Des tensions accrues mais maîtrisables
Le 14 septembre dernier, les gestionnaires des réseaux d’électricité et de gaz ont présenté leurs études prévisionnelles respectives pour l’hiver 2022-2023. Une partie du bon déroulé de ces prochains mois reposera sur des actions de sobriété et sur des outils comme la nouvelle version d'Ecowatt.
Alors que la crise énergétique et ses nombreuses incertitudes inquiètent de plus en plus l’ensemble de la société (politiques, institutionnels, secteurs économiques, associations et citoyens), certains se veulent plus optimistes. Et c’est notamment le cas des gestionnaires des réseaux d’électricité, RTE, et gaziers, GRTgaz et Teréga. Malgré une période assez particulière combinant une crise gazière européenne, une faible disponibilité du nucléaire français et une baisse de la production hydraulique due à la sécheresse, ces trois acteurs sont confiants quant à la capacité de la France à équilibrer l’off re-demande en énergie cet hier. « En aucun cas, la France ne court un risque de black-out, c’est-à-dire la perte de contrôle et l’effondrement du réseau », a tenu d’emblée à préciser Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE lors de la présentation le 14 septembre de son étude prévisionnelle pour l’hiver. En raison de la situation actuelle, la publication de cette dernière, habituellement début novembre, a ainsi été avancée afi n de mieux informer le public et les acteurs économiques.
Trois scénarios de production étudiés
En effet, les problèmes de sécurité d’approvisionnement et de tension du réseau peuvent apparaître dès cet automne. « Les mois de novembre et décembre vont être aussi risqués que janvier ce qui est inédit », a souligné Xavier Piechaczyk. Mais si ces difficultés sont accrues, elles restent maîtrisables grâce notamment à des efforts de sobriété. Pour parvenir à cette conclusion, l’étude saisonnière de RTE a pris en compte de nombreux paramètres - niveau de consommation d’électricité ; production électrique (nucléaire, hydraulique, renouvelable, des centrales à gaz et à charbon) ; effacements de consommation ; échanges européens – dans plusieurs configurations techniques. À partir de cette analyse, trois scénarios, dont un avec une variante sobriété, ont été créés.
Dans la principale hypothèse (au centre du graphique), la consommation poursuit la tendance actuelle ce qui signifierait que le plan sobriété n’a pas de résultats suffisants. La disponibilité du nucléaire remonte progressivement d’ici janvier mais en gardant une vision prudente d’une capacité de l’ordre de 38 GW au 1er décembre et de 45 GW début janvier. Les échanges européens, en particulier de gaz, fonctionnent normalement. Le scénario dégradé se traduit par des tensions fortes sur le gaz, ce qui limite les échanges européens. Cette forte demande occasionnera des pénuries qui touchent la production d’électricité normale des centrales à gaz dans les pays voisins ainsi qu’en France. Ce modèle pourrait aussi être similaire en cas de retard important sur le calendrier de retour de tranches nucléaires sur le réseau. À l’inverse, le scénario haut illustre notamment l’intérêt d’une remontée plus rapide de la disponibilité du nucléaire (40 GW au 1er décembre et 50 GW tout début janvier). « Cela nécessite une parfaite maîtrise des arrêts en cours et à venir ainsi qu’une remise en service pendant l’hiver de plusieurs des réacteurs qui sont affectés par le défaut de corrosion sous contrainte », détaille le président du directoire de RTE.
Signaux Ecowatt rouge
Ces différents modèles ont ensuite été croisés avec les conditions météorologiques de quatre types d’hiver (doux, médian, froid et très froid). Les résultats obtenus intègrent en outre les mesures de sauvegarde qui sont à la main du gestionnaire de réseau de transport, donc RTE, et sont activées lorsque le seul fonctionnement des marchés ne permet pas d’atteindre un équilibre. Quatre mesures de sauvegarde peuvent être actionnées successivement en fonction du manque d’énergie à un moment donné : le signal Ecowatt rouge, l’interruptabilité des grands intensifs français, la baisse de tension de 5 % des réseaux de distribution et le processus de délestage. Le souhait de RTE est de ne pas avoir à recourir à ce délestage, qualifié de solution de dernier recours et qui consiste à la mise en place de coupures momentanées, localisées et tournantes. L’analyse des données a permis de délivrer plusieurs grands enseignements. Les prévisions en matière d’approvisionnement conduisent à envisager dans la très grande majorité des situations entre 0 et 5 signaux Ecowatt rouge pendant l’hiver, voire 10, ce qui n’est pas très important. Ce signal rouge signifie que le système est tendu, avec des coupures inévitables si des baisses de consommation de manière volontaire et substantielle ne sont pas réalisées rapidement.
En cas d’hiver très froid et de conditions dégradées, le risque de déséquilibre devient plus important. Ce cas de fi gure, hautement improbable selon RTE, aboutirait à l’émission d’une trentaine de signaux Ecowatt rouge. Le risque porte majoritairement sur quelques moments spécifiques de la journée, l’essentiel des situations à risque se situant le matin (8 h à 13 h) et le soir (18 h à 20 h). « Dans tous les cas de figure, les situations de coupure programmées sont évitables, si les actions de sobriété s’étendent à tous les secteurs de l’économie française, et que la communauté nationale répond au signal Ecowatt rouge », a insisté Xavier Piechaczyk.
Faire face à la demande
Au niveau du système gazier, les perspectives de GRTgaz, avec le concours de l’opérateur Teréga, montrent que, dans un hiver moyen, le système gazier français est capable de faire face à la demande, tout en soutenant le système électrique et en contribuant activement à la solidarité européenne. Des situations de tension pourraient toutefois se développer en cours d’hiver. Si les conditions sont très froides, le défi cit hivernal en gaz peut atteindre 16 TWh, ce qui représente 5 % de la consommation hivernale. Toutefois, ce niveau serait résorbable par l’atteinte des objectifs de sobriété affichés par les pouvoirs publics. De plus, comme pour le système électrique, des leviers sont activables pour se prémunir de situations de déficit telle qu’une bonne gestion des flux sur le réseau français et des stockages souterrains tout au long de l’hiver. Avec le concours de l’Ademe et de Teréga, GRTgaz envisage en outre de déployer en octobre un dispositif d’information et de sensibilisation de type Ecowatt. Appliqué au gaz, il permettrait à tous de connaître le niveau de tension du système et de contribuer à son équilibre par la mise en œuvre d’écogestes. La sobriété sera donc le mot clé de cet hiver !
Des prix de marché loin de la réalité
Outre les tensions hivernales du réseau électrique, RTE a également étudié la dynamique des prix de marché. Avant 2021, les prix à terme évoluaient en fonction des coûts variables des dernières centrales appelées, le plus souvent thermiques. À partir de mi 2022, une décorrélation spécifique est apparue en France, avec des prix à terme de l’électricité qui s’écartent des coûts variables de production. Plus le marché anticipe des situations tendues et la mise en place de mesures de sauvegarde, plus les prix de l’électricité montent. « Sur les marchés à terme, les niveaux de prix ne reflètent pas les perspectives probables de fonctionnement du système anticipé pour l’hiver : ils intègrent une prime de risque très élevée pour la France. Or les niveaux de risques révélés par l’analyse prévisionnelle ne permettent pas de justifier des prix aussi élevés, même en étant prudent », a expliqué Thomas Veyrenc, directeur exécutif en charge de la stratégie, de la prospective et de l’évaluation de RTE, ajoutant que « tout se passe comme si le marché avait basculé en quelques mois d’une absence totale de défaillance à un scénario particulièrement dégradé et extrême alors même que l’incertitude s’est réduite ».