La difficile transition des compagnies pétrolières
Un rapport publié par l’Agence internationale pour les énergies renouvelables analyse les stratégies mises en oeuvre par sept compagnies pétrolières internationales dans le contexte de la transition énergétique. Elles sont plus ou moins avancées dans leur décarbonation mais leurs efforts restent lents. Pourtant, des opportunités s’offrent à elles dans de multiples filières.
Après plus ou moins un siècle d’existence, les grandes compagnies pétrolières doivent se réinventer et accomplir leur transition énergétique. Pour limiter le réchauffement climatique global à 1,5 °C à la fin du siècle, la production mondiale de pétrole doit chuter à 20 millions de barils par jour, soit une baisse de 80 % par rapport à aujourd’hui. Toutefois, selon un rapport publié par l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena), elles peinent encore à changer de paradigme et restent très largement arcboutées sur leurs activités historiques d’extraction d’hydrocarbures. L’organisation a analysé les stratégies en cours et à venir de sept d’entre elles : BP, Chevron, Eni, Equinor, ExxonMobil, Royal Dutch Shell et Total. Deux groupes se dégagent. D’un côté les multinationales européennes, qui se sont donné des objectifs d’émissions de gaz à effet de serre (GES) chiffrés et qui se diversifient afin de devenir des sociétés énergétiques. De l’autre, les entreprises nord-américaines qui ont choisi de rester purement axées sur les combustibles fossiles.
Biocarburant, premier axe de diversification
Depuis 2000, Chevron a bien tenté de développer ses activités dans le solaire, l’éolien et la géothermie. Mais la société a vite renoncé. En effet, le rendement de ces filières est inférieur au pétrole et au gaz, ce qui l’a très rapidement amené à revoir sa stratégie et à se concentrer sur son coeur de métier. En 2019, elle a tout de même annoncé vouloir réduire son intensité carbone d’ici 2023. Pour y parvenir, elle souhaite s’investir dans les énergies renouvelables en nouant des partenariats avec d’autres sociétés, mais uniquement dans les biocarburants ou le biométhane. Dans un avenir plus lointain, Chevron mise sur les réseaux de recharge de véhicules électriques, les voitures autonomes et le captage et stockage géologique de CO2 (CSC).
Comme sa compatriote, ExxonMobil n’est pas très impliquée dans les renouvelables et se concentre actuellement sur les biocarburants et le CSC. Elle est d’ailleurs plus avancée que Chevron dans ces domaines. Elle finance déjà des programmes de recherche dans des universités autour des biocarburants obtenus à partir d’algues ou de biomasse cellulosique. ExxonMobil envisage de produire 10 000 barils de biocarburants de troisième génération par jour en 2025. L’entreprise s’est donnée quelques objectifs de réduction de ses émissions dans un plan publié l’année dernière. Elle s’est engagée à réduire les rejets de GES de ses installations canadiennes d’exploitation de sables bitumineux de 10 % d’ici 2023. Mais cette annonce peut sembler illusoire, voire cynique, compte tenu de l’ampleur de la pollution générée par cette filière. Selon le Département de l’Énergie des États-Unis, le cycle de vie des sables bitumineux émet en général entre 37% et 40% de plus que le pétrole conventionnel.
Les Européens plus avancés que les Américains
Les multinationales européennes sont plus avancées dans leurs transitions énergétiques. Mais elles n’ont pas toutes développé la même stratégie. BP a été la première d’entre elles à se diversifier dans les énergies renouvelables en investissant dans le photovoltaïque et l’éolien dès les années quatre-vingt. Au début des années 2000, la société a créé BP Alternative Energy pour souligner son engagement dans la transition énergétique. Cependant, en raison des difficultés à passer d’un secteur d’activité à l’autre, BP a rapidement annulé plus de la moitié de ses investissements initiaux dans les renouvelables. Malgré ce renoncement, BP détient le parc renouvelable le plus imposant par rapport à ses concurrents : en 2030, il devrait atteindre 50 GW. Et en 2019, la compagnie s’est engagée à devenir neutre en carbone d’ici 2050. Cette promesse est aussi formulée par Equinor. Le groupe norvégien renforce ses activités dans les EnR : il développe ses activités autour du solaire photovoltaïque, de l’hydrogène, mais aussi dans le stockage, l’efficacité énergétique ou les smart grids. Il mise beaucoup sur les énergies marines. Il a développé le projet Hywind Tampen, le plus grand parc éolien off shore flottant au monde qui a une capacité de 88 MW. Son parc renouvelable pourrait atteindre un total de 12 à 16 GW en 2035.
L’italien Eni s’intéresse aussi aux renouvelables. Le groupe travaille d’ailleurs en collaboration avec Equinor (et General Electric) sur des projets éoliens terrestres et maritimes, solaires, les gaz renouvelables et la valorisation énergétique des déchets. D’ici 2025, Eni a prévu de diminuer l’intensité carbone (soit la quantité de GES émis pour une unité d’énergie produite) de sa production de 43 % par rapport à 2014.
Comme ses concurrents européens, Shell diversifie son activité vers l’électricité et les renouvelables, en particulier l’éolien en mer. En 2018, Shell est devenu partenaire du projet éolien offshore de 680 MW Borssele 3 & 4 aux Pays-Bas. Il étend ses activités dans cette filière en Amérique du Nord et a remporté deux appels d’offres sur la côte Est des États- Unis. Enfin, le groupe néerlandais se déploie dans la mobilité électrique. En 2019, il a acquis la start-up américaine de recharge pour véhicules électriques Greenlots. Ce changement de paradigme pourrait lui permettre de réduire ses émissions de CO2 de 30 % d’ici 2035 et de 65% en 2050 (sur le Scope 3) et d’atteindre la neutralité sur les scope 1 et 2 (1).
Total a été une des premières multinationales pétrolière et gazière à basculer vers un modèle beaucoup plus hétérogène, notamment en achetant d’autres entreprises. Le groupe a ainsi investi depuis quinze ans dans un très large éventail de technologies (solaire, éolien, énergies marines, stockage, hydrogène, biocarburants, CCS, etc.) et devrait gérer 35 GW de sources de production renouvelables en 2025. Le groupe envisage de devenir neutre en carbone d’ici le milieu du siècle, mais seulement en Europe et pour le Scope 3. « Une aberration alors que le développement de ses activités se fera à l’avenir principalement hors d’Europe », ont jugé Greenpeace et Reclaim Finance.
Des initiatives insuffisantes
Malgré leur modernité par rapport à leurs homologues nord-américains, les pétroliers du Vieux-Continent restent toujours ancrés dans le passé. Si à long terme, ils ont formulé des objectifs d’émissions et adopté de nouvelles initiatives énergétiques plus vertes, leurs politiques à court terme sont bien moins ambitieuses. Et celles qui se fixent de baisser leur intensité carbone peuvent toujours augmenter globalement leurs émissions. Les baisses envisagées sont de toute façon insuffisantes. « [Elles] se situent entre -20 % et -65 % par rapport à leur niveau historique. Total vise une baisse de 60 %. Or, pour respecter la trajectoire 2°C, c’est une baisse d’environ 75 % qui est nécessaire, voire 90 % si l’on veut respecter la trajectoire 1,5°C », conclut le cabinet Carbone 4 dans une note publiée en juin 2020 (2). Les exploitants d’hydrocarbures en sont loin, d’autant qu’ils investissent toujours beaucoup plus dans les combustibles fossiles que dans les renouvelables.
(1) Le Scope 1 représente les émissions directes, le Scope 2 les indirectes et le Scope 3 les émissions liées à l’utilisation des produits