La filière biométhane en manque de visibilité
Neuf ans après la première injection, le cadre réglementaire d’achat du biométhane a été modifié par le décret n°2020-1428, définissant de nouvelles dispositions pour l’achat de biométhane à un tarif réglementé, et par l’arrêté du 23 novembre 2020 fixant ce nouveau tarif d’achat. Confrontée à ces évolutions, la filière du biogaz montre quelques inquiétudes, malgré une dynamique prometteuse ces dernières années.
Alors que le nombre d’installations de méthanisation valorisant le biogaz en électricité et en chaleur a légèrement augmenté en 2020 (+11 %) en France, celui des sites d’injection de biométhane dans le réseau gazier a quasiment doublé l’an passé. Au 31 décembre 2020, 91 unités d’injection ont été mises en service en France, portant leur nombre total à 214, soit une hausse annuelle de 74 %. L’essentiel des sites (191) sont raccordés au réseau de distribution, et ont ainsi injecté un peu plus de 2 200 GWh (+79 % par rapport à 2019). Si ces principaux chiffres extraits de la sixième édition du Panorama du Gaz Renouvelable (1) traduisent un fort dynamisme de la filière, les récentes et importantes évolutions en matière de soutien économique et de réglementation inquiètent de plus en plus d’acteurs du secteurs. Ces derniers restent toutefois encore optimistes mais s’interrogent : comment devenir compétitif quand les contraintes réglementaires se durcissent et les mécanismes de soutien diminuent ? « Le biométhane est à un moment charnière, et certes, la filière est à la recherche de cette compétitivité mais cette dernière ne se décrète pas, ni ne s’invente pas. Elle suppose surtout plusieurs choses, notamment de la stabilité, sécurité et prévisibilité sur le régime réglementaire encadrant les projets de biométhane », indique Hélène Gelas, avocate associée au cabinet LPA-CGR Avocats (2).
La diminution importante du tarif d’achat assortie de l’instauration d’un coefficient de dégressivité, la mise aux enchères des garanties d’origine, la mise en ou encore la fin de l’exemption de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) ont ainsi perturbé la visibilité sur laquelle les acteurs de la filière comptaient. « La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) dont les objectifs pour le biogaz sont moins élevés que la loi Energie Climat, a été le premier indicateur de l’ambiguïté ou du manque de certitude par rapport à notre filière. Aujourd’hui, l’augmentation des contraintes techniques et financières vont à l’opposée d’une filière qui est encore sur sa rampe de lancement », souligne Olivier Dauger, co-président de France Gaz Renouvelable. D’autant plus que ces contraintes ne font qu’alourdir économiquement les projets alors même qu’il est demandé à la filière de réduire ses coûts de production.
Ralentissement des projets
Cette situation rend les acteurs du biométhane prudents voire frileux dans leurs investissements, et ce dans un contexte de crise sanitaire qui complique les décisions. Si le nombre de projets inscrits dans le registre des capacités mis en place par les gestionnaires de réseaux est encore important, environ 1 160 pour des capacités s’élevant à 26,5 TWh, l’engouement observé risque de progressivement diminuer. « Après la publication du décret “droit à l’injection”, une bonne dynamique s’était créée. Depuis 2020, on constate désormais que le nombre d’étude de faisabilité pour le raccordement au réseau a été divisé par quatre ce qui montre clairement un ralentissement des projets », juge Gilles Doyhamboure, directeur Commerce et Régulation chez Teréga, qui ajoute que « mettre autant de contraintes sur des personnes oeuvrant au verdissement du gaz est regrettable alors que la filière est si peu mature. » En plus de la baisse du tarif de rachat, un seuil de 300 Nm3/h a également été introduit par l’arrêté du 23 novembre 2020 pour pouvoir bénéficier de ce tarif qui est toutefois provisoire. « Caper à 300 Nm3/h est assez stricte et sévère, surtout pour des projets qui se précisent et se finalisent sur la durée, les phases de réglage et d’optimisation étant essentielles », estime Hélène Gelas. Pour les installations supérieures à ce seuil, les porteurs de projet sont aussi dans l’attente de la parution des appels d’offres qui visent une production cumulée de 700 GWh/an. « Les cahiers des charges ont été mis en consultation, la délibération de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a été rendue début février, et pourtant il n’y a toujours pas d’appel d’offres ce qui freine encore une fois le dynamisme de la filière », s’étonne l’avocate associée.
Externalités positives
Pour soutenir les porteurs de projet, des mécanismes de financement extra-budgétaire ont été proposés et sont à l’étude afin de compenser les pertes de revenus. La filière insiste en effet sur la nécessité de prendre en compte les externalités positives du biogaz. Le digestat fournit par exemple un engrais indispensable pour amender les sols agricoles. « Le fait de répondre aux enjeux des sols, de l’eau ou encore du carbone est une plue value. Un mécanisme établi sur la prestation pour services environnementaux pourrait permettre au gaz d’être plus compétitif dans le mix énergétique de demain », appuie Olivier Dauger. Pour le président de France Gaz Renouvelable, il faut avant tout sortir des débats basés essentiellement sur des questions budgétaires et réfléchir davantage sur le développement d’une filière territoriale durable. « Le biométhane est au confluence de plusieurs grandes lois comme l’économie circulaire ou la mobilité, et pour autant on ne le libère pas et ne permet pas un développement significatif des projets. Il faut un cadre réglementaire stabilisé au plus vite », conclut Hélène Gelas.
(1) État des lieux de la filière des gaz verts publié par GRDF, GRTgaz, le SPEGNN, le Syndicat des énergies renouvelables (SER) et Teréga.
(2) Les citations sont issues du débat Bip Enerpresse du 11 mai dernier.