Le déploiement de l’électrification des opérations au sol des aéroports

24 09 2024
Clarisse Degert-Ribeiro
© ADP

Tant sur le plan mondial qu’européen, le transport aérien et l’industrie aéroportuaire ont pour objectif de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, notamment par l’optimisation des opérations au sol. Ainsi, les aéroports devront déployer, dans la mesure du possible, l’électrification de leurs infrastructures.

La décarbonation du transport aérien, qui représente entre 2 et 3 % des émissions de CO2 au niveau mondial (Rapport « Aéroports zéro émission », UAF, 2021), fait désormais partie des enjeux européen et international. L’Union européenne (UE) a ainsi fixé deux objectifs contraignants, consistant en une réduction nette des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour 2030 et l’atteinte d’une neutralité climatique d’ici à 2050 (Règl. [UE] 2021/1119, 30 juin 2021, JOUE 2021 L 243, p. 1). Les États membres de l’International Civil Aviation Organization (ICAO) ont également adopté un objectif mondial à long terme (Long-Term global Aspirational Goal (LTAG)) ambitieux de réduction à zéro des émissions nettes de carbone à l’horizon 2050 (Résolution, Assemblée ICAO, 7 oct. 2022).

S’agissant de l’industrie aéroportuaire, l’électrification des opérations au sol constitue l’un des leviers pour décarboner les aéroports. Si celle-ci vise à installer divers points de recharge électrique pour alimenter le parc des engins évoluant en piste autour des aéronefs en escale, elle concerne surtout l’avenir des groupes auxiliaires de puissance (Auxiliary Power Unit (APU)) qui fournissent notamment à ces aéronefs l’énergie nécessaire pour la mise en route des réacteurs, la climatisation et le fonctionnement des appareils embarqués. Alimentés par le kérosène des aéronefs, ces équipements s’avèrent en effet insuffisamment compatibles avec l’écologie.

La substitution à l’APU, voire sa suppression, consisterait à utiliser des servitudes fixes ou mobiles. Dans le premier cas, l’alimentation des aéronefs en électricité serait fournie via l’installation de bornes de recharge électriques, au moyen de réseaux de câbles intégrés aux passerelles d’embarquement ou positionnés dans des galeries techniques enfouies dans les chaussées des aires de stationnement. Dans le second cas, ladite alimentation serait assurée par des groupes électriques (Ground Power Unit (GPU)). Partant, la maîtrise et l’optimisation des opérations au sol s’avèrent indispensables pour les aéroports. Toutefois, le système international diffère totalement du droit européen.

Engagement volontaire au niveau mondial

Sur le plan international, des aéroports sont volontairement engagés dans la réduction des émissions de GES. Lancé en 2019 par l’Airports Council International Europe (ACI Europe), l’Airport Carbon Accreditation (ACA) demeure le seul programme mondial de certification en matière de gestion carbone des aéroports engagés volontairement. Les démarches entreprises par ces derniers afin de gérer et de réduire leurs émissions de GES sont ainsi évaluées et reconnues, de manière indépendante, grâce à sept niveaux de certification allant du niveau 1 Cartographie (level 1 mapping) au niveau 5 (level 5).

Au 6 septembre 2024, 586 aéroports ont reçu une certification, dont plus de 80 français, incluant celui de Toulon Hyères*. Ce dernier est le premier aéroport de l’Hexagone à atteindre zéro émission nette sur son périmètre d’activités, et à parvenir au niveau de certification le plus élevé, à savoir le level 5. D’autres aéroports ont également été certifiés, comme Cannes-Mandelieu, Lyon-Saint-Exupéry, Nice Côte d’Azur, lesquels ont atteint le level 4 transition ; ou encore comme Marseille Provence, Paris-Charles de Gaulle (CDG), Paris-Orly, lesquels ont atteint le level 4 transformation.

Plusieurs actions et projets sont actuellement menés par ces aéroports, ayant notamment pour objectif le verdissement de leurs opérations au sol par l’utilisation prioritaire d’engins propres et l’électrification des postes avions éloignés via l’installation de prises électriques.

Objectifs environnementaux de l’UE

Sur le plan européen, les aéroports sont légalement tenus d’atteindre les objectifs environnementaux contraignants de l’Union. Le paquet « Fit for 55 » (COM [2021] 550 final), présenté par la Commission le 14 juillet 2021, propose non seulement d’actualiser et de réviser la législation de l’UE, mais également d’assurer la conformité de ses politiques aux objectifs climatiques inscrits dans la « Loi européenne » (Règl. [UE] 2021/1119, 30 juin 2021, JOUE 2021 L 243, p. 1).

Faisant partie de ce paquet, la règlementation sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs (Alternative Fuels Infrastructure Regulation (AFIR)) a été révisée. Le Règlement (UE) 2023/1804 du 13 septembre 2023 a ainsi été approuvé, son application ayant été reportée au 13 avril 2024 (Règl. [UE] 2023/1804, 13 sept. 2023, JOUE L 234, p. 1). Afin que le droit français soit conforme au droit européen, une nouvelle loi, la n° 2024-364 du 22 avril 2024 a dû être adoptée (Loi n° 2024-364, 22 avr. 2024, JORF n° 0095 2024).

L’article 12 du Règlement (UE) 2023/1804 précité prévoit que pour toutes les opérations de transport aérien commercial, la fourniture d’électricité aux aéronefs en stationnement devra être assurée au plus tard le 31 décembre 2024 à tous les postes de stationnement au contact (ceux situés dans une zone éloignée de l’aire de trafic de l’aéroport, équipés d’une passerelle d’embarquement des passagers) et au plus tard le 31 décembre 2029 à tous les postes de stationnement au large (ceux situés dans une zone désignée de l’aire de trafic de l’aéroport qui ne sont pas équipés d’une passerelle d’embarquement des passagers).

Alors que l’« électrification des usages joue un rôle essentiel » (AR6 Synthesis Report : Climate Change 2023, 13-19 mars 2023, Groupement intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec)), le Règlement répond aux enjeux climatiques par la limitation de la consommation en kérosène provenant principalement de l’utilisation des moteurs au profit de l’utilisation d’un approvisionnement externe en électricité des aéronefs en stationnement ; par la réduction des émissions sonores ; et par l’amélioration de la qualité de l’air.

Exclusions et limites de l’article 12

L’article 12 susvisé suscite plusieurs commentaires. D’une part, les obligations prévues audit article 12 ne s’appliquent qu’au transport aérien commercial, tel que défini par l’article 3 du Règlement (UE) 2018/1139 du 4 juillet 2018 (Règl. [UE] 2018/1139, 4 juil. 2018, JOUE L 212 2018, p.1). Les vols non commerciaux sont exclus du champ d’application du droit européen. Ainsi, l’embarquement ou le débarquement des passagers, et le chargement ou le déchargement de marchandises seront concernés, à condition que de telles opérations soient effectuées contre rémunération ou à tout autre titre onéreux.

D’autre part, les postes spécialement destinés au dégivrage, les postes situés à l’intérieur de zones militaires désignées et les postes spécialement destinés aux aéronefs de l’aviation générale de moins de 5,7 tonnes au décollage sont exclus de l’article 12 précité. Ledit article ne concerne que les aéroports du réseau central et du réseau global faisant partie du réseau transeuropéen de transport (RTE-T), lequel a pour objectif la réalisation d’un réseau multimodal et interopérable à l’échelle de l’Europe garantissant l’accessibilité et la connectivité de toutes les régions de l’Union, tout en respectant les objectifs généraux continentaux en matière de neutralité climatique et d’environnement.

Conformément à l’Annexe II du Règlement (UE) 2024/1679 du 13 juin 2024 (Règl. [UE] 2024/1679, 13 juin 2024, JOUE L 2024) intitulée : « Liste des noeuds du réseau trans européen de transport », 27 aéroports français y sont référencés. Si les aéroports de Bordeaux-Mériganc, Lille-Lesquin, Lyon-Saint-Exupéry, Marseille Provence, Nice Côte d’Azur, Paris-Charles de Gaulle, Paris-Orly et Toulouse Blagnac sont classés dans le réseau central ; les aéroports comme Paris-Beauvais, Montpellier Méditerranée ou Nantes Atlantique sont inscrits dans le réseau global.

En outre, alors que le réseau central étendu et le réseau global doivent être progressivement achevés respectivement en 2040 et en 2050, le réseau central doit être développé en priorité et terminé en 2030. Pour autant, les obligations pesant sur les aéroports visés par le Règlement (UE) 2023/1804 susvisé doivent être atteintes avant 2030 puisque l’équipement du réseau RTE-T en infrastructures pour carburants alternatifs vise à assurer la transition vers une mobilité à émissions faibles, voire nulles.

Toutefois, l’article 12 précité prévoit la possibilité pour les États membres d’exempter les aéroports du réseau RTE-T comptabilisant en moyenne moins de 10 000 mouvements de vols commerciaux par an au cours des trois dernières années, de leurs obligations concernant les postes de stationnement au large. En tout état de cause, si ledit article 12 vise « les aéroports », il n’identifie finalement pas les acteurs aéroportuaires concernés. Partant, la mise en place des obligations prévues par cet article nécessitera en pratique la prise en compte de la configuration de la plateforme aéroportuaire. Ainsi, selon les situations rencontrées, les entités gestionnaires comme d’autres prestataires de services d’assistance en escale seront notamment amenés à proposer des moyens de substitution fixes ou mobiles à l’APU. .

Critiques de l’article 12

L’article 12 susvisé reste critiquable. Sur le plan économique, en raison du volume des vols concernés, l’importance des coûts d’investissement et de maintenance des infrastructures et des équipements de substitution pourrait s’avérer disproportionnée non seulement par rapport aux avantages pour l’environnement, mais également par rapport à d’autres investissements plus efficaces pour réduire les émissions de GES. Par ailleurs, ces mêmes raisons expliquent que de tels systèmes ont tendance à se généraliser pour les avions stationnés aux portes d’embarquement, mais pas encore ceux stationnés au large.

Toutefois, afin d’atteindre les objectifs fixés par le Règlement (UE) 2023/1804 susmentionné et de pallier ces difficultés économiques, les projets de déploiement d’infrastructures d’approvisionnement en carburants alternatifs (notamment électrique) le long du réseau RTE-T dans le secteur aérien peuvent être financés.

C’est dans ce contexte que la Commission européenne avait lancé le 29 février 2024 un nouvel appel à projets, à savoir la Facilité pour les Infrastructures de Carburants Alternatifs (AFIF pour Alternative Fuels Infrastructure Facility 2024/2025) avec une première date de clôture fixée au 24 septembre 2024. Le 10 avril 2024, elle avait ainsi annoncé la sélection de 42 projets de déploiement de telles infrastructures, dont cinq projets français d’électrification des opérations au sol concernant les aéroports de Bordeaux-Mérignac, Lyon-Saint- Exupéry, Marseille Provence, Bâle- Mulhouse et Nantes Atlantique. De tels projets s’inscrivent notamment dans la continuité de ceux portés par les aéroports des groupes Aéroports de Paris ou Aéroports de la Côte d’Azur visant la décarbonation des opérations au sol.

Sur le plan opérationnel, les difficultés portent sur la capacité et la disponibilité des équipements de substitution. Par ailleurs, aucune disposition spécifique n’avait été envisagée concernant les équipements relatifs à la fourniture d’air conditionné pour les aéronefs en escale. Un tel vide a désormais été comblé par le Règlement (UE) 2024/1679 susvisé. En l’absence de dérogations sollicitées par les États membres, il prévoit que les aéroports du réseau central et du réseau global dont le volume total du trafic des passagers est supérieur à quatre millions disposent d’infrastructures assurant la fourniture d’air conditionné aux aéronefs en stationnement aux postes de stationnement au contact utilisés pour les opérations de transport commercial au plus tard le 31 décembre 2030 pour les aéroports du réseau central et le 31 décembre 2040 pour les aéroports du réseau global. Compte tenu de ce qui précède, l’électrification des opérations au sol dépendra des capacités économiques et opérationnelles de l’ensemble des acteurs aéroportuaires. 

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