Des véhicules pour équilibrer le système électrique

La technologie vehicule-to-grid pourrait contribuer à ajuster en temps réel l’équilibre production-consommation du système électrique français. Le gestionnaire de réseau RTE vient de certifier une solution mise au point par Dreev, qui comprend des bornes de recharge, une plateforme de pilotage et un agrégateur.
Le réglage primaire de fréquence contribue à la sécurité du système électrique français. Lorsque la consommation fluctue rapidement ou que des sources de production se mettent en marche, ce dispositif rééquilibre automatiquement, et en quelques secondes, la balance entre production et consommation. Il stabilise ainsi la fréquence à un niveau proche de la valeur de référence de 50 hertz. Il peut être mis en oeuvre par des grands consommateurs industriels par effacement ou par des unités de production. Ce mécanisme doit pouvoir répondre à la perte simultanée de 3 000 MW au niveau européen. Le système français contribue à hauteur d’environ 540 MW de réserve primaire.
Depuis janvier 2017, cette réserve primaire est constituée par un appel d’offres hebdomadaire mené par RTE et ses homologues allemands, autrichien, belge, néerlandais et suisse. Historiquement, ce service était surtout assuré par des industriels, des centrales nucléaires, hydrauliques et thermiques. Mais une nouvelle technologie pourrait apporter son aide : le vehicule-to-grid (V2G). « RTE a validé et autorisé la participation des véhicules électriques du parc de Dreev à la réserve primaire. Nous certifions que ces équipements peuvent stocker ou déstocker de l’énergie en quelques secondes pour participer à l’équilibrage de la fréquence. Cette certification a été menée de manière normalisée sur une petite centrale équivalente à 100 kW », explique Yannick Jacquemart, directeur de l’économie du système électrique de RTE.
Une question de compatibilité
La solution développée par Dreev, coentreprise créée par EDF et la startup californienne Nuvve est donc la première à être certifiée en France. Une solution en trois briques La technologie développée par Dreev comprend trois éléments. Tout d’abord des bornes de recharge bidirectionnelles de 10 kW qui peuvent soutirer mais aussi injecter de l’électricité dans le réseau en cas de besoin. Construites par ABB, elles ont été installées au sein d’entreprises et de collectivités territoriales possédant leur flotte des véhicules électriques bidirectionnels compatibles.
« Il y a plus de 100 bornes déployées en France (pratiquement 200 en Europe) et quelques centaines de kilowatts qui peuvent participer de manière effective à la réserve primaire avec RTE. Nous avons programmé le déploiement de plusieurs centaines d’autres bornes à partir de 2022, ce qui va représenter plusieurs mégawatts », précise Olivier Dubois, directeur mobilité électrique groupe EDF pour Dreev. L’entreprise coopère avec le constructeur japonais Nissan qui construit deux modèles compatibles avec ce système : Leaf et son véhicule utilitaire e-NV200. Une plateforme de pilotage en temps réel garantit le respect des besoins de mobilité des utilisateurs.
« Cet outil permet d’avoir les données relatives à la borne en temps réel (contraintes et opportunités liées à la charge et décharges des véhicules électriques selon qu’ils sont branchés ou pas, leurs niveaux de charge, les puissances disponibles sur sites, etc.) mais aussi celles du réseau électrique. Ainsi la borne peut détecter les besoins du réseau grâce aux signaux et venir rendre le service attendu », détaille Olivier Dubois. Enfin, ce service rendu au système électrique est valorisé sur le marché grâce à Agregio, filiale du groupe EDF dédiée à l’agrégation de productions d’énergies renouvelables, d’effacements de consommation et de flexibilités liées à des actifs de stockage. Dreev apporte une flexibilité agrégée, sommes des puissances de tous les véhicules électriques disponibles à un instant T, à Agregio. Ce dernier combine alors la flexibilité V2G à d’autres pour l’obtention de mégawatts qu’il porte auprès de RTE et est rémunérée pour l’ensemble du service.
Un pari pour le futur
D’un point de vue économique, le V2G est un modèle émergent auquel plusieurs acteurs croient : les énergéticiens comme EDF, les constructeurs automobiles et les fabricants de bornes de recharge. Mais aussi le Fonds d’innovation européen qui soutient la technologie en lançant des appels à projets innovants. Cette technologie permet deux types de gains pour les clients. Des implicites, directement générés sur la facture d’énergie, il s’agira par exemple de charger davantage le véhicule en heures creuses et de décharger au profit du bâtiment en heures pleines, pour permettre à ce dernier de consommer le moins possible. Et des gains explicites, comme ceux générés via RTE, et qui vont permettre de rémunérer le client de manière complémentaire ou de réduire sa facture globale d’énergie et de services.
Dès cette année, des particuliers pourraient participer au réglage primaire de fréquence. Ils seront rémunérés jusqu’à 20 euros par véhicule électrique et par mois pour cela. À l’avenir, le V2G pourrait apporter de nouveaux services au système électrique. Il est d’abord envisagé de l’utiliser pour compenser l’intermittence de certaines sources renouvelables. « À terme, un des grands objectifs sera aussi d’être en capacité de stocker l’énergie de manière massive à certains moments favorables (énergie peu chère et peu carbonée), et d’effacer à d’autres moments des puissances liées à la demande », estime Yannick Jacquemart. À ce jour, Dreev a déployé plus d’une centaine de bornes et espère pouvoir multiplier ce nombre dans les mois et années à venir. Et cette trajectoire pourrait fortement augmenter. Les différentes projections des constructeurs et des pouvoirs publics tablent sur plus d’un million de véhicules électriques en circulation en France en 2023, 4,8 millions en 2028, et jusqu’à 16 millions d’unités en 2035.