Les filières s’organisent face au besoin d’ingénieurs et de techniciens
Les ambitions françaises en matière de transition énergétique et d’électrification des usages impliquent un fort besoin en recrutement. Les entreprises des secteurs concernés – nucléaire, éolien, production et distribution d’électricité entre autres – ne restent pas les bras croisés, multipliant les actions, du lancement d’opérations de communication au développement de l’alternance.
Après l’hydrogène en 2020, est venu en 2022 le temps du nucléaire, du solaire et de l’éolien offshore : les annonces gouvernementales se succèdent et gonflent l’optimisme d’un secteur tout entier, lui faisant miroiter allègements réglementaires, appels d’offres ou commandes d’État. Ainsi, en février 2022, lors d’un déplacement à Belfort, le président de la République a dessiné une stratégie française de l’énergie s’appuyant sur le solaire, l’éolien – surtout en mer, les objectifs de l’éolien terrestre étant quant à eux revus à la baisse – et le nucléaire. L’éolien en mer doit ainsi par exemple passer à 40 GW en service en 2050, contre 480 MW aujourd’hui. Cela signifie le lancement d’une cinquantaine de parcs. La filière ambitionne de créer 20 000 emplois d’ici 2035. Côté nucléaire, il est entre autres prévu de construire six centrales EPR 2 d’ici 2050 et de prolonger la durée d’exploitation des réacteurs existants. Le secteur table sur un besoin d’environ 100 000 recrutements équivalents temps plein sur dix ans. Outre la production, l’ensemble des filières est donc concerné. Ainsi, « Enedis, qui raccorde au réseau public de distribution d’électricité 100 % des infrastructures de recharge pour véhicules électriques et près 90 % des énergies renouvelables, prévoit 2 900 embauches en 2023 », explique Nicolas Marchand, le directeur ressources humaines d’Enedis.
Profils industriels
Ces choix politiques signifient pour les entreprises un besoin en commerciaux et personnels administratifs, mais aussi et surtout en profils de techniciens et d’ingénieurs : concepteurs, électriciens, installateurs, techniciens de maintenance, ingénieurs contrôle commande… « Hier, le niveau de chômage était important : quand on arrivait dans un territoire et que l’on annonçait la création de 7 500 emplois, on était très bien reçus. Aujourd’hui, lorsque l’on dit à Penly en Normandie qu’autant de postes vont être créés pour la construction de l’EPR 2, on nous répond “Mais où va-t-on les trouver ?”. On a changé de paradigme », décrit Olivier Bard, délégué général du Gifen, le syndicat professionnel de l’industrie nucléaire française. Souvent, les postes ne sont pas spécifiques au secteur considéré : soudure, chaudronnerie, électricité, logistique…
Le Gifen a mené une vaste enquête pour connaître les besoins en recrutement et en formation de la filière nucléaire face aux ambitions présidentielles. Baptisée Match, elle indique que « le profil le plus recherché est “chef de projet”… La plupart du temps, on entre dans notre secteur avec une formation généraliste », signale Olivier Bard. Nombre des métiers en tension relèvent du domaine de l’industrie. La pénurie est dès lors partagée par tous les acteurs de la transition énergétique, mais aussi par le reste du tissu industriel. La désindustrialisation de la France des dernières décennies se fait sentir. Les profils recherchés relèvent aussi parfois du domaine de la construction ou du génie civil. Les entreprises de la transition énergétique souffrent ainsi de la désaffection générale envers les métiers industriels et de la construction. « Il y avait un souci d’attractivité de la filière nucléaire tant qu’il n’y avait pas de visibilité sur son avenir. Aujourd’hui ce n’est plus le cas ; les difficultés de recrutement sont plutôt liées au manque d’attractivité des métiers industriels », analyse Olivier Bard.
De son côté, Yannick Saint Roch, directeur général du Syndicat des entreprises de génie électrique et climatique (Serce), estime que ses membres pâtissent de la mauvaise image des travaux publics, avec « des métiers en extérieur vus comme pénibles ». Olivier Bard note aussi un défi au niveau des formations de technicien : « il y a un enjeu sociétal de revalorisation du technicien, et donc des filières courtes type bac pro ou brevet technicien supérieur (BTS) ». De cette mauvaise image de certains métiers découle un sous-effectif dans nombre de formations dédiées à la transition énergétique. Ainsi, Ralph Lesca, directeur de l’ingénierie sectorielle BTP à la direction centrale de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), se réjouit de voir que « les formations d’électricien d’équipement bâtiment et d’installateur thermique et sanitaire sont les plus demandées par les stagiaires ». Mais il reconnaît aussi que ces formations ne sont pas pleines, alors que les recruteurs sont là.
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