Urbanisme circulaire : des expériences bruxelloises

Déposer et réutiliser les briques d’un bâtiment, créer des ateliers temporaires pour artisans dans une ancienne usine, s’appuyer sur une étude de métabolisme urbain pour relancer l’exploitation locale d’une forêt… Ce sont trois des initiatives détaillées lors d’un webinaire dédié à des projets menés en Belgique. Petit tour d’horizon.
Le webinaire dédié à l’urbanisme circulaire en Belgique avait pour objectif d’aller voir ce qui se fait au-delà de nos frontières. Organisé le 16 mars 2022 par l’Ademe et l’association Orée, il venait clôturer un cycle des « Circuits de l’économie circulaire ». « Il est difficile de comparer les politiques d’une ville à une autre, car les définitions de l’économie circulaire ne sont pas partout les mêmes », signale Aristide Athanassiadis, chercheur en économie circulaire qui a travaillé à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et œuvre aujourd’hui à l’École Polytechnique de Lausanne. Les stratégies aussi diffèrent, poursuit-il : « par exemple, à la fin des années 2010, Paris voulait agir tout d’abord sur son administration, afin que son action ait valeur d’exemplarité, avant d’aller vers d’autres acteurs ; Bruxelles souhaitait actionner tous les flux et secteurs simultanément ; Londres croyait qu’il fallait jouer sur les opportunités entrepreneuriales ».
Dépose et réemploi de briques
Lors du webinaire, un certain nombre de points des opérations belges pouvaient interpeller les auditeurs français. Tout d’abord en ce qui concerne la réutilisation des matériaux. « Alors qu’en France, nous expérimentons plutôt la production d’agrégats in situ pour fabriquer du béton recyclé, il était intéressant de voir le travail sur la dépose de briques pour leur réemploi », indique par exemple David Canal. Il évoque ici le projet Usquare, qui a été détaillé par Victor Ooghe, chercheur à l’ULB. Ce projet ambitionne de transformer une ancienne caserne de Bruxelles (surface totale du site : 3,9 hectares ; surface plancher des bâtiments existants : 56 000 m2), en un lieu alliant un centre international de recherche, des espaces publics, divers types de logements. En l’occurrence, sur le site « il y avait une large volonté de réemployer les briques », rappelle Victor Ooghe. Toutefois, certaines sont jointes par un mortier ciment, d’autres par un mortier à la chaux. Cela complique le démontage.
Par ailleurs, le réemploi est rendu difficile par leur hétérogénéité : « elles ne présentent pas toutes la même résistance à la compression, au gel… Nous avons étudié, dans chaque bâtiment, les différentes catégories de briques, et fait réaliser en laboratoire des tests pour définir quelle catégorie pouvait être utilisée pour quel nouvel usage », explique Bram Derudder, responsable de projet de l’agence VK Architects & Engineers. Cette agence a étudié pendant deux ans les bâtiments de ce projet et leurs matériaux. À cela s’ajoute un questionnement sur le bien-fondé économique de certains usages. Dans le projet de réhabilitation de deux bâtiments en un centre de recherche, pour lequel l’ULB était maître d’ouvrage, « nous avons envisagé de faire des cages d’ascenseur en briques de réemploi. Toutefois, leur coût était dix fois plus élevé que leur équivalent en béton. Nous avons donc abandonné cette piste », raconte Victor Ooghe. Finalement, sur cette phase du projet Usquare, des briques des bâtiments détruits seront réutilisées pour construire un édifice d’entrée et un long escalier extérieur.
Méga-structures
Sur Usquare, la diminution des flux de matière pour la construction devrait toutefois venir principalement du maintien des méga-structures des bâtiments. Sur l’un des bâtiments étudiés par l’ULB, par exemple, la mégastructure fait plus de 83% du poids en matériaux de l’édifice : 38 % pour les fondations, 29% pour la dalle, 16% pour les colonnes et les poutres. « Pour améliorer la vision du bâti, nous avons procédé à une étude complète des bâtiments avant de commencer les travaux, au lieu de nous contenter des inventaires. Ces derniers sont une photographie des 2 à 5 % des matériaux intéressants. Pour faire de l’économie circulaire, le plus important c’est de maintenir la méga-structure du bâtiment, et ensuite on pense au réemploi de petits matériaux », poursuit le chercheur. À partir de ces études complètes, le chef d’orchestre de l’aménagement du site – la Société d’aménagement urbain de la Région de Bruxelles- capitale – a pu définir des indicateurs de performance à respecter par les architectes et aménageurs. « Nous avons pu dire : sur ce bâtiment il faut maintenir tel pourcentage de matériaux, et il faut que dans les flux sortants du bâtiment il y ait telle proportion de matériaux réemployés sur le site Usquare, etc. », détaille Victor Ooghe. De cette expérience, le chercheur retient une leçon essentielle : pour faire de l’économie circulaire, il faut partir du terrain pour remonter vers la définition des règles de construction et d’urbanisme.
Occupation temporaire
Les modalités des projets Citygate et Circle Park sont très différentes, puisqu’il s’agit d’une occupation temporaire d’un site désaffecté. « Le site se situe dans le quartier de Cureghem, où il y a une forte densité de population, beaucoup de friches et, jusqu’à notre arrivée, peu d’offre culturelle », décrit Samuel Gigot, responsable du projet Citygate pour Entrakt. L’offre d’occupation temporaire, telle que voulue par la société publique de développement citydev.brussels, doit en partie combler ce manque, en animant la vie du quartier et en favorisant sa mixité fonctionnelle. Un bâtiment industriel de deux ailes et sa cour semi-privative ont ainsi été confiés en 2017 à la société Entrakt pendant une durée initiale de quatre ans, qui s’est prolongée. « Notre modèle économique repose sur l’aménagement des lieux, en jouant beaucoup sur le réemploi de matériaux, et leur location à d’autres acteurs », raconte Samuel Gigot. En l’occurrence, « nous avons pu récupérer beaucoup de bois, de blocs béton qui muraient les fenêtres, d’isolants, de faux plafonds. Une partie de ces matériaux, notamment les isolants, ont été réutilisés sur place pour fabriquer les BeModule, des « boites dans la boite », installés sur certains des grands plateaux existants pour former des pièces indépendantes. Sur d’autres espaces, nous avons cloisonné des ateliers pour des artisans, en laissant le sol en béton, sans ajouter d’isolation ni d’habillage », décrit-il. Une fois ce projet terminé, l’objectif est de pouvoir récupérer le maximum des matériaux utilisés, les stocker et les mettre en œuvre sur d’autres sites.
Échelon intermédiaire
Avec ce type d’opération, l’un des points importants de l’économie circulaire peut être mis en avant : « entre les grandes politiques de la région et les micro-initiatives locales, il faut réfléchir à l’échelon du milieu, aux infrastructures et aux espaces fonciers – pour le stockage, la transformation, etc. – qui peuvent permettre aux petits acteurs de grandir et aux politiques de se contextualiser », signale Aristide Athanassiadis. Ce dernier rappelle aussi le préalable à toute définition d’une politique publique en matière d’urbanisme circulaire : la réalisation d’une analyse du métabolisme urbain, c’est-à-dire une étude systémique de tous les flux entrants et sortants et des matériaux stockés dans la ville considérée. Le chercheur se réjouit : « cette analyse, à l’échelle de Bruxelles, a permis de prendre conscience que le bois de la forêt de Soignes, située à proximité de la capitale belge, était exporté en Chine. Cela a débouché sur la création d’une coopérative pour exploiter ce bois localement ». Dans le contexte géopolitique et économique actuel, c’est une preuve de plus du bien- fondé de l’économie circulaire.
Des projets français pour accompagner le renouvellement urbain
En France, les expérimentations d’économie circulaire appliquées au bâtiment se sont multipliées ces dernières années. Dans le département de la Seine-Saint-Denis, plusieurs actions ont été lancées par Plaine Commune pour accompagner les importants travaux de rénovation urbaine actuellement menés, et ainsi limiter les impacts liés à la démolition et la construction de nombreux bâtiments (voir Énergie Plus n°669). Plus au sud, Toulouse Métropole a également débuté le projet Waste2Build en octobre dernier. Financé à 55 % (1,5 million d’euros) par le programme européen Life, ce projet vise à optimiser les ressources et à valoriser les déchets du bâtiment et des travaux publics (BTP), à l’échelle locale, puis régionale. Systématiser l’économie circulaire dans la commande publique sera aussi un des enjeux de ce projet qui court jusqu’en 2026. Quatre objectifs opérationnels ont ainsi été fixés : la réduction de 20 % de l’impact du BTP dans la consommation de ressources et la production de déchets; la structuration de la filière du BTP circulaire ; la mise en place des politiques d’achats plus circulaires ; et enfin la montée en compétence des acteurs. Ces objectifs opérationnels sont bien évidemment accompagnés de résultats chiffrés comme la revalorisation de 85 % des déchets du BTP sur la métropole toulousaine d’ici cinq ans ou l’intégration d’un critère économie circulaire dans 80 % des marchés publics du territoire. Les huit premiers chantiers expérimentaux ont été désignés, notamment la réfection du Lycée Bellevue, et ouvriront un préalable à cinquante autres sur lesquels des déchets devraient être revalorisés dans les cinq ans à venir.