Le biochar cherche sa place

19 12 2022
Thomas Blosseville
Carbonloop

Présenté comme une matière biosourcée séquestrant le carbone, le biochar semble de prime abord paré de toutes les vertus. Il est pourtant peu utilisé en France. Les projets commencent tout de même à émerger.  

Énergie, agronomie, éco-matériaux... Le biochar se situe à la croisée de multiples domaines, au point d’être « parfois considéré par certains comme une réponse à tout », observe Jacques Bernard, chargé d’études au pôle biocombustibles de l’Association d’initiatives locales pour l’énergie et l’environnement (Aile).
Cette agence locale de l’énergie bretonne s’est attelée au défrichage de ce sujet « complexe » et « difficile à comprendre » qu’est le biochar. Et pour cause : sa production par pyrolyse de la biomasse, balbutiante en France, recouvre en réalité une grande hétérogénéité de situations. La filière commence à se structurer.

Biosourcé et possédant diverses voies de valorisation, le biochar est une solution de décarbonation. Dans la pratique, il est issu d’installations de pyrolyse majoritairement et de gazéification. « En chauffant de la biomasse en l’absence d’oxygène, ces installations génèrent, d’une part, un flux gazeux composé d’hydrogène, de monoxyde de carbone, de CO2 et de méthane », présente Claire Chastrusse, directrice générale de Carbonloop, jeune société fondée en 2021 et spécialisée sur le sujet. Ce gaz de synthèse peut se substituer au gaz naturel, soit par valorisation directe dans un moteur de cogénération ou après purification, par une valorisation en hydrogène ou biométhane pour injection dans les réseaux de gaz. « D’autre part, les unités génèrent un flux de matière solide, le biochar, un concentré du carbone initialement contenu dans la biomasse ». 

Diverses technologies de production

Derrière ce principe générique se cachent plusieurs nuances. Ces différences tiennent entre autres aux technologies employées pour produire le biochar. À titre d’exemple, l’entreprise Etia utilise un procédé basé sur une vis chauffée électriquement, là où d’autres réutilisent dans leur propre installation la chaleur tirée de la valorisation du gaz de synthèse. Autre distinction d’importance : la composition exacte des ressources en entrée. Au final, « il existe presque autant de biochars que de procédés et d’intrants utilisés pour les produire », estime Adrien Haller, PDG de Charwood Energy.

Soler biochar
Crée en 2006, l'entreprise Soler s’est spécialisée dans la transformation de biomasse en énergie, dans des chaufferies, des méthaniseurs et désormais aussi pour la production de biochar. Crédits : Soler

Créée en 2006, son entreprise s’est spécialisée dans la transformation de biomasse en énergie, dans des chaufferies, des méthaniseurs et désormais aussi pour la production de biochar. « C’est un marché naissant, encore mal connu et qui fait face à un grand défi : chaque ressource en biomasse et chaque procédé de production vont influer sur la caractérisation finale du biochar », abonde Emil Soler-My, chef de projet au sein de l’entreprise familiale Soler. Fondée en 1993 par son père et ses oncles, Soler fournissait à l’origine du charbon de bois pour les barbecues. À mesure que des réglementations environnementales ont été instaurées, elle a développé une nouvelle activité. Elle valorise désormais la biomasse notamment sous forme de biochar.

Biochar Soler usine
Crédits : Soler

Développer et structurer

Dans ces conditions, comment structurer la filière ? Depuis 2019, l’association Aile participe au projet européen Three C avec, parmi ses partenaires, l’institut de formation UniLaSalle de Rennes et le pôle Bretagne éco-entreprises (B2E). L’objectif ? Identifier, rassembler et constituer des grappes d’acteurs concernés par le biochar. L’association a constitué une base de données de 244 acteurs français intéressés, que ce soit des équipementiers ou des utilisateurs potentiels.

Cela dit, avant de trouver les bonnes adéquations entre l’off re et la demande, « l’enjeu est de permettre à chacun de s’approprier le sujet dans toute sa transversalité », explique Jacques Bernard. Un groupe de travail a été créé avec le pôle B2E pour partager les connaissances, faire remonter les avancées des acteurs français, organiser des visites de sites ou encore rencontrer des experts. « Après des présentations assez générales, l’objectif est désormais d’approfondir des angles plus spécifiques en étant très opérationnel », poursuit le chargé d’études.

À titre d’illustration, des sessions ont été organisées sur les usages possibles du biochar dans la méthanisation, par exemple pour la filtration, ou sur la réglementation liée au retour au sol. L’un des principaux modes de valorisation prend en effet la forme d’amendements pour l’agriculture. Dans sa prochaine séance, prévue fin décembre, le groupe de travail se penchera cette fois sur la qualification des biochars et les travaux de normalisation en cours au niveau européen.

Faut-il y voir le signe que la filière commence à s’organiser ? L’association Aile prévoit en tout cas d’organiser en mars 2023 un événement qui pourrait constituer les premières assises nationales du biochar. L’enjeu : donner de la visibilité à la filière et, surtout, réfléchir collectivement aux conditions nécessaires à son essor. Dans la foulée, une étude devrait être lancée pour caractériser concrètement et précisément ce produit valorisable. « Le besoin qui nous remonte du terrain, c’est de définir le type et la qualité de biochar à privilégier en fonction des usages que l’on veut en faire », raconte Jacques Bernard.

Amendement pour les sols

Un premier moyen de s’y retrouver consiste à distinguer les acteurs se positionnant spécifiquement comme producteurs de biochar, là où d’autres se définissent plutôt comme des fournisseurs d’énergie décarbonée. Le groupe SLB se trouve dans le premier cas. Historiquement, il était spécialisé dans la reforestation, c’est-à-dire la reconstitution de zones forestières sur des surfaces dégradées. Il possède ainsi 10 000 hectares de forêts en Roumanie, 4 000 au Brésil et 1 600 en France.

Dans l’Hexagone, il a installé à Argentan, dans l’Orne, une unité de pyrolyse. Alimenté par les ressources en bois du groupe, le procédé valorise 1 600 tonnes de biomasse par an pour produire 450 t/an de biochar. « Depuis 18 mois, nous le commercialisons à des viticulteurs, des sylviculteurs, voire des agriculteurs, ainsi qu’à des communautés de communes », expose Stéphane Ledentu, président et fondateur de l’entreprise. L’utilisation comme ressources d’essences forestières « propres » a permis à SLB d’obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM). « Si nous avions valorisé des déchets de bois, nous n’aurions pas obtenu de matière stable en sortie de procédé et donc pas d’AMM », pointe le dirigeant. Ce biochar produit par SLB est « carboné à hauteur de 90 % ».

Il est sans surprise destiné à servir d’amendement pour les sols, la principale voie de valorisation envisagée par la filière. Une fois dans le sol, le biochar ne se dissout pas. Il séquestre donc le carbone. Mieux : étant poreux, il agit comme une éponge absorbant l’eau quand il y en a beaucoup et la restituant quand le terrain s’assèche. Il réduit au passage le lessivage des terres. De même, il va absorber les nutriments et les libérer plus tard. Autre atout : il crée des cavités, aère donc les sols et stimule les micro-organismes. Ainsi présenté, ce carbone biosourcé semble paré de toutes les vertus agronomiques.

Attention toutefois à ne pas considérer le biochar comme un fertilisant. Il ne nourrit pas les sols. « Mais il constitue un maillon qui manquait jusqu’ici pour accompagner le changement des pratiques agricoles et leur transition vers une moindre utilisation des produits chimiques », défend Stéphane Ledentu.

Carbone négatif

Le groupe Soler a choisi un positionnement assez proche de SLB. Il est producteur de biochar, mais aussi d’un produit qu’il baptise « biocarbone ». La différence entre les deux tient notamment à la composition de la matière finale. Le biocarbone se veut neutre en carbone, tandis que le biochar est « carbone négatif », c’est-à-dire que sa production et son utilisation font mieux qu’équilibrer leur bilan d’émissions de gaz à eff et de serre (GES). Elles séquestrent davantage de carbone qu’elles n’en émettent.
Au total, Soler revendique ainsi une production annuelle de 50 000 t de carbone renouvelable. « Nous nous approvisionnons en résidus de l’industrie forestière, comme les chutes de scierie et les déchets de la gestion des forêts, dans un rayon de 50 à 60 kilomètres en moyenne autour de nos installations », décrit Emil Soler-My. En complément du biochar, le groupe familial valorise par cogénération le gaz coproduit lors de la pyrogazéification. Il bénéficie pour cela de tarifs d’achat de l’électricité obtenus dans le cadre d’appels d’offres de la Commission de régulation de l’énergie (Cre).

Soler possède à ce jour trois sites : deux près de Troyes, dans l’Aube, et un troisième depuis l’an dernier à Lacanau, en Gironde. Mais alors que SLB vise des applications de retour du biochar dans les sols, « notre principal marché, ce sont les industriels tels que les aciéries ou la filière du silicium qui utilisent du carbone comme matière première », cible Emil Soler-My. « D’une manière générale, la composition du biochar dépend énormément de la biomasse utilisée et du procédé de fabrication. Cela dit, nos unités utilisent des ressources constantes sur l’année, ce qui nous permet d’affiner la caractérisation du produit final et son dosage en fonction de son utilisation ».

Gaz de synthèse

Carbonloop Biochar
Crédits : Carbonloop

Pour d’autres acteurs de la filière, la production de biochar n’est pas la priorité numéro une. Il est considéré comme un co-produit dont la vente améliore certes la compétitivité du procédé. Mais le produit principal, sur lequel repose leur modèle d’affaires, est plutôt le gaz de synthèse. C’est le cas de Carbonloop. Dans ses projets, cette société de quinze salariés compte tirer la majorité de ses revenus de la vente d’énergie à des industriels soucieux de décarboner leur activité. Typiquement, en utilisant le gaz issu de la pyrogazéification en substitution à du gaz naturel. Le biochar vient en plus et sa vente apporte un revenu complémentaire.

Quels industriels ? « L’important est d’éviter d’arrêter trop souvent l’installation. Nous ciblons donc des sites qui possèdent des besoins permanents en gaz », précise Claire Chastrusse. « Par exemple, des productions dont le procédé requiert des flammes ou de hautes températures, et qui jusqu’ici n’avaient pas d’alternative au gaz naturel ». Ce sont typiquement des acteurs du secteur des matériaux, de l’agroalimentaire, du papier, du verre, etc.

Carbonloop leur propose de décarboner leur activité en consommant du gaz issu de biomasse, mais pas seulement. La start-up va aussi commercialiser pour eux le coproduit que constitue le biochar et ainsi leur permettre d’obtenir des crédits carbone pour compenser leurs émissions restantes. « Le biochar est carbone négatif : le bilan net de la production d’une tonne de biochar, c’est la séquestration de deux tonnes de CO2 », chiffre la directrice générale de Carbonloop. « Ce qui donne droit à deux crédits carbone ».

 

Dynamique de la filière biochar

Energy&+ biochar
Crédits : Charwood Energy

L’entreprise basée à Paris se positionne sur l’installation et l’exploitation des unités de pyrogazéification. Mais ce n’est pas elle qui fournit les équipements. Pour son premier projet, elle s’est associée à Haffner Energy. Cette première installation devrait sortir de terre mi-2023 dans les Yvelines. Elle sera couplée à une unité de cogénération. Le client sera un pôle agricole en cours de création.

Carbonloop vient aussi d’annoncer la signature d’un contrat dans la viticulture, avec un vignoble producteur de Cognac en Charente. L’installation valorisera des résidus de biomasse du vignoble, qui utilisera le gaz de synthèse en substitution à du gaz naturel et le biochar en amendement dans ses vignes. Carbonloop travaille par ailleurs sur une installation où le gaz de synthèse sera cette fois valorisé sous forme d’hydrogène. L’unité est destinée à Hyliko, qui veut développer un réseau de stations pour la mobilité lourde. 

Comme elle, d’autres acteurs sont actuellement engagés dans un changement d’échelle. C’est le cas d’Etia. Après des unités plus petites en Allemagne, en Suisse et en Suède, cette entreprise déploie sa technologie de pyrolyse de la biomasse dans une usine en construction en Norvège. Elle sera capable de produire pas moins de 10 000 tonnes de biochar par an. Etia espère également mettre des unités en service en France, plutôt à l’horizon 2024 ou 2025. « Au vu des prix de l’énergie, les industriels sont demandeurs. Les discussions s’accélèrent », témoigne Eduardo Ariza, business development manager chez Etia.

Même dynamique chez Charwood Energy. L’entreprise investit dans des actifs de pyrogazéification et se rémunère en vendant l’énergie à des industriels. Une première installation est opérationnelle en République Démocratique du Congo pour électrifier un site isolé. « Mais nous avons aussi des projets en développement en France avec des industriels cherchant soit une énergie de substitution au gaz naturel ou soit à produire de l’électricité pour de l’autoconsommation. Les premières unités seront mises en service d’ici à mi-2023 », prévoit Adrien Haller, son PDG.

Des freins persistants 

Biochar
Crédits : Charwood Energy

Tous ces projets préfigurent-ils l’envol de la filière en France ? « Même disponible industriellement, les solutions de pyrogazéification restent freinées par un cadre réglementaire inadapté, qui les assimile à de la combustion et accroît par exemple inutilement les délais d’obtention des autorisations », regrette Eduardo Ariza, d’Etia.

Si la filière se développe, la question des gisements de biomasse et de la concurrence avec d’autres usages, notamment le bois-énergie, sera certainement posée. La filière s’organise en tout cas peu à peu. Un organisme, le « European biochar certificate » (EMC), a notamment rédigé des normes pour pouvoir utiliser ce produit. « Pour une valorisation en amendement dans les sols, il y a aussi le règlement européen 2019/1009, qui a intégré depuis cet été le biochar dans la liste des supports de fertilisation », rappelle Claire Chastrusse.

Reste une inconnue. Le biochar n’est pas encore aussi démocratisé que l’hydrogène, l’éolien, le photovoltaïque ou la méthanisation. Alors que la sortie de la crise énergétique actuelle passe par la recherche d’alternatives aux ressources fossiles, le biochar se fera-t-il connaître assez vite pour en profiter ? 

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