, la formation est en général réalisée par l’entreprise, lors de séances dédiées ou sur le terrain au contact des collègues. Par contre, lorsque les employés ont besoin d’une formation (initiale ou continue) plus poussée, les choses se corsent. La croissance très rapide des secteurs des EnR rend difficile l’adaptation de l’offre de formation. Elle se structure, mais pas toujours aussi vite que l’ accélération du secteur le nécessiterait.
Concernant la formation initiale, certains centres de formation de techniciens ou d’ingénieurs ajoutent des modules spécifiques à telle ou telle forme d’énergie, mais ce mouvement n’est pas très concerté ni assez rapide. Un exemple dans l’isolation du bâtiment, pour ceux qui souhaitent se spécialiser, diverses formations existent déjà en rénovation énergétique, écoconstruction ou construction durable. Mais d’après Laure Voron, codirectrice de l’Association savoyarde pour le développement des énergies renouvelables (Asder) : « Il faut faire évoluer les formations d’ouvriers tels que plaquiste, maçons ou constructeur bois. De notre côté, nous voulons développer un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) formant des ouvriers en écoconstruction, capables de faire de la maçonnerie avec des matériaux d’origine naturelle et renouvelable, de la construction bois avec une isolation renforcée. »
Dans le secteur de l’éolien, la structuration de l’offre de formation a bien commencé. « Nous avions un fort besoin de clarification pour le niveau BTS pour lequel y a le plus d’emplois à pourvoir. Nous avons été entendus. Il y a désormais un BTS en maintenance des systèmes, option systèmes éoliens. Reste à étoffer le nombre de sites qui proposent ce cursus », indique Rachel Ruamps, chargée de mission économie et industrie à l’association France Énergie éolienne. Ce chaînon de l’offre ayant été mis à plat, les autres niveaux ont encore besoin de l’être. Ainsi « les licences professionnelles manquent encore d’homogénéité : il n’y a pas de référentiel commun, les noms des formations et les spécialités varient d’un établissement à l’autre », poursuit-elle.
Formation professionnelle et continue
Concrètement, la structuration de l’offre dépend beaucoup de l’Éducation nationale d’un côté, pour définir les programmes, et des Régions de l’autre. En effet, elles sont responsables sur leurs territoires des orientations de la formation professionnelle. C’est parfois un bon moyen d’avancer vite: « Les Régions sont aussi très impliquées dans le développement de l’hydrogène sur leur territoire », se réjouit Stéphanie Paysant, directrice de la communication de France Hydrogène. Un exemple avec le BTS Maintenance des systèmes énergétiques et fluidiques option hydrogène qui doit être lancé en septembre 2021 à Bolbec en Normandie, au coeur de la communauté d’agglomérations Caux- Seine Agglo. L’objectif de la Région et de l’Académie est de répondre aux besoins à venir du territoire : celui-ci accueillera en effet la future usine de production d’hydrogène vert H2V Normandy et un réseau de stations pour la mobilité lourde. « L’idée d’un campus des métiers de l’hydrogène est identifiée dans la stratégie nationale hydrogène. Plusieurs Régions développent cette idée : les Hauts-de-France, la Bourgogne- Franche-Comté, le Grand Est, l’Auvergne Rhône-Alpes, l’Occitanie », poursuit Stéphanie Paysant.
L’autre sujet central est celui de la formation continue. Les choses avancent aussi de manière plus ou moins rapide selon les territoires et les organismes existants. Les secteurs dans lesquels un centre de formation de référence existe semblent privilégiés, comme le solaire avec Ines Formation & Évaluation. Ce dernier suit de très près l’évolution des besoins. « Grâce notamment à notre activité d’évaluation qui nous emmène sur le terrain, nous adaptons nos cursus aux avancées technologiques et structurelles. Par exemple, en 2021 nous proposons de former les adhérents des centrales solaires villageoises à l’installation et à la maintenance », explique Renaud Guicherd- Callin, responsable des opérations chez Ines Formation & Évaluation. L’organisme propose aussi de plus en plus de modules sur l’autoconsommation puisque la pratique se développe.
Multiples acteurs
Lorsqu’un tel centre de référence n’existe pas, la situation de l’offre va dépendre de la stratégie des acteurs – d’une association, d’un syndicat, des chambres consulaires, des entreprises… Prenons le cas du biogaz et la formation des agriculteurs. Dans ce domaine, une partie de l’offre est généralement élaborée par les élus des Chambres régionales d’agriculture en fonction de leurs priorités politiques et des spécificités de la région : son climat, ses productions, etc. Ainsi, comme le détaille Régis Le Carluer, responsable d’équipe Énergie climat agroforesterie à la Chambre d’agriculture de Bretagne : « dans notre région où il y a beaucoup d’élevage, nous proposons des formations axées sur la méthanisation des effluents.» À noter que cet organisme consacre l’essentiel de ses formations à une aide à la décision pour développer des projets de photovoltaïque et de méthanisation, ainsi qu’à l’optimisation énergétique des installations. Le PV recueille aujourd’hui plus de candidats que la méthanisation, plus complexe.
Les entreprises s’engagent
Pour compléter l’offre existante, certaines entreprises qui peinent à recruter des profils dont elles ont besoin n’hésitent pas à créer leurs propres structures de formation. C’est par exemple le cas de Symbio, qui conçoit et fabrique des piles à combustible pour les véhicules. Fin avril 2021, la société a annoncé la création de la Symbio Hydrogen Academy. En cours de certification comme organisme de formation, l’académie dispensera des cycles spécifiques aux métiers de l’hydrogène en partenariat avec plusieurs écoles, industriels et acteurs de la région Auvergne Rhône-Alpes. L’organisme proposera à la fois des formations initiales et continues, pour des métiers allant du technicien à l’ingénieur. Il ambitionne de former trois cents personnes chaque année « sur des thématiques assez larges. Notre objectif est que toute la filière mobilité hydrogène puisse en bénéficier. Le développement de l’hydrogène devra passer par celui de l’ensemble de la filière et la montée en compétence », explique Maria Alcon Hidalgo, responsable communication de Symbio. Autre exemple toujours dans le secteur de l’hydrogène : Hyseas Energy. Cette PMI cannoise conçoit et produit des piles à combustible pour la mobilité maritime et fluviale. Notamment pour exploiter une navette développée avec les bateliers de la Côte d’Azur, à Toulon. Ce bateau devrait pouvoir accueillir jusqu’à 200 passagers par trajet dès son lancement en 2022. « L’hydrogène est un carburant volatil. Nous avons donc une approche de la sécurité très poussée. Pour la garantir, il faut que le professionnel qui exploite le bateau comprenne le fonctionnement de la pile à combustible de forte puissance et soit capable de réagir à toute situation », explique Arnaud Vasquez, président fondateur de Hyseas Energy. D’où une offre de formation continue destinée aux professionnels de la mer. « Nous tablons sur plusieurs centaines de personnes formées chaque année. La demande existe, et nous devons y répondre. Il faut que les professionnels sachent qu’ils peuvent s’équiper car tout est prévu pour accompagner cette nouvelle technologie », affirme-t-il.
La reconversion en forte demande
Au-delà de la formation initiale et continue, il existe encore un segment particulier : la reconversion. Cette offre est très diversifiée. Certains candidats se lancent dans des BTS, d’autres font appel à des organismes tels que l’Ines ou Asder. Cette association se voit très sollicitée par des personnes en transition voire en reconversion, notamment pour ses cursus de chargé de projet énergie et bâtiments durables et de chef d’équipes en performance énergétique du bâtiment. « Il y a Si beaucoup de demandes notamment depuis le premier confinement », indique Laure Voron. Même constat à Ines Formation & Évaluation : « il y a un manque criant d’offre de formations dans le solaire : nous refusons des stagiaires car nos formations sont complètes. Pour augmenter notre propre offre, nous peinons à trouver les experts formateurs : il faut des personnes possédant une expérience de terrain et une bonne maîtrise technique », constate Renaud Guicherd-Callin. Afin d’aider à la reconversion, des organismes tels que l’Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) ou Pôle Emploi cherchent parfois à définir des formations spécifiques avec ces organismes. Par exemple, suite à un besoin exprimé par Pôle Emploi, l’Ines Formation & Évaluation crée actuellement un cursus destiné à former des poseurs en PV. « Jusqu’ici l’offre dans le secteur du solaire photovoltaïque a été beaucoup axée sur les profils de techniciens, capables de dimensionner une installation et de la connecter. Mais il nous manque des poseurs. Dans le secteur résidentiel, les couvreurs et charpentiers se sont formés : les compétences sont déjà là. Mais pour les grandes centrales industrielles, sur les grands bâtiments, nous manquons de poseurs qualifiés capables de fixer des panneaux sur les rails, connaissant les risques. Nombre de projets actuels sont donc obligés de faire appel à des travailleurs détachés, venus d’autres pays européens », décrit Renaud Guicherd-Callin.
Dans le même ordre d’idée, l’Asder intervient dans certaines formations de façadier « ITÉiste » [NDLR : ITE signifie isolation thermique par l’extérieur] portées par l’Afpa et destinées aux demandeurs d’emploi sans qualification particulière. Toutefois, malgré les bonnes perspectives d’emploi pour ce type de profi l, les candidats restent rares. « Ce sont des métiers difficiles. En outre, les enjeux portés par ces professions ne sont pas toujours connus. Lorsque nous expliquons aux stagiaires en quoi leur métier peut avoir un impact positif sur le développement durable, nous sentons que leur motivation augmente », plaide Laure Voron.
Des métiers difficiles
Car outre la structuration de l’offre de formation, le revers de la médaille est évidemment le nombre de candidats. Certains métiers des énergies renouvelables peinent parfois à séduire, pour des raisons variées. Il y a tout d’abord les conditions pratiques de travail : tâches en extérieur pour les métiers du bâtiment, de l’éolien, du solaire ; mobilité géographique pour les responsables commerciaux ou les agents de maintenance. À quoi s’ajoutent pour ces derniers des astreintes en soirée ou le week-end. Dans le cas plus précis de l’éolien, il faut aussi « ne pas être sujet au vertige, et savoir travailler en équipe de deux à trois personnes et en autonomie, puisque chaque équipe est autonome », rappelle Rachel Ruamps. Autre écueil: « il y a une pénurie de main-d’oeuvre dans les métiers de chantiers car aujourd’hui les filières manuelles ont du mal à séduire », selon Laure Voron. Les formations consacrées à l’isolation extérieure, comme façadier ITÉiste, peinent à se remplir. Même son de cloche du côté de France Énergie Éolienne : « La voie professionnelle est encore beaucoup trop dévalorisée en France », regrette Rachel Ruamps.
Profils en tension
Enfin, une dernière difficulté découle directement de celle-ci: la concurrence est féroce pour attirer les talents entre les différents secteurs, du fait du déficit de profils de techniciens et d’ingénieurs. La croissance concomitante de tous les secteurs ne fait que l’exacerber. « Certains métiers sont déjà en tension dans les filières industrielles, par exemple les profils à même d’intervenir dans l’électronique de puissance ou les soudeurs », note Stéphanie Paysant. Un cas particulier est celui des agriculteurs. D’après Régis Le Carluer, ils sont demandeurs de formations, mais « ils ont des difficultés à libérer du temps. Nous avons beau organiser les formations au plus près des territoires, souvent ils ne peuvent pas se libérer. En outre, s’ils prennent un remplaçant le temps de leur stage, ils doivent le rémunérer et ce coût n’est pas subventionné ». Une aide financière supplémentaire pourrait donc être décisive dans ce secteur. D’une manière plus générale, les différentes branches professionnelles ont à faire un gros travail de communication pour attirer leurs futurs employés. « Les étudiants ne connaissent pas suffisamment les opportunités professionnelles de la filière éolienne. C’est assez rare d’avoir des filières aussi porteuses de sens, qui proposent des taux d’employabilité de plus de 90 % pour des CDI en régions », souligne Rachel Ruamps. Laure Voron indique de son côté que : « Les professionnels du bâtiment oeuvrent pour redorer l’image du secteur auprès des divers candidats. » Une tâche encore immense et qui devient urgente, face au déficit grandissant de talents.
Vu la rapidité de l’évolution des secteurs des énergies renouvelables, nombre de métiers et d’expertises, ainsi que les formations qui permettront de les acquérir en sont encore à l’étape de l’esquisse :
- Divers acteurs de la formation s’intéressent à l’agrivoltaïsme, comme Ines Évaluation et Formation. De leur côté, les chambres d’agriculture réfléchissent au cadre de référence de cette nouvelle activité. Les formations devraient donc voir le jour ;
- Une connaissance des matériaux isolants biosourcés sera de plus en plus utile aux métiers de la construction ;
- Dans l’éolien de nouveaux métiers vont apparaître pour le démantèlement des parcs en fin de vie d’ici trois ou quatre ans.