Stocker de l’électricité sous la mer ?

Segula Technologies développe un système destiné à stocker de l’électricité sous forme d’air comprimé sous la mer. Cette année, un démonstrateur sera installé au large du Croisic pour quatre ans. Si l’essai est concluant, cette technologie pourrait être commercialisée après 2026.
La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) fixe pour objectif l’atteinte d’une capacité installée d’éolien en mer, posé et flottant, de 2,4 GW en 2023 et de 5 GW en 2028. Des pays comme le Royaume-Uni ou la Chine ont bien plus d’ambition. La question du stockage de cette électricité intermittente se pose toutefois. Au lieu d’emmagasiner les électrons excédentaires à terre dans des batteries lithium-ion, pourquoi ne pas le faire directement en mer à proximité des sources de production ? Cette idée est développée par Segula Technologies, qui a lancé dès 2013 un projet baptisé Remora. Il est capable de fonctionner à des profondeurs modérées, de 70 à 200 mètres.
Stocker grâce à l’air comprimé Ce système est composé d’une plateforme flottante qui, avec une puissance électrique, comprime de l’air en pompant de l’eau dans une chambre. Cet air est stocké dans des réservoirs sous-marins. Puis lorsque le besoin s’en fait sentir, il est renvoyé vers la plateforme dans laquelle il fait tourner des générateurs. L’électricité produite est alors injectée dans le réseau. Si le principe n’est pas nouveau, le faire fonctionner sous la mer demande des ruptures technologiques.
Faire sauter les verrous
« Différentes thèses ont été menées en collaboration avec des laboratoires pour lever ces verrous. Un brevet a été déposé deux ans plus tard. Puis jusqu’en 2018, nous avons testé les différentes briques de la technologie en laboratoire », explique Thibault Neu, chef de projet R&I chez Segula Technologies et chercheur associé à l’IMT Atlantique. Deux ans plus tard, l’entreprise a lancé un démonstrateur à terre baptisé ODySEA en collaboration avec le Centre technique des industries mécaniques (Cetim) et l’Université de Nantes. D’une capacité de 3 kW, il a permis de valider le principe technique.
« Nous avons amélioré le procédé et atteint un rendement global du système de 70 % entre l’électricité consommée en entrée en mode stockage et celle restituée à la sortie. En général, le stockage par air comprimé ne dépasse pas les 50 % de rendement », détaille Thibault Neu. Reste à le tester en mer. C’est à cette étape décisive que se consacre Segula Technologies. D’ici la fin de l’année, un prototype de 100 kW du nom de Seamac sera immergé au large du Croisic sur le site d’expérimentation du Sem-Rev, géré par Centrale Nantes. Il fonctionnera durant quatre ans et permettra de mener des tests en conditions réelles.
Installation complexe
« Installer une technologie en mer est forcément plus compliqué qu’à terre. Nous avons donc choisi des composants existants et éprouvés que nous avons assemblés (pompes hydrauliques, vannes, tuyaux, systèmes pneumatiques, etc.). Ils sont déjà utilisés sur des navires ou sur des plateformes pétrolières », précise Thibault Neu. Le milieu marin ne présente pas que des points négatifs. Pour refroidir le système de compression ou maintenir l’air sous pression, il possède des avantages significatifs. Si les tests s’avèrent concluants, cette technologie pourrait être commercialisée après 2026.
Le projet final se composera d’une plateforme flottante d’une puissance de 15 MW et de réservoirs sous-marins atteignant une capacité de stockage de 90 MWh, soit six heures de stockage. Compte tenu des coûts en baisse des batteries au lithium, cette technologie a-t-elle une chance de percer ? « Dans les prochaines décennies, il est impossible de dire quel sera le prix du lithium et s’il y aura des difficultés d’approvisionnement. Pour Remora, toutes les pièces sont fabricables en France, contrairement aux batteries. De plus, elles sont déjà utilisées dans certaines filières ce qui contribuera à faire baisser les coûts », conclut Thibault Neu.