Éolien flottant : une filière émergente au potentiel immense
L’éolien flottant est une technologie émergente capable d’augmenter sensiblement la production d’électricité renouvelable en mer. La France est bien placée sur ce marché avec une machine pilote en exploitation, quatre parcs qui verront le jour en 2023 et des nouvels appel d’offres en cours ou en préparation. Mais pour se développer, la filière devra être portée à l’échelle européenne pour faire baisser ses coûts.
Le potentiel de production électrique de l’éolien flottant en France métropolitaine est estimé à 155 GW selon l’Ademe. 33 GW seraient facilement accessibles en tenant compte des limites liées au partage de la mer avec ses autres usagers. À titre de comparaison, le parc hydroélectrique installé dans le pays ne dépasse pas les 25 GW. Tandis qu’un EPR délivre 1,6 GW seulement. Si les possibilités de développement sont immenses, c’est que la filière bénéficie de nombreux atouts. « Ces machines permettent de s’affranchir de la contrainte de profondeur de l’éolien en mer posé qui ne peut pas dépasser les 50 à 60 mètres. Mais au-delà de cet aspect technique, cette technologie est aussi intéressante d’un point de vue économique. En effet, dans ces zones, les vents sont plus forts et plus réguliers, ce qui favorise une meilleure production d’électricité », explique Anne Georgelin, responsable éolien en mer, hydroélectricité et énergies marines renouvelables du Syndicat des énergies renouvelables (Ser).
De plus, ces parcs éloignés du littoral peuvent cohabiter plus facilement avec les autres usages de la mer, moins nombreux au large. Les éoliennes sont également moins visibles de la côte, renforçant l’acceptabilité sociale des projets. Malgré ses avantages, l’éolien flottant reste pour l’instant une filière émergente. Pour se développer, elle devra en priorité baisser ses coûts et se structurer. Elle reste en effet très éclatée entre une myriade de technologies et d’acteurs, et très marginale par rapport à l’éolien en mer posé, qui totalise plus de 5 000 machines en fonctionnement rien qu’en Europe.
Un foisonnement de technologies
Une éolienne flottante ressemble à une éolienne en mer classique, qui au lieu d’être posée sur des fondations, repose sur un flotteur ancré sur le fond grâce à des câbles. « Beaucoup de choses sont transposables de l’éolien posé au flottant. Il demande des compétences assez similaires », note Yara Chakhtoura, directrice générale de Vattenfall Éolien. Le défi technologique est de concevoir des plateformes capables de recevoir d’immenses mâts tout en assurant une bonne stabilité de l’ensemble dans des conditions de vent, de houle et de courant qui peuvent se révéler difficiles. Les flotteurs mesurent donc plusieurs dizaines de mètres. La grande majorité d’entre eux s’inspirent de technologies utilisées dans les secteurs des plateformes pétrolières et gazières et de la construction navale. Ils sont ensuite adaptés pour supporter une éolienne. Malgré sa jeunesse, la filière peut donc bénéficier de l’expérience de ces industries. « Nous profitons notamment de décennies de données recueillies sur les plateformes pétrolières et gazières, par exemple sur la corrosion », confirme David Bronsard, responsable développement chez Eolink.
Quatre types de flotteurs assez différents cohabitent actuellement sur le marché. Le flotteur semi-submersible est de loin le plus commun. Construit en acier ou en béton, il prend la forme d’un trépied avec trois ou quatre colonnes cylindriques reliées entre elles par des structures métalliques. Des ballasts assurent la stabilité de l’ensemble. Le flotteur immergé avec câbles tendus (TLP) est, comme son nom l’indique, en grande partie sous- marin. Les câbles qui le relient au fond sont fortement tendus afin de l’empêcher de remonter à la surface. Le flotteur de type Spar (Single point anchor reservoir) se différencie des deux précédents en adoptant une forme cylindrique qui prolonge celle du mât de l’éolienne. Son équilibre est assuré par un très lourd ballast qui abaisse le centre de gravité de l’ensemble. Le flotteur cylindrique doit donc être particulièrement long, ce qui empêche d’installer cette technologie lorsque la profondeur est inférieure à 100 mètres. Elle est donc réservée à des situations bien particulières, d’autant plus que cette technologie ne peut être assemblée qu’au large, comme les éoliennes posées, ce qui nécessite d’utiliser des bateaux poseurs très rares qui font augmenter les coûts d’installation. Ses trois concurrents plus compacts permettent eux de monter l’éolienne au port avant de remorquer l’ensemble de la structure sur site. Le flotteur semi-submersible de type barge a la particularité d’être le plus petit des quatre. C’est une barge rectangulaire de béton ou d’acier percée en son centre pour accueillir le mât qui est utilisable dès trente mètres de profondeur. Au total, une trentaine de technologies sont développés partout en Europe. « Nous sommes dans une période de foisonnement sur les flotteurs. Il pourrait y avoir une phase de normalisation une fois que la filière se sera développée mais des flotteurs différents resteront indispensables pour s’adapter à des situations particulières », estime Anne Georgelin.
Une multitude de structures
La profusion de technologies ne touche pas seulement les flotteurs. À une échelle plus modeste, d’autres parties des éoliennes flottantes sont aussi concernées. C’est le cas des câbles, baptisés lignes de mouillage, qui fixent les structures aux fonds marins. En fonction du flotteur choisi, un type de câble particulier est utilisé. Ils sont, comme pour les flotteurs, souvent issus de l’exploitation d’hydrocarbures. Le mouillage caténaire est le plus commun car il convient à la fois aux flotteurs semi- submersibles et aux Spar. Il possède une grande empreinte au sol car au moins un tiers des câbles repose sur le fond. C’est le poids des câbles, exclusivement fabriqués en acier, qui empêche la structure de bouger et non leur tension. Les lignes de mouillage tendues sont adaptées aux TLP. Elles peuvent être fabriquées à partir d’acier ou de fibres synthétiques. Le premier matériau a l’avantage d’un prix faible et de la solidité, mais il pâtit d’un poids élevé et d’une importante rigidité qui le rend difficile à manipuler. Les fibres synthétiques sont plus légères mais coûtent plus cher et se déforment plus facilement. Pour tirer parti au mieux des deux matériaux, les industriels les associent souvent : une section est alors en fibre et l’extrémité du câble en acier. Enfin, les lignes de mouillage semi-tendues, très rares, sont un compromis entre les deux précédentes technologies.
Les ancrages sont aussi variés et sont dérivés encore une fois des plateformes pétrolières. L’ancre à draguer ressemble à une immense ancre de navire. Elle est particulièrement adaptée au mouillage à lignes caténaires. Son installation est relativement aisée et elle peut être récupérée pour être recyclée lors du démantèlement de l’éolienne. La pile enfoncée convient à tous les types de mouillage. Son installation consiste à enfoncer un pieu dans le sol par vibration, pression hydraulique ou forage. Il existe également la possibilité de couler directement dans le sol le béton constituant la pile. Si cette technologie est polyvalente et bien maîtrisée, elle pose toutefois un problème environnemental. Il est en effet impossible de retirer cet ancrage du sous-sol au moment du démantèlement. Les matériaux utilisés ne seront donc jamais recyclés. Les industriels ont mis au point une technologie un peu similaire mais qui peut être récupérée. Ce type d’ancrage baptisé pile à succion présente les avantages de la pile enfoncée sans son inconvénient écologique. Sa structure prend la forme d’une cloche qu’on enfonce dans le sol. Une pression négative y est appliquée pour verrouiller son enfoncement. Pour la récupérer, il suffit d’augmenter la pression. Le seul inconvénient de cet ancrage est qu’il n’est pas adapté aux substrats trop durs. Sur ces sols, c’est l’ancre gravitaire qui reste privilégiée. Elle retient le flotteur grâce à sa lourde masse posée sur le fond. Ce système est le plus simple à concevoir, mais, du fait de son poids, il est également irrécupérable. Cette extrême diversité de technologies pousse certains grands industriels à temporiser avant de se lancer. Vattenfall, pourtant un des leaders mondiaux dans l’éolien en mer posé, a fait ce choix. « Nous avons choisi de ne pas participer à des projets pilotes pour rester neutre technologiquement à ce stade. Nous ne savons pas aujourd’hui quelle technologie va s’imposer d’autant que les différents concepts en sont à des phases de maturité très variables. Nous restons donc dans une phase de veille afin de choisir la meilleure », révèle Yara Chakhtoura.
La France a de l’ambition
En France, un seul démonstrateur est actuellement en marche, et à une échelle relativement modeste : sa capacité atteint 2 MW. Il s’agit de Floatgen, installé à 22 km au large du Croisic sur le site d’essais en mer multi-technologie de Centrale Nantes. Il produit de l’électricité depuis septembre 2018. Opérée par l’entreprise française Ideol, récemment achetée à 51 % par le norvégien BWOffshore, la turbine installée sur un flotteur semi-submersible de type barge a généré 6,8 GWh en 2020, soit 14 % de plus que lors de sa première année de fonctionnement. Floatgen devrait être encore exploité pendant au moins trois ans, avec pour objectif de démontrer la faisabilité technique, économique et environnementale de l’éolien flottant et d’évaluer le coût du mégawatheure à l’horizon 2030. Quatre autres projets, plus ambitieux, sont en cours. Ils ont été attribués en 2016 après des appels à projets lancés par l’Ademe dans le cadre du Programme d’investissement d’avenir (PIA). De l’échelle du démonstrateur, la France passera à celle des fermes pilotes. Les quatre parcs (dont trois en mer Méditerranée) totaliseront une capacité de 115 MW et devraient être inaugurés en 2023. Ils testeront les différentes technologies de fondations flottantes disponibles. Ainsi, EolMed, développé par le consortium Qair/BW Ideol au large de Gruissan, reprendra le concept de Floatgen. Les trois éoliennes de 10 MW chacune reposeront donc sur un flotteur de type barge. Trois autres équipements de la même puissance seront installés non loin, à proximité de Leucate-Le Barcarès. Ce projet, développé par Engie/EDPR et baptisé Éoliennes flottantes du Golfe du Lion, éprouvera la fiabilité des flotteurs semi-submersibles, tout comme les trois éoliennes de 9,5 MW de Eolfi/Shell qui seront mises en service des centaines de kilomètres plus au nord, en Bretagne, aux alentours de Groix et de Belle-Île.
Enfin, toujours en Méditerranée, Provence Grand Large comprendra trois machines de 8 MW qui seront posées sur des flotteurs immergés avec câbles tendus (TLP). Si trois des fermes sont implantées en Méditerranée, ce n’est pas par hasard. « Lorsque le fond plonge très vite, il est impossible d’installer de l’éolien en mer posé », précise Anne Georgelin. La configuration de la Méditerranée n’est donc favorable qu’à l’éolien flottant. Ces quatre parcs serviront à confirmer si l’exploitation en conditions réelles de ce type d’appareils est possible. Ils doivent aussi participer à créer une filière industrielle de l’éolien flottant en France et aider les constructeurs de flotteurs à développer leurs outils industriels pour réduire les délais, les coûts et les risques industriels pour des projets de plus grande envergure. Cette phase pilote ne sera qu’une étape avant la phase commerciale qui suivra. « L’État souhaite passer de la démonstration à l’industrialisation. Trois appels d’offres commerciaux pour l’éolien en mer flottant sont prévus par la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) cette année* et en 2022. La France est le seul pays d’Europe à avoir inscrit des appels d’offres pour cette filière dans sa stratégie énergétique », souligne Anne Georgelin. La PPE doit attribuer un parc de 250 MW en Bretagne Sud en 2021. Il comprendra une vingtaine de machines dans une zone qui devrait se situer à proximité de la ferme pilote de Groix. Deux autres installations de 250 MW feront l’objet d’appels d’offres l’année prochaine, cette fois en Méditerranée. Un débat public se tiendra cet été pour définir leurs zones de construction. Les projets retenus, qui devraient voir le jour vers 2028, seront conçus pour intégrer une extension de 500 MW et devront produire de l’électricité à un prix maximum de 120 euros par MWh en Bretagne Sud et de 110 € pour la Méditerranée. Après 2024, les objectifs de la PPE sont plus flous : le texte prévoit l’installation d’1 GW par an, « d’éolien posé et/ou flottant, selon les prix et le gisement ».
Des progrès à accomplir
Le principal défi de la filière est de faire baisser ses coûts. « Compte tenu du faible nombre de projets en Europe et dans le monde (voir encadré), il est encore difficile de l’estimer précisément : il est actuellement de l’ordre de 150 €/MWh », estime Anne Georgelin. Mais, selon l’Ademe, il devrait rapidement baisser. Il pourrait osciller entre 77 et 97 €/MWh en 2030 et entre 58 et 71 €/MWh en 2050. Selon Wind Europe, ses coûts pourraient converger avec l’éolien en mer posé à partir de 7 GW installés. Cela pourrait arriver dans les dix ou douze prochaines années. Néanmoins, cette trajectoire dépendra du bon vouloir des gouvernements. « Si l’Europe met en place les bonnes politiques, des volumes de production plus élevés de turbines flottantes pourraient réduire les coûts qui atteindraient 40 à 60 €/MWh dès 2030 », prévoit WindEurope. À cette échéance, certains constructeurs pensent pouvoir faire encore mieux. La start-up Eolink souhaite mettre sur le marché une machine intégrée de 20 MW. « Elle produirait à un coût de 35 €/MWh car elle est 30 % plus légère que celles assemblées par la plupart de nos concurrents grâce à un flotteur de faible dimension en acier », prévoit David Bronsard. La filière devra aussi développer sa logistique. Les ports devront notamment s’adapter pour permettre l’assemblage de structures sur place et leur remorquage vers le large. Brest et Port-la-Nouvelle, deux villes concernées par les futurs parcs, ont déjà entrepris des aménagements afin de pouvoir accueillir les activités générées par l’essor de cette technologie. Marseille s’apprête à faire de même. Entre la construction, l’assemblage dans les ports, le remorquage, l’exploitation et la maintenance, l’éolien flottant représenterait un potentiel d’emplois important sur les littoraux. Si, pour l’instant, seuls 636 emplois (soit 21 % des emplois dans les énergies marines) ont été créés par la filière dans l’Hexagone, ils pourraient être bien plus nombreux à l’avenir. « Pour l’ensemble de l’éolien en mer, on passerait de 3 000 emplois en 2019 à presque 20000 en 2028 », prédit Jérémy Simon, délégué général adjoint du Ser.
* Le premier a été publié le 30 avril par la CRE
C’est en 2009 que la première éolienne flottante a été installée en Europe. C’est aussi la première dans le monde. Le projet Hywind, mené par le norvégien Equinor (ex-Statoil), utilise la technologie des flotteurs Spar. Sa turbine développe une puissance nominale de 2,3 MW. Ce démonstrateur précurseur a permis à l’entreprise de lancer le premier parc commercial mondial au large de l’Écosse en 2017. Il comprend cinq éoliennes de 6 MW. Le deuxième projet a vu le jour sur le continent en 2011. D’une capacité de 2 MW, Windfloat a été posée sur un flotteur semi-submersible. Il a été construit par la société américaine Principle Power, au large d’Aguçadoura au Portugal. Il a permis de vérifier la pertinence de cette technologie dans cette zone fréquemment soumise à des tempêtes. Après des années de tests concluants, trois éoliennes supplémentaires de 8,4 MW ont été construites puis mises en service entre 2019 et 2020. Ce sont les plus puissantes actuellement en fonctionnement. Enfin, le projet Kincardine accueille pour l’instant une seule éolienne de 2 MW en Écosse. D’ici la fin de l’année, cinq appareils supplémentaires MHI Vestas d’une puissance 9,5 MW seront mis en service sur le site. Ce parc deviendra alors le plus important au monde avec une capacité installée de 49,5 MW. Mais il devrait être rapidement détrôné par celui prévu en 2022 par le Hywind Tampen de Equinor qui atteindrait 88 MW. Il fournira de l’électricité aux plateformes pétrolières de Snorre et Gullfaks en mer du Nord. En tout, 251 MW seront mis en service en Europe d’ici 2024. La puissance installée du Continent atteindra alors 312,8 MW.