Penser les alternatives à l’automobile d’aujourd’hui
La mobilité et l’utilisation de la voiture individuelle sont des sujets majeurs de la transition énergétique. Pour décarboner les déplacements du quotidien, il faut promouvoir l’automobile électrique mais aussi ses alternatives.
Pour atteindre les objectifs de neutralité carbone, la mobilité et le rapport à l’utilisation de l’automobile doivent être revus. Aujourd’hui, les transports représentent un tiers des émissions territoriales de gaz à effet de serre (GES) en France. Plus précisément, 20 % sont dus aux transports légers, comme les voitures, les motos ou encore les scooters. Pour comprendre comment cette situation peut évoluer et les leviers à mettre en oeuvre pour abaisser ces émissions, l’Association des professionnels en conseil climat (APCC) a tenu deux webinaires : une table ronde intitulée « Transférer 30 % des automobilistes vers des mobilités douces : rêve ou réalité ? », et la conférence « Développer la marche en ville, de la stratégie à l’action »
« Les voitures se heurtent aujourd’hui à une double contrainte, explique Laurent Perron, co-pilote du projet industrie automobile du Shift Project. D’une part, elles sont une cause majeure d’émissions de GES, et d’autre part elles seront bientôt confrontées à une raréfaction des énergies fossiles. » Pourtant, malgré ces problèmes, encore 7 actifs sur 10 vont seuls au travail en voiture, et 85 % des kilomètres parcourus en une journée le sont avec une voiture. Mais si se passer de la voiture s’avère très difficile, la mise en place d’alternatives n’est pas impossible.
Passer à l’électrique
« L’avenir de la mobilité comprendra très certainement un pourcentage élevé de véhicules électriques, estime le membre du Shift Project. Il y aura majoritairement des véhicules à batterie, et peut-être certains avec des carburants alternatifs ou de l’hydrogène. » Mais au-delà d’un changement technologique, une approche différente de la conception est importante. La fabrication de véhicules plus légers, entre 250 et 300 kg de moins, et plus aérodynamique, permettra de diminuer leur impact.
Plus encore, il s’agit de réduire le coût énergétique de ces véhicules en dehors de leur phase d’usage. « Fabriquer des batteries en France où l’électricité est décarbonée, c’est réduire d’un facteur 2,5 leur coût », rapporte Laurent Perron. Par ailleurs, réduire la taille des batteries entre 50 et 60 kWh suffirait pour l’usage de l’automobile dans 80 à 90 % des cas. Pour autant, la voiture électrique ne semble pas répondre à toutes les doléances. Remplacer l’intégralité du parc automobile par des véhicules électriques ne réglera pas entièrement la question des nuisances. « Les problèmes de congestion du trafic resteront par exemple les mêmes », souligne David Saussol, maire adjoint d’Orsay et assistant parlementaire de Cédric Villani.
Au-delà de la voiture
L’un des leviers pour couper dans la consommation énergétique d’un véhicule est de réduire drastiquement son poids. « Si on est à 200 Wh consommés au kilomètre pour une voiture électrique, contre 500 Wh/km pour une voiture citadine classique, on tombe en dessous de 10 Wh/km pour un vélo électrique, expose Alexandre Lagrange, cofondateur de EV4, équipementier de mobilités bas carbone. Le défi pour nous est donc de proposer sur le marché des solutions intermédiaires qui se rapprochent de cette dernière solution. »
Tout comme dans le cas de « l’extrême défi » de l’Ademe, il s’agit ici d’inventer une nouvelle catégorie de véhicules. L’agence reliée au ministère de la Transition écologique propose ainsi une enveloppe de 500 000 euros pour accompagner les projets lauréats de ce concours. Les inscriptions se terminent le 21 mars, pour des résultats attendus le 21 novembre. EV4, de son côté, propose déjà à la vente le « Solar-bike », de 47 kg, qui comprend une batterie de 250 W pour une autonomie comprise entre 30 et 80 km.
L’idée est de se placer entre l’utilité écologique du vélo et la sécurité de la voiture. « Il faut se rapprocher le plus possible des services d’une petite voiture et pour cela apporter le plus d’utilité, protection contre les intempéries, clignotants, phares, sur des véhicules extrêmement légers, en dessous de 100 kilos », décrit Alexandre Lagrange.
Une question de mentalité
Au-delà des solutions véhiculaires, une partie de la réponse vient des habitudes de consommation. « Dans le cas du grand Nancy, la question des achats et des accompagnements au quotidien sont les causes principales de l’utilisation de la voiture en dessous de 1 km », décrit Louis Boulanger, consultant territoires, aménagement et mobilités chez Inddigo qui a notamment participé à la mise en place d’un plan piétons dans la ville. Pourtant ces distances ne représentent finalement qu’une marche d’environ 10 ou 15 minutes. Ces incohérences sont expliquées par l’urbanisme qui répond depuis longtemps aux besoins des véhicules individuels.
« La difficulté, c’est le partage de la voirie. Aujourd’hui, on se demande comment faire pour que le vélo ou le piéton coexistent avec la voiture. Mais il faudrait inverser la question », explique le maire adjoint d’Orsay. Les conséquences de la massification de la voiture ont amené à l’étalement urbain, l’éloignement entre zones d’activités et zones d’habitations, et le développement de zones commerciales à l’extérieur des villes et accessibles uniquement en voiture. « Quand on avait une quincaillerie en centre-ville, on n’avait pas besoin de géant du bricolage à l’extérieur des villes. Et la voiture a servi à développer ce business model », poursuit David Saussol. Il faut ajuster l’ensemble des déterminants. La baisse volontaire de mobilité est complexe à mettre en oeuvre, mais pas impossible.
L’agglomération grenobloise, l’urbanisme pour développer la marche
Bien que Grenoble Alpes Métropole ne possède pas à proprement parler de plan piétons, l’entité s’est engagée dans une stratégie globale en faveur des modes actifs qui affecte directement les marcheurs depuis 2017. « Dans la commune, les arbitrages concernant les voiries ou les projets urbains priorisent dans l’ordre les piétons, puis les cyclistes, puis les transports en commun et finalement les voitures individuelles », décrit Lionel Faure, chef du projet modes actifs-espaces publics de la métropole. La stratégie mise en place dans le plan de mobilité chapeaute plusieurs outils. Dans un premier temps, la généralisation des 30 km/h dans 45 des 49 communes de l’agglomération a permis de pousser les usagers vers des moyens de transports alternatifs.
Ensuite, des aménagements incitatifs ont été installés, notamment une voie cyclable, qui prévoit de transformer 25 kilomètres dans la ville, l’extension de rue piétonne et la mise en place de démarches d’écomobilités scolaires. Ce dernier projet a permis dans un premier temps de libérer 13 parvis d’école et de rue en 2021, sur les 45 que compte Grenoble. « Ils sont installés de manière transitive pour l’instant, mais des travaux commencent dès le mois de février pour rendre ces aménagements définitifs, précise Lionel Faure. Au total, 1,9 km de rue et 300 places de stationnement ont été libérés. »
Pour mesurer les résultats de ces différentes mesures, une étude a été réalisée. Résultats : 35 % des déplacements quotidiens sont effectués par de la marche en 2020, soit une augmentation de 14 % par rapport à 2010. Par ailleurs, la piétonisation de l’hypercentre urbain a entraîné une hausse de 28 % du flux de piéton sur les trois dernières années. « Mais l’étude révèle aussi qu’un quart des accidents corporels liés aux déplacements arrivent avec la marche dont les deux tiers en traversant des chaussées », souligne le chef de projet. Certainement une piste d’amélioration pour les prochaines étapes des projets.