Le port de Bordeaux mise sur l'hydrogène

08 03 2022
Caroline Kim-Morange
D.Trentacosta

La direction du port de Bordeaux fait de l’hydrogène le coeur de sa stratégie. Elle structure un écosystème foncier, énergétique et économique favorable à l’implantation d’électrolyseurs de grande capacité. Le but : installer 1 GW de capacité pour une transition bas carbone de la zone industrialo-portuaire.

Le Grand port maritime de Bordeaux (GPMB), qui est opéré par l’État, a connu en 2018 une double crise, à la fois économique et de gouvernance. Il subissait depuis le milieu des années 2010 une baisse de ses revenus due à la diminution du trafic d’hydrocarbures et de céréales. En outre, le dialogue avec les collectivités locales était rompu. D’où la nomination fin 2018 d’un nouveau directeur, Jean-Frédéric Laurent, qui entreprend rapidement de renouer les discussions et de redéfinir les priorités stratégiques du port.

Une stratégie qui s’articule aujourd’hui autour de l’hydrogène (H2). Avec pour ambition que soient produits sur le territoire portuaire 140 000 tonnes d’hydrogène par an à l’horizon 2030. Cela représente un septième de la consommation française actuelle de ce gaz. Pour cela, il faudrait, d’après le GPMB, installer sur le territoire portuaire une capacité d’1 GW d’électrolyse. À l’horizon 2040, l’objectif est de plus de 300 000 t d’hydrogène avec 2 GW d’électrolyse.

Impulseur et assemblier

« Pour atteindre ce but, nous avons un rôle d’impulseur et d’assemblier. Nous avons nous-mêmes un peu de foncier, que nous pouvons orienter pour favoriser l’implantation d’un certain type d’industries. Nous devons aussi convaincre les collectivités territoriales, les autres entreprises et les propriétaires déjà installés d’aller dans le même sens », explique Michel Le Van Kiem, responsable du département développement, transitions et innovations au GPMB.

En l’occurrence, le port possède quelque 2 500 hectares de patrimoine foncier. Ce sont des terrains parfois difficiles, concernés par les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) ou de risque inondation. Le point focal des projets de développement de l’hydrogène serait la presqu’île d’Ambès, qui accueille déjà une zone industrielle dédiée à la chimie et aux hydrocarbures. Un premier investissement conforme à cette stratégie, d’un montant de 50 millions d’euros, a été annoncé au printemps 2021.

Signature GH2 / Port de Bordeaux

Le GPMB et la société GH2, développeuse de projets d’hydrogène renouvelable, ont signé un accord pour l’implantation d’une installation qui devrait être opérationnelle en 2026. Elle aurait une capacité totale d’électrolyse de 100 MW. Ce site accueillerait une centrale au sol de production d’électricité d’origine photovoltaïque, qui alimenterait un électrolyseur d’une capacité de 14 000 tonnes d’hydrogène par an. Ce gaz servirait par ailleurs à fabriquer jusqu’à 80 000 tonnes d’ammoniac.

« GH2 a signé une convention d’occupation temporaire du domaine public avec le port. Il n’y avait auparavant aucune industrie sur ce foncier, notamment car c’est un terrain touché par plusieurs plans de prévention des risques technologiques (PPRT) des sites alentour. Or GH2 partage la culture du risque de ses voisins, ce qui facilite son intégration », signale Michel Le Van Kiem.

Un milliard d’euros

Pour atteindre 1 GW d’électrolyse, il faudrait selon Jean-Frédéric Laurent, 1 milliard d’euros d’investissement. En visant des volumes aussi importants, le port ambitionne d’atteindre un coût de l’hydrogène relativement bas : entre 1,5 et 2 euros par kilogramme. C’est le coût-cible indiqué par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) pour l’hydrogène produit dans la région. Pour cela, « nous nous intéressons uniquement aux projets de grande échelle, de plus de 100 MW de capacité », expliquait Jean-Frédéric Laurent lors de la conférence nationale hydrogène renouvelable organisée en janvier 2022 à Paris.

L’hydrogène ainsi fabriqué serait destiné principalement à l’industrie chimique. Là encore, le port bénéficie d’avantages, selon Michel Le Van Kiem. Son tissu industriel est en grande partie composé d’usines chimiques, comme Michelin ou Yara, qui consomment déjà de l’ammoniac pour fabriquer des engrais. Il y a aussi une installation du groupe Avril qui produit des huiles végétales. « Avec l’hydrogène, il est par exemple possible de fabriquer des carburants tant pour l’aviation que pour le maritime », imagine le responsable transitions et innovations du GPMB. Reste toutefois à convaincre ces industriels de faire évoluer leurs outils de production. « Avec la transition écologique, le modèle économique des entreprises change », veut croire Michel Le Van Kiem.

Transports fluviaux et terrestres

Quant à une valorisation dans les transports, c’est une autre paire de manches. « Une petite portion de l’hydrogène produit pourra être dédiée à la mobilité. C’est ce que nous expérimentons avec le projet baptisé H2MorroW4Ports », indique-t-il. Il s’agit de tester la production d’hydrogène renouvelable par un module de 5 MW alimenté en partie par l’électricité issue des toitures solaires des hangars du port. L’hydrogène ainsi fabriqué serait destiné à des transports en commun fluviaux et terrestres. Ce module serait bridé à 2 MW afin de ne pas produire plus que ce qui pourrait être consommé par les acteurs locaux de la mobilité, soit 300 tonnes par an.

« Nous comptons sur la participation des opérateurs comme Bordeaux Métropole et les grands transporteurs », remarque Michel Le Van Kiem. Ce plan a été déposé en septembre 2021 à l’appel à projets de l’Ademe « Écosystèmes territoriaux hydrogène ». Parallèlement, le port mène depuis plusieurs années déjà avec deux partenaires, Nexeya et Storengy, le projet H2Bordeaux. Soutenu par la Commission européenne, H2Bordeaux a notamment validé la faisabilité technico-économique de navettes fluviales à l’hydrogène (retrofit et acquisition).

Une eau abondante

Outre cette mise à disposition du foncier et le développement de projets de recherche, le GPMB veille à assurer un environnement économique favorable à l’implantation de l’hydrogène. « Nous regardons l’ensemble de l’écosystème. Ainsi, un électrolyseur de plus de 100 MW a besoin de beaucoup d’eau », indiquait Jean-Frédéric Laurent.

Bassens aérien Ambes
© D.Trentacosta

Il faut donc sécuriser l’approvisionnement en eau des futurs sites. « En l’occurrence, sur la presqu’île d’Ambès il y a un réseau d’eau industrielle opéré par la métropole de Bordeaux. Il permettrait d’accueillir d’ores et déjà a minima 500 MW d’électrolyse. En outre, ces installations seraient au bord du fleuve. Il n’y a pas de conflit d’usage potentiel à ce stade. Pour préparer l’avenir, nous participons toutefois aux concertations avec les autres usagers de l’eau pour nous projeter en 2050 », précise Michel Le Van Kiem.

Autre élément essentiel à la production d’hydrogène : l’électricité. Pour que l’hydrogène produit sur son territoire soit « vert », le GPMB compte sur les « projets d’envergure comme le parc photovoltaïque Horizeo ou le parc éolien offshore d’Oléron », cite Michel Le Van Kiem. Le GPMB participe aux enquêtes publiques pour exprimer la nécessité que de tels projets puissent voir le jour. Dans le mix énergétique des futures installations, il y aurait aussi de l’électricité d’origine nucléaire. Dans le cadre de cette stratégie, le GPMB pourra varier les modalités de sa participation aux projets. Sur certains, il pourrait « entrer dans les sociétés de projet qui vont produire les nouvelles matières premières et énergies de demain », indique Michel Le Van Kiem. « Il faut transformer le modèle économique du GPMB pour qu’il soit de plus en plus lié à des services à valeur ajoutée », conclut-il.

Comment les cimentiers tentent de se bâtir un avenir décarboné ?

21 11 2024
Philippe Bohlinger

Pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, l’industrie cimentière française mise sur des leviers traditionnels – optimisation des procédés, combustibles alternatifs et substituts au clinker – mais ne pourra pas faire l’économie d’investir dans de coûteux systèmes de capture du carbone.

Lire la suite

Les clés de la résilience de l’industrie de l’énergie en France

21 11 2024
Julien Clément, Account Executive chez Appian

Des outils numériques peuvent aider les entreprises du secteur de l’énergie à faire face aux bouleversements actuels (volatilité des marchés, décarbonation, etc.). Ils permettent d’optimiser les actions opérationnelles, faciliter la prise de décision ou encore développer de façon autonome des solutions logicielles sur mesure.

Lire la suite