La COP26, incohérente, sans surprise
La 26e édition de la COP a une nouvelle fois débouché sur un accord a minima. C’est devenu une habitude, les négociations climatiques ont tendance à s’embourber. Résultat de ces rencontres début novembre : des textes peu cohérents, publiés avec des heures de retard.
Les premières images de la 26e conférence des parties (COP26) n’incitaient pas à l’optimisme. L’embouteillage de dizaines de jets privés, bloqués sur le tarmac de l’aéroport de Glasgow, a créé une polémique dès le début de la manifestation. Certains de leurs passagers n’avaient a priori pas grand-chose à faire à cette conférence censée limiter le réchauffement climatique. On a pu notamment y apercevoir Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, qui en a profité pour promettre deux milliards de dollars pour restaurer la nature et transformer le système alimentaire. Ou encore Bill Gates, venu lui aussi dans un avion privé offrir 315 millions de dollars pour soutenir les agriculteurs vulnérables. Ce défi lé de milliardaires a fait vivement réagir les organisations non gouvernementales engagées dans la lutte contre le changement climatique. « Ce dont on a besoin à cette COP26, c’est de décisions politiques des États, pas de la charité climatique de grandes fortunes (...) pendant que leurs entreprises détruisent la planète », a notamment critiqué Clément Sénéchal, porte-parole de Greenpeace France. En terme d’implications des États, cette 26e édition, pourtant cruciale, n’a pas dérogé à la règle. Certains s’engagent, beaucoup freinent. Au final, un accord en demi-teinte est trouvé au dernier moment après des heures de prolongations.
Le Pacte de Glasgow
Les 196 parties ont conclu le Pacte de Glasgow qui doit permettre de rendre l’Accord de Paris opérationnel, six ans après son adoption au Bourget. Des progrès ont été réalisés sur de multiples points mais sont bien souvent insuffisants. L’article 6 qui donne la possibilité de créer des marchés carbone et prévoit la possibilité d’échanger des crédits entre pays, illustre ce manque d’ambition. S’il élimine certaines failles et conçoit un régime d’échange structuré entre les pays, il est loin de faire l’unanimité. De fait, il met en place un droit à polluer.
« L’article 6, censé régler la coopération internationale pour réduire les émissions de CO2, se trouve détourné de son sens initial. Il autorise la mise en place de compensations carbone massives, sous forme de marchés et de crédits inopérants et dangereux, qui risquent de vider rapidement l’Accord de Paris de toute substance. Les émissions doivent être réduites à la source, les pays riches et les multinationales doivent en porter en priorité la responsabilité », estime Greenpeace. En outre, la possibilité d’utiliser les crédits de l’ancien marché carbone de Kyoto sous le nouveau régime a été validée, au grand dam des parties les plus engagées qui pointent des conséquences sur la réduction globale des émissions.
Des accords sectoriels ont le potentiel de réduire les émissions de GES… à condition d’être traduits concrètement par les États
Des progrès plus significatifs, sur des sujets moins clivants, ont tout de même eu lieu en Écosse. Par exemple, d’ici 2024, tous les pays devront communiquer des données détaillées sur leurs émissions. Elles constitueront la base de référence à partir de laquelle les réductions futures seront évaluées et permettront de mieux comparer les ambitions des États. Les propositions qui prévoyaient que certaines parties n’utilisent pas forcément les mêmes tableaux et formats de rapport ne figurent plus dans le texte.
C’est une avancée importante car cela permettra d’examiner sur de mêmes bases les différents efforts. Des accords sectoriels sur les forêts, l’agriculture, les énergies renouvelables, le charbon, les voitures à moteurs thermiques ou le méthane, ainsi que l’accord qui doit empêcher de financer des combustibles fossiles à l’étranger, ont vu le jour. Ils ont le potentiel de réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais ils devront être traduits concrètement par les gouvernements. Pour l’instant, ils ne sont soumis à aucun calendrier précis de mise en oeuvre, ni à des contraintes pour les respecter. Un autre accord prévoit pour les pays développés, un doublement de leurs fonds pour l’adaptation en 2025, par rapport aux sommes promises en 2019. C’est un progrès mais encore faudrait-il que les signataires respectent leurs engagements.
📢 UPDATE: Over 130 countries, covering 90% of the world’s forests, have now committed to halt and reverse forest loss and land degradation by 2030.
— COP26 (@COP26) November 6, 2021
"To have any chance of keeping below 1.5°C of global warming, we must halt deforestation" -- Sir David Attenborough#COP26
Sur l’aspect financier, les désaccords persistent entre pays riches et en développement. Les 100 milliards de dollars par an destinés au fonds vert ne seront toujours pas atteints avant 2025 malgré les engagements pris dès la COP15, qui s’était déroulée à Copenhague en 2009. « Pire, les pays riches, dont la France au sein de l’Union européenne, ont bloqué jusque dans les dernières heures la mise en place d’un financement additionnel pour les pertes et dommages pour répondre aux conséquences irréversibles du changement climatique auxquelles font face de nombreux pays », dénonce le Réseau Action Climat. Les pays en développement souhaitaient en effet un plan clair pour faciliter le financement des pertes et dommages. Ils n’ont pas été entendus et devront batailler à nouveau l’année prochaine pour imposer cette idée.
Enfin, le texte signé à Glasgow demande, d’ici 2022, à tous les pays de relever leurs objectifs climatiques pour ne pas dépasser 1,5°C à 2°C de réchauffement en 2100. Il garde donc l’objectif de 1,5°C comme horizon tout en reconnaissant que pour ne pas dépasser ce seuil, il faudra mener des efforts « rapides et profonds » et réduire de 45 % les émissions en 2030 par rapport à 2010. Le monde en est très loin : les contributions déterminées au niveau national (INDC) publiées par l’ensemble des États le dirigent plutôt vers une augmentation de 16 %. Toutefois, cet objectif des 1,5°C est contredit par l’affaiblissement de certains passages du texte. Le cas des énergies fossiles est éloquent. Pour la première fois dans l’histoire des COP, un texte final souligne la nécessité de s’attaquer aux énergies fossiles, à commencer par le charbon, désigné comme le coupable numéro un du réchauffement climatique.
Pourtant, au dernier moment, l’Inde soutenue par la Chine a réclamé que le paragraphe soit édulcoré. Il n’y est donc plus question de « sortir progressivement du charbon » mais de « réduire progressivement » son usage. Une différence d’un mot. Elle suffit pourtant à restreindre considérablement la portée du texte. Conscient de cet échec, le président de la COP26, Alok Sharma, s’est dit « profondément désolé » de ce revirement de dernière minute. Greenpeace a fustigé un « énième camouflet et [une] ultime trahison à la COP26 ».
Et c’est bien ce qui interroge dans ces négociations climatiques interminables. D’un côté, on fixe des objectifs quasi inatteignables. De l’autre, on acte la poursuite de l’exploitation du charbon alors qu’il est impossible de concilier les deux. Publier des textes cohérents sera peut-être le plus grand défi de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Ccnucc). Peut-être y parviendra-t-elle l’année prochaine lorsque les jets privés des dirigeants et des milliardaires du monde entier se bousculeront sur les pistes de l’aéroport de la cité balnéaire de Charm el-Cheikh, au bord de la Mer Rouge.