Après la méthanisation, la méthanation à la ferme
Olivier MaryLa ferme de Parvillers, située dans l’Oise, injecte du biométhane dans le réseau de gaz depuis septembre 2018. En juillet dernier, elle a également injecté du e-methane produit grâce à un procédé de méthanation développé par l’entreprise Energo. Mais pour développer cette technologie, des ajustements réglementaires et des mécanismes de soutien sont indispensables.
À première vue, l’unité de méthanisation implantée sur la ferme de Parvillers, située à un peu plus d’un kilomètre de la commune de Sempigny (Oise), semble plutôt classique. Raccordée au réseau gazier de Noyon au moyen d’une canalisation de 2 kilomètres, elle produit 150 Nm3 de biométhane par heure, soit un total de 16 GWh par an. Elle engloutit 30 tonnes de biodéchets chaque jour, ce qui représente 10 000 tonnes à l’année. Concernant les intrants, là aussi, l’installation est traditionnelle : fumiers bovins, pulpe de betteraves, déchets agro-industriels (poussières de céréales, résidus de pommes de terre et d’oignons, etc.) proviennent de l’exploitation ou sont expédiés par des producteurs proches. Ces déchets sont complétés par du seigle planté en tant que culture intermédiaire à vocation énergétique (cive). Le digestat est directement utilisé pour fertiliser les parcelles de l’exploitation. Pourtant, à quelques pas du digesteur et du post-digesteur, un petit conteneur renferme une installation de méthanation. Une technologie beaucoup moins courante, surtout dans une ferme.
Valoriser le CO2 biogénique
Le biogaz est principalement composé de méthane (CH4) et de dioxyde de carbone (CO2). Avant de l’injecter dans le réseau de gaz, le CO2 est séparé et rejeté dans l’atmosphère via un évent. « Il nous a semblé intéressant de récupérer ce CO2 biogénique », explique Mauritz Quaak, cogérant de l’unité de méthanisation aux côtés de l’exploitant de la ferme Olivier Thomas. Dans cette optique, les deux hommes collaborent avec la start-up Energo fondée en 2018 à partir de recherches menées au sein de l’école Chimie ParisTech-PSL. Elle a mis au point un procédé de méthanation catalytique. « Il permet de transformer ce CO2 en méthane grâce à de l’hydrogène produit par électrolyse », résume Vincent Piepiora, président d’Energo. L’entreprise, soutenue par le Crigen, le centre R&D et d’expertise du Groupe Engie, s’est connectée sur l’unité de traitement du biogaz pour récupérer le CO2. Elle a installé un électrolyseur sur place pour générer de l’hydrogène. Le CO2 est alors mélangé à l’H2. Puis, ce mélange est mis au contact d’un catalyseur à haute teneur en nickel et d’un plasma froid généré par deux électrodes pour obtenir du méthane de synthèse ou e-methane. La particularité du procédé d’Energo ? Sa simplicité de mise en œuvre.
« Nous utilisons des gaz sales et non traités contenant des traces d’oxygène, d’humidité ou de soude caustique mais cela n’empêche pas le dispositif de fonctionner parfaitement », révèle Vincent Piepiora. Le système ne réclame pas autant de pureté que d’autres technologies de méthanation, qui ont besoin de gaz quasi purs. Energo se contente de gaz purs à 99 %. Autre particularité de l’installation, elle fonctionne à pression atmosphérique alors que les procédés plus classiques le font à 20 ou 30 bar. « Cela nécessite des équipements qui coûtent cher et une qualité d’acier assez élevée pour résister à ces contraintes. Cela n’est donc pas nécessaire sur notre démonstrateur », poursuit le président d’Energo. L’équipement n’est donc pas très onéreux à construire. L’investissement n’a pas dépassé les 200 000 euros sur le site et ce réacteur très compact réduit de 20 % les coûts de fonctionnement de la méthanation.
Adapter le cadre réglementaire
À la sortie, le gaz de synthèse repart dans l’unité de traitement pour être purifié. Il est alors possible de l’injecter dans le réseau de gaz naturel. Possible techniquement, mais pas encore homologué… En effet, si l’installation a alimenté à hauteur de 40 Nm3 le réseau de gaz du 4 au 6 juillet dernier, c’est seulement grâce à une autorisation exceptionnelle délivrée par la Commission de régulation de l’énergie (Cre). Cette autorisation découle de la mise en œuvre d’un dispositif intitulé « bac à sable réglementaire » qui permet au régulateur d’accorder des dérogations d’accès aux réseaux d’électricité et de gaz pour faciliter l’essor de projets innovants en faveur de la transition énergétique. Trente projets d’injection de gaz renouvelables en ont bénéficié. Depuis, du méthane de synthèse est toujours produit à Sempigny, mais il est relâché dans l’atmosphère. La réglementation devra donc évoluer. « Nous espérons que grâce au projet de loi d’accélération des EnR, les gaz renouvelables de nouvelle génération pourront bénéficier des mécanismes de soutien dont bénéficie déjà le biométhane », souligne Catherine Leboul Proust, directrice stratégie GRDF.
Car, en l’état, et même si son injection était autorisée, le méthane de synthèse pourrait difficilement être rentable sans subvention notamment à cause du prix de l’électricité qui alimente l’électrolyseur et d’un rendement qui ne dépasse pas les 66 %, notamment sur l’unité exploitée par Energo. Pourtant, la filière y voit un complément non négligeable à la méthanisation. « Avec la même quantité d’intrants et un dimensionnement d’installation identique, ce procédé permet d’augmenter jusqu’à 70 % la quantité de CH4 injecté », indique Mauritz Quaak. De nombreux scénarios prospectifs construits par l’Ademe, RTE ou négaWatt misent d’ailleurs sur cette technologie. Sur un potentiel de production de gaz renouvelables estimé à 420 TWh en France d’ici 2050, 50 TWh pourraient être produits par méthanation.