L’osmotique, nouvelle EnR compétitive s’installe sur le Rhône

22 03 2022
Simon Philippe
CNR
Le potentiel osmotique du Rhône s’élève à entre 4 et 5 TWh, d’après Sweetch Energy, soit deux fois la consommation annuelle de Marseille.

Depuis quelques années, la Compagnie nationale du Rhône mise sur les énergies renouvelables. Son dernier pari, l’énergie osmotique. Grâce à un procédé porté par la start-up française Sweetch Energy, le fleuve pourrait devenir une source d’énergie renouvelable et permanente.

De l’eau et du sel. Ces deux indispensables de toute table de salle à manger pourraient bien devenir une partie intégrante du mix énergétique. Et ce grâce au partenariat entre la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et la start-up bretonne Sweetch Energy qui développe une technologie permettant de transformer l’énergie osmotique en électricité.

« Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’objectif de notre technologie est de capturer l’énergie de mélange qui se crée quand deux flux avec des niveaux de salinité différents se rencontrent », précise Nicolas Heuzé, directeur général et co-fondateur de Sweetch Energy. Si le principe est connu depuis longtemps, les technologies voulant utiliser les lois de l’osmose comme source d’énergie ont longtemps été boudées. Jusque-là, deux stratégies sont principalement utilisées, l’électrodialyse inverse (RED) et l’osmose à pression retardée (PRO). Ces dernières sont cependant confrontées à deux problèmes majeurs, leur coût élevé et leur efficacité assez faible.

Nouvelle approche de l’osmotique

« Avec Sweetch, nous nous appuyons sur des phénomènes physicochimiques nouveaux, qui ont été observés et mis en exergue pour la première fois il y a moins de dix ans par des équipes de l’École nationale supérieure (ENS) et du CNRS, dirigées par le professeur Lydéric Bocquet, aussi directeur de l’Institut Pierre- Gilles de Gennes », poursuit Nicolas Heuzé. À partir de ces observations, la start-up bretonne a décidé de créer une application industrielle.

D’un côté de l’eau douce, de l’autre de l’eau salée, séparées par une membrane perméable. Naturellement, la concentration des solutions tend à s’équilibrer, ce qui crée au niveau de la membrane un courant ionique, convertissable en courant électrique à l’aide d’une électrode. Là où les anciennes technologies emploient traditionnellement des membranes échangeuses d’ions, Sweetch a développé une nouvelle membrane dans un matériau chargé ioniquement en milieu aquatique possédant des pores plus grands et très sélectifs.

« En termes de performances nettes à la sortie du système, on obtient des résultats entre 20 et 25 fois supérieurs à ceux obtenus avant », précise le directeur général de Sweetch. Concrètement, cette innovation permet de passer d’un rendement de 1 W/m2 à 25 W/m2. De plus, bien que la nature du matériau utilisé pour la membrane reste confidentielle pour des questions de brevetage, l’entreprise assure qu’il est à la fois peu cher, biosourcé et facilement manipulable, ce qui permet d’abaisser drastiquement les coûts de fabrication. « Les membranes classiques coutent généralement plusieurs dizaines, voire centaine d’euros au mètre carré, nous pensons en avoir pour dix fois moins », assène-t-il.

Premier pilote industriel

Après avoir levé 5,2 millions d’euros en avril 2021, le projet commence à prendre en forme. « Notre objectif est maintenant d’installer, avec la participation de la CNR, la première centrale pilote de type industriel », décrit Nicolas Heuzé. Il faut imaginer une telle centrale comme une petite usine, installée à l’embouchure d’un fleuve ou d’une rivière. À l’intérieur des « stacks », sortes de grandes armoires, sont installés des empilements de systèmes de membranes et d’électrodes.

Bien que le projet porte encore de nombreuses incertitudes et de points à préciser, les principaux jalons sont déjà connus. « Dans un premier temps une unité de base certainement de quelques kilowatts, qui ne sera peut-être pas la version définitive du module, sera mise au point, explique Fréderic Storck, directeur transition énergétique et innovation de la CNR. Ainsi on pourra l’étudier dans un laboratoire d’hydraulique à Lyon. Cela permettra de faire des mesures précises de tout ce qui va être flux d’eau douce et salée, effluent, ou encore distribution dans les stacks. »

Une fois ce point d’étape passé, il faudra s’engager sur le terrain, le delta du Rhône. La CNR travaille actuellement à trouver des lieux propices à l’installation d’une telle centrale. « On se rapprochera alors des conditions industrielles, continue-t-il. Il y a des questions de prélèvements et de rejets, l’eau du Rhône n’est pas pure, il faudra donc aussi filtrer les sédiments. Nous rechercherons par la suite à développer ensemble une unité de plusieurs mégawatts. » L’objectif annoncé par Sweetch est très ambitieux, la start-up veut installer la première centrale pilote pour la fin de l’année 2023 dans le delta du Rhône, et commencer une industrialisation plus large de la technologie l’année suivante, en 2024.

Une zone favorable

À l’échelle de la planète, 2 000 TWh d’électricité pourraient être facilement produits chaque année, uniquement en s’appuyant sur l’énergie naturelle, les deltas et les estuaires d’après la start-up. « C’est un potentiel massif, convertis en réduction de CO2, ce sont à peu près 1,3 milliard de tonnes d’abattements », estime le directeur de l’entreprise. Ainsi, le choix du Rhône et de la CNR pour accompagner Sweetch pour son pilote industriel n’est pas anodin.

« Aujourd’hui, ce fleuve concentre à lui seul un tiers du potentiel français de valorisation d’énergie osmotique, soit entre 4 et 5 TWh, l’équivalent de deux fois la consommation annuelle des habitants de Marseille », décrit Fréderic Storck. De plus, la CNR possède déjà une grande connaissance du Rhône, notamment le « coin salé ». « Cela correspond à la zone où la Méditerranée remonte dans le lit du fleuve à l’intérieur des terres en fonction de plusieurs paramètres comme le débit, le coefficient de marée et le vent », détaille-t-il.

Dispositif Sweetch Energy
©Sweetch Energy

Il existe une corrélation entre le gradient de salinité et la puissance exploitable, une donnée importante pour le choix du site ou sera déployée la centrale. « L’idéal étant un site proche d’une source d’eau douce et d’eau salée, pour éviter les dépenses énergétiques liées au pompage », note de son côté Nicolas Heuzé.

Reste alors à avancer dans les différentes étapes du projet et de voir si les résultats escomptés sont là. « Il est trop tôt pour parler de cadencement, mais pour respecter les engagements pris, notamment les Accords de Paris, il y a vraiment une question de vitesse à prendre en compte, conclut Fréderic Storck. Sweetch Energy veut se donner les moyens d’être un acteur mondial, nous les aideront à avancer sur le Rhône. »

Pour la CNR, l’osmotique complète l’offre d’EnR
« Notre entreprise ne travaille que sur les énergies renouvelables », souligne Fréderic Storck, directeur transition énergétique et innovation de la CNR . Pour l’instant, elle se focalise principalement sur le développement du solaire et de l’éolien. Pourtant l’osmotique semble être une voie royale pour que le concessionnaire du Rhône continue son développement. « D’abord, cette stratégie permet de fournir une énergie non-intermittente et même pilotable. En jouant sur les flux, il est possible de régler la puissance, ce qui place l’osmotique comme un complément extrêmement intéressant par rapport aux autres énergies que nous développons », décrit-il. Par ailleurs, les prélèvements, eau douce et salée, et les rejets, eau saumâtre, ne devraient pas poser de problèmes particuliers et être peu consommateurs de ressources. « Ces installations ne seront donc pas classées car il n’y a pas d’effluents toxiques ni de coactivité gênante. » La question du foncier, qui pose problème notamment pour d’autres sources d’énergie, est donc beaucoup moins problématique pour cette technologie. Finalement, l’osmose vient à la fin de la chaîne hydroélectrique. « D’une part, le Rhône va vraisemblablement perdre entre 10 et 40 % de l’hydraulicité d’ici la fin du siècle, et entraîner des baisses de ressources importantes. D’autre part, quand on capte mécaniquement l’énergie cinétique d’un fleuve, on perturbe la chaîne hydroélectrique, liste Fréderic Storck. On voit donc tout l’intérêt en tant qu’énergéticien à s’intéresser à cette énergie qui n’est pas dépendante de la météorologie, comme un complément d’un portefeuille que l’on étoffe encore. »

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