La longue transition des établissements de santé

Les établissements de santé sont soumis à des obligations réglementaires toujours plus importantes pour réduire leurs consommations d’énergie et se décarboner. Si certains ont déjà entamé leur transition depuis des années, d’autres ont plus de mal à se lancer. Toutefois, cette transition pourrait s’avérer indispensable dans un contexte de tension sur les prix de l’énergie. Sans cela, les factures pourraient exploser et mettre à mal les comptes du secteur.
Le secteur de la santé est très important en France. Il représente 2,5 millions d’emplois, soit plus de 9 % de la population active et contribue à hauteur de 11,3 % au produit intérieur brut (PIB). Par conséquent, il est aussi un émetteur de CO2 substantiel. Il en rejette plus de 46 millions de tonnes chaque année, soit entre 7,5 % et 8 % des émissions françaises selon le Shift Project (1). D’après l’organisation, le chiff re pourrait même atteindre jusqu’à 50 Mt par an. Comme beaucoup de secteurs, les émissions ne sont pas majoritairement dues à l’énergie : les sources de combustion (Scope 1) et la consommation d’électricité (Scope 2) sont respectivement responsables de 4,5 Mt (10 % des rejets) et 1,5 Mt (3 %). Les émissions annuelles sont surtout la conséquence de l’achat de médicaments (15,6 Mt soit 33 %), d’équipements médicaux (10 Mt soit 21%) et des transports des usagers et des salariés (7,2 Mt soit 16%), des postes qui relèvent du Scope 3 (2). Pour se décarboner, le secteur devra baisser ses émissions de 5 % par an jusqu’en 2050. Compte tenu de l’importance des médicaments et des équipements médicaux dans son bilan, il ne pourra pas se contenter de décarboner ses sources d’énergie et d’isoler ses bâtiments pour avoir des résultats probants. Or, les établissements de santé connaissent souvent très mal leurs émissions. Environ un quart des bilans carbone rendus publics se limitent au minimum requis, c’est-à-dire à la consommation directe d’énergie.
La réglementation se durcit
Une réglementation se met peu à peu en place pour moins consommer d’énergie. Les établissements de santé représentent une consommation d’énergie annuelle de 21,5 TWh, soit 2 % de la demande nationale, avec une moyenne de 195 kWhep/m². Éco-énergie tertiaire est une obligation qui engage l’ensemble des acteurs du tertiaire vers la sobriété énergétique. Issue du décret Tertiaire, elle impose depuis 2021 de réduire progressivement la consommation d’énergie dans les bâtiments d’une surface supérieure ou égale à 1 000 m². Pour y parvenir, les actions déployées devront être plus larges que la seule rénovation énergétique. Elles devront aussi porter sur la qualité et l’exploitation des équipements et le comportement des usagers. L’objectif est de baisser la consommation d’énergie finale sur l’ensemble du parc tertiaire de 40 % en 2030 et de 60 % vingt ans plus tard. Les établissements de santé devront donc se conformer à cet objectif sous peine de sanctions mais qui restent assez limitées. Elles reposent principalement sur le principe du « name & shame » et éventuellement sur une amende administrative allant jusqu’à 7 500 euros pour les personnes morales.
Pour aider le secteur de la santé à respecter cette obligation, le ministère de la Transition écologique, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap), lancent un appel à manifestation d’intérêt (AMI) en vue de financer un réseau de 150 conseillers en transition énergétique et écologique en santé (CTEES). L’enveloppe est fixée à 10 millions d’euros par an jusqu’en 2024 pour encourager les recrutements. Les établissements devront donc baisser leurs consommations et pas seulement en cas de travaux. L’arrêté du 13 juin 2008 exigeait déjà une performance énergétique minimale des bâtiments existants de surface supérieure à 1 000 m² lorsqu’ils faisaient l’objet de travaux de rénovation importants. Pour les bâtiments neufs, le secteur est contraint par le réglementation thermique 2012 qui impose une limite haute de consommation énergétique à 50 kWh/m2. Si cette accumulation d’obligations peut sembler contraignante, elle peut aussi aider les établissements du point de vue budgétaire alors que le prix de l’énergie, en particulier des fossiles, augmente. « Depuis dix ans, nous avons à peu près la même consommation malgré le fait que nous ayons ouvert des bâtiments nouveaux et acquis du matériel médical supplémentaire. Mais notre facture a pris plus de 60 % », relate Bernard Jourdain, chargé du développement durable au Centre Hospitalier (CH) de Niort.
Cette hausse des prix, qui se renforce avec la guerre en Ukraine, pourrait donc rapidement mettre à mal les hôpitaux qui consacrent jusqu’à 10% de leurs budgets à ce poste de dépense. Un doublement des factures est d’ailleurs attendu dès l’année prochaine. Les économies sont donc indispensables mais pas forcément simples à mettre en œuvre en dehors des espaces de bureaux et d’accueil. « Nous sommes déjà soumis à de nombreuses réglementations liées à notre activité de soin qui sont extrêmement contraignantes et qui ne tiennent pas forcément compte de la transition énergétique. Par exemple, une salle d’opération a besoin d’un renouvellement d’air important et de maintenir une température et une hygrométrie constantes, ce qui est très énergivore. Nous aimerions exclure une partie de ces locaux du décret tertiaire car nous aurons du mal à modifier les règles sanitaires imposées par les Agences régionales de santé (ARS) », souligne Bruno Lespinasse, directeur technique du groupe Oc Santé qui gère 18 établissements de soin privés essentiellement en Occitanie, mais aussi à Paris.


Crédit : CHU Toulouse
Baisser ses consommations
Pour moins gaspiller d’énergie, il faut d’abord connaitre précisément ses consommations. Depuis 2015, la réalisation d’un audit énergétique est obligatoire pour les entreprises de plus de 250 salariés. Sont exemptées les entreprises certifiées ISO 50001. De nombreux établissements mettent d’ailleurs en place des systèmes de management de l’énergie et sont certifiés ISO 50001. C’est le cas du CH de Rodez, du CHU de Poitiers ou de l’hôpital Lariboisière. Des diagnostics de performance énergétique (DPE) doivent également être menés par les établissements de plus de 250 m2 accueillant du public. Dans un rapport(3) du Comité pour le développement durable en santé (C2DS) Gautier Lestrade de l’agence Primum Non Nocere estime que « le chauffage représente environ 50 à 60 % des consommations de gaz. […] Les blanchisseries, les process hospitaliers (scanner, radiologie, IRM, etc.) ainsi que l’eau chaude sanitaire sont les principaux postes énergivores ». Une fois les postes identifiés, il n’est pas forcément nécessaire de se lancer dans de grands travaux pour faire baisser la demande en énergie. « Nous observons sur des centaines d’établissements accompagnés qu’en installant des sous-compteurs et en suivant ces consommations finement, il peut résulter des économies intéressantes de l’ordre de 5-6 % par an sur les postes d’émissions ciblés et sans investissement », ajoute Gautier Lestrade.
Rénover les bâtiments est plus efficace mais aussi plus coûteux et complexe. « Nous avons lancé des chantiers d’isolation de combles et des murs par l’intérieur depuis de nombreuses années. Ce qui nous pose des difficultés, ce sont les isolations les plus efficaces par l’extérieur car elles coûtent très cher et les aides financières ne sont pas assez importantes », regrette Bruno Lespinasse. Les travaux plus modestes peuvent souvent être financés par les certificats d’économie d’énergie (CEE). Le CH de Calvi Balagne s’est notamment appuyé sur le dispositif pour se moderniser sans dépenser d’argent. Après le remplacement de son éclairage par des LED, l’établissement a poursuivi sa transition en isolant ses combles, son réseau de tuyauterie d’eau chaude et les points singuliers de sa chaufferie. Accompagné par Hellio-GEO PLC Corse, l’établissement réalise une économie de 450 MWh par an, ce qui représente une somme de 36 000 euros. Malgré la réussite de ce dispositif, de nombreux acteurs regrettent un certain fl ou. « Nous recevons beaucoup de sollicitations mais il est difficile de faire le tri. Il faudrait plus de législation sur ce plan pour qu’on puisse plus facilement faire confiance à des bureaux d’études et des prestataires reconnus et validés », estime Bruno Lespinasse.
Passer aux EnR
Pour à la fois diminuer leurs rejets de CO2 et s’affranchir des prix fluctuants des énergies fossiles, les établissements de soins se tournent progressivement vers les EnR. Beaucoup optent pour des chaufferies biomasse. Des centaines d’installations sont déjà en marche en France. Les CHU de Limoges, Angers, Bordeaux et Toulouse ont notamment basculé vers le bois. Consciente de la hausse de ses besoins de chaleur passés de 15 à 25 GWh après l’ouverture de nouveaux bâtiments, l’administration de l’hôpital haut-garonnais a décidé d’installer deux chaudières de 2,5 MW chacune. Équipées d’un récupérateur de chaleur à condensation, elles couvrent 90 % de ses besoins en chaleur. Le gaz et le fioul ne sont plus que des combustibles d’appoint. La géothermie se développe aussi, mais dans des proportions moindres. La Polyclinique de Blois a par exemple choisi la géothermie avec un complément au fioul.
Pour les besoins en froid, le secteur de la santé plébiscite aussi le géocooling. Cette technologie est utilisée par l’Ehpad de la Courtine, l’antenne du CH d’Aubusson, le CH de Melun ou l’Hôpital Privé Orléans Nord. Lorsque les conditions météorologiques sont favorables, certains choisissent de développer le solaire photovoltaïque. En plus de sa chaudière biomasse, l’hôpital de Carcassonne a installé 20 000 m2 de PV sur des ombrières de parking. La production est estimée à 5,5 GWh et génère plus de 90 000 euros de recette par an. Une seconde centrale est actuellement construite. Elle devrait permettre au centre hospitalier d’être autosuffisant en électricité voire fournisseur pour son territoire. La Clinique Clémentville de Montpellier, gérée par Oc Santé, à de son côté, fait installer des panneaux solaires thermiques sur son toit pour produire de l’eau chaude sanitaire. « Nous lançons aussi une étude pour installer une unité de production solaire photovoltaïque avec stockage par batteries sur un de nos établissements afin de baisser de 25 % à 30 % notre consommation électrique », rajoute Bruno Lespinasse. L’hôpital de Niort, qui a entamé sa transition énergétique dès 2009, s’est approprié un panel assez large de technologie. Il produit sa chaleur grâce à une chaudière biomasse, mais il veut aller plus loin. Il devrait prochainement installer des PV en toiture et sur des ombrières et a déjà construit un bâtiment à énergie positive dédié à la psychiatrie à Parthenay, près de Niort. Pour l’ensemble de ses efforts en matière de réduction de GES, l’établissement a été récompensé par l’ONG Health Care Without Harm en 2020. C’est le premier en France à avoir obtenu cette distinction.
Bilan carbone
L’article L. 229-25 du code de l’environnement impose aussi la réalisation de bilans carbone. Certains hôpitaux n’ont d’ailleurs pas attendu cette obligation pour se lancer. « Nous avons souhaité mesurer nos impacts en faisant des bilans énergétiques et carbone sur l’ensemble des trois Scope dès 2010. Nous en sommes donc à notre troisième bilan », explique Bernard Jourdain. Mais cette démarche très volontariste reste encore exceptionnelle. Les bilans carbone récupérés par le Shift Project pour rédiger son rapport sont peu nombreux par rapport aux obligations légales. Seuls 40 % des établissements publics et moins de 15 % des privés en ont publié. De plus, ils sont très majoritairement incomplets car 35 % d’entre eux n’ont pas déclaré de Scope 3. Il est en effet particulièrement difficile à évaluer pour les hôpitaux. Ils consomment de grandes quantités de médicaments et de matériels médicaux qui représentent plus de 55 % de leurs émissions et dont ils ne maitrisent pas les conditions de production. « Nous avons des exigences carbone vis-à-vis de nos fournisseurs et nous faisons entrer ce critère dans nos achats mais ce n’est pas facile car certains produits et matériels ne sont fabriqués que par un petit nombre d’entreprises, voire une seule », détaille Bernard Jourdain.
De plus, le contenu carbone de ce poste reste relativement peu connu du fait du fort recours à la sous-traitance des industries pharmaceutiques dans des pays comme la Chine ou l’Inde, pas forcément très transparents en la matière. L’impact environnemental sera également très différent en fonction des matières premières nécessaires, du procédé de production utilisé, de l’énergie consommée ou des déchets générés par la fabrication. « Il faut obtenir de meilleures informations en provenance des fournisseurs et développer une stratégie nationale et internationale sur ce sujet. Le National Health Service (NHS) qui gère le système de santé public au Royaume-Uni va mettre en place une initiative en ce sens : dès 2027, il ne signera plus de contrats supérieurs à 5 M€ avec les industries pharmaceutiques qui ne fournissent pas leur empreinte carbone », révèle Marie Kernec, consultante en santé, ancienne directrice de clinique et corédactrice du rapport du Shift Project. Le transport représente aussi un facteur fondamental qui pèse dans les émissions des médicaments, et par conséquents dans celles de l’ensemble du secteur sanitaire.
Décarboner les transports
Toujours dans le Scope 3, les transports de personnes qui représentent 25% des émissions du secteur de la santé restent difficiles à décarboner. Mais de nombreuses initiatives émergent. Au CH de Valenciennes, plus de 60 véhicules de la flotte sont électriques. Le parking est équipé de 24 bornes de recharge. De nombreux établissements mettent à disposition des vélos en partenariat avec des sociétés de location. À Niort, le centre hospitalier a rejoint la plateforme régionale de covoiturage afin d’aider ses agents à trouver un partenaire de trajet. De plus, les cyclistes bénéficient d’un atelier de réparation de vélos sur site. Mais l’hôpital peine toujours à s’entendre avec les autorités locales pour permettent à ses salariés de profiter des transports en commun. « Il y a des bus gratuits mais leurs horaires ne correspondent pas aux pratiques des salariés alors que nous sommes le plus gros contributeur du versement mobilité de l’agglomération », regrette Bernard Jourdain.
Malgré les efforts menés depuis des années, le secteur sanitaire peut et doit encore accélérer. Mais cela ne devrait pas suffire à le décarboner totalement. Si le plan du Shift Project était entièrement mis en œuvre, l’empreinte carbone du système de santé en 2050 atteindrait encore de 22 MtCO2e, soit une baisse de 50% des émissions par rapport à 2020. Il faut donc travailler en amont, en particulier sur les changements de pratiques et la prévention. « Il est essentiel que tous les acteurs du système de santé soient formés à ces enjeux, en particulier les étudiants qui sont très demandeurs en la matière », estime Marie Kernec. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que des gens en bonne santé, c’est aussi moins d’hospitalisations et donc moins d’émissions. « Il faudrait plus investir dans les actions de préventions et d’éducation à la santé qui représentent une part minime du budget de la santé car même en étant très vertueux, la pression qu’il y aura sur le système ne permettra pas d’atteindre les objectifs des accords de Paris », poursuit la corédactrice du rapport. Cela sera d’autant plus important que le réchauffement climatique va peser sur la santé des Français et que la population vieillit.
(1) Décarboner la santé - The Shift Project – Novembre 2021
(2) Le Scope 1 représente les émissions directes de gaz à effet de serre ; le Scope 2 les émissions indirectes liées à l’énergie ; le Scope 3 les autres émissions indirectes.
(3) L’hôpital agit pour la planète