L’avion du futur devra être sobre

03 07 2021
Olivier Mary
Alex
Le concept d’aile volante de l’avionneur européen est le plus audacieux. Les immenses ailes pourraient servir à stocker l’hydrogène.

Les rejets de carbone de l’aviation restent faibles, cependant ils ne cessent de croître et l’augmentation des vols peut faire craindre une tendance durable. Le secteur n’aura donc pas d’autres choix que de se décarboner. Pour y parvenir, il devra moins consommer et utiliser de nouveaux carburants moins polluants. Les nouveaux appareils ne devraient pas voir le jour avant 2035 et ne se démocratiseront que d’ici la seconde moitié du XXIe siècle.

Au siècle dernier, l’avion du futur était supersonique. Le Concorde en était la parfaite incarnation, reliant dès 1977 Paris et New York en 3 h 30 à peine. Plus de quarante ans plus tard, le changement climatique est une réalité tangible et les priorités ont changé. L’industrie aéronautique aurait bien du mal à justifier qu’un aéronef consomme 14 litres par passager pour parcourir 100 kilomètres (soit quatre fois plus que les avions actuels) comme l’ancien appareil franco-britannique. D’autant plus que 1 kg de kérosène fossile consommé émet 3,8 kg de carbone. Si le transport aérien ne représente que 2,5 % des émissions de CO2 dans le monde, l’augmentation des vols fait craindre une croissance rapide de ces rejets. Sans l’amélioration de l’efficacité énergétique de la filière, ce chiffre serait d’ailleurs bien supérieur. « En cinquante ans, nous avons divisé par quatre la consommation de kérosène par passager mais la croissance des vols telle qu’on l’a connue jusqu’à la crise (+4 à 5 % par an) nous oblige à faire plus », reconnaît Anne Bondiou-Clergerie, directrice affaires R&D, espace et environnement au Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas).
L’industrie aéronautique s’est donc fixée des objectifs climatiques. Elle envisage de réduire ses rejets de CO2 de 50% en 2050 par rapport à 2005. Mais il sera difficile de concilier cet impératif de décarbonation avec le doublement du trafic attendu à cette échéance. Le secteur devra donc se réinventer.

Changer de carburant

Aujourd’hui, l’ensemble des flottes volent grâce à un kérosène d’origine fossile. Pour se décarboner, l’aviation devra peu à peu le remplacer par des carburants de deuxième génération issus de la biomasse qui ne nécessiteront pas de développer de nouveaux moteurs. Les carburants de première génération, synthétisés à partir de colza, de palme, ou d’autres cultures sont exclus car ils entrent en concurrence avec l’alimentation. Néanmoins, il est possible et plus vertueux de créer du kérosène à partir d’huiles usagées. C’est d’ailleurs la filière la plus mature à l’heure actuelle. Le procédé consiste à hydrogéner ces huiles pour en retirer l’oxygène et produire ainsi des huiles végétales hydrotraitées sans soufre ni aromatiques. Ensuite, elles sont soumises à une hydroisomérisation pour transformer les paraffines en iso-paraffines. On peut alors les transformer en kérosène ou en gazole. Air France-KLM a réalisé le 18 mai dernier un premier vol long-courrier entre Paris et Montréal grâce à un tel carburant. Fabriqué par Total à partir d’huiles de cuisson, ce kérosène a été mélangé à hauteur de 50 % avec son équivalent fossile. Du point de vue environnemental, il rejette 91 % de CO2 de moins que le kérosène classique. Cette technologie peut donc sembler parfaite mais son coût reste élevé et, plus pénalisant, la ressource disponible est extrêmement limitée : elle est estimée à 50 000 tonnes par an en France et elle est déjà convoitée par les secteurs du transport routier et de la chimie.

 

Cet avion a réalisé le 18 mai dernier un premier vol long-courrier entre Paris et Montréal grâce un biocarburant. © Air France
Cet avion a réalisé le 18 mai dernier un premier vol long-courrier entre Paris et Montréal grâce un biocarburant. © Air France


D’autres technologies existent. La voie Biomass to liquids (BtL) consiste à convertir de la biomasse lignocellulosique (résidus de bois, pailles de céréales, déchets forestiers, papiers, cartons, etc.) en carburant de synthèse grâce à la pyrogazéifi cation. Une fois le syngaz produit, il est purifié puis transformé en liquide grâce à l’opération de Fisher-Tropsh. Ce procédé, qui permet de transformer du syngaz en hydrocarbure grâce à un catalyseur, présente un bon rendement énergétique mais nécessite des investissements lourds. Bionext produit du kérosène de cette façon sur son démonstrateur de Dunkerque(1). La transformation de l’éthanol ou d’autres alcools en kérosène (Alcool to jet) est également possible, l’éthanol étant produit, soit par fermentation de sucre ou d’amidon, soit à partir de lignocellulose préalablement transformée en sucre.

Récupérer et valoriser le CO2

Outre ces biocarburants avancés, la filière envisage de fabriquer du e-kérosène à partir d’électricité renouvelable et de CO2. Il a lui aussi les mêmes caractéristiques que le kérosène fossile. Ce procédé repose sur plusieurs étapes. Il faut tout d’abord produire de l’hydrogène grâce à un électrolyseur. Puis, en le combinant avec du CO2, un syngaz est créé. Il est alors liquéfié grâce à l’opération de Fisher-Tropsh, puis raffiné. Le projet France KerEAUzen, porté par Engie et ses partenaires (2), reposera sur ce principe. Sans expérience particulière dans l’aviation, le groupe gazier s’intéresse à cette technologie car il est présent sur l’ensemble de la chaîne permettant de produire du e-kérosène. « Nous produisons de l’électricité renouvelable et de l’hydrogène vert ainsi que du bio- méthane. Avant de produire ce biométhane, nous purifions le biogaz pour le débarrasser du CO2 puis nous procédons à l’injection. Notre ambition est de capturer ce CO2 et de l’utiliser pour fabriquer du kérosène de synthèse », révèle Laurence Boisramé, directrice de programme hydrogène & e-carburants chez Engie. À partir de 2025, ce carburant pourrait être injecté dans le réseau de transport pétrolier géré par la Société des transports pétroliers par pipeline afin d’alimenter les aéroports de Roissy et d’Orly. Engie pense pouvoir le produire au même prix que les biocarburants avancés aux alentours de 2030. Trois facteurs seront décisifs pour déterminer son coût: le prix de l’électricité renouvelable qui sera lié à l’augmentation des capacités installées, le développement rapide de la filière pour atteindre une taille industrielle d’ici 2030, le type de CO2 et les volumes disponibles. « Le CO2 issu de la méthanisation est extrêmement concentré et donc peu cher à capturer et à purifier. Il faudra sélectionner des unités proches de la demande pour réduire les coûts de transports », explique Laurence Boisramé.

Des recherches pour moins consommer

Ces nouveaux carburants ne peuvent être mélangés à plus de 50 % avec les hydrocarbures fossiles dans les réservoirs des avions pour des raisons réglementaires. Mais cela pourrait évoluer. Boeing a annoncé que certains de ses avions voleraient avec 100 % de kérosène vert bien avant 2050. Techniquement, cela ne poserait aucun problème. Mais il faudra baisser les coûts de l’ensemble de ces procédés. « On pourrait probablement produire à un tarif deux à trois fois supérieur au kérosène classique. C’est beaucoup mais le secteur a déjà traversé des chocs pétroliers qui ont entraîné des variations de prix similaires », estime Anne Bondiou-Clergerie. Pour compenser les coûts plus élevés des carburants décarbonés, il faudra mettre sur le marché des aéronefs plus sobres. Des progrès immenses ont déjà été réalisés ces cinquante dernières années. La flotte du groupe Air France consomme en moyenne 3,3 litres de carburant par passager aux 100 kilomètres. Pour atteindre un tel chiffre, l’aérodynamique a été améliorée et les appareils ont été considérablement allégés grâce à l’apparition de matériaux plus légers (plastiques, fibres de carbone) et à la miniaturisation de l’électronique à bord.

 

enquête avion airbus
Airbus a dévoilé fin 2020 trois projets baptisés ZEROe : un avion à réacteurs, un autre à hélices et une aile volante. Ils sont alimentés par des moteurs à turbine à gaz modifiés qui brûlent de l’hydrogène. ©
Airbus


Les innovations sur les moteurs ont également joué un rôle immense, en particulier l’invention par Safran du moteur double-flux dans les années 1970. Les avions ont aussi été de plus en plus électrifiés. Sur le Boeing 787, le démarrage des moteurs, le dégivrage, le conditionnement de l’air de la cabine et le freinage sont électriques. Pour réduire encore la consommation, il faudra aller plus loin. Mais les marges de manoeuvre se réduisent. « Il est encore possible de diminuer le poids des avions notamment grâce à la miniaturisation de l’électronique », explique Anne Bondiou-Clergerie. Il sera envisageable de gagner 10 % de CO2 en perfectionnant l’exploitation d’ici 2050. En Europe, le secteur réfléchit à créer des trajectoires plus directes ou à faire voler des avions en formation pour profi er de l’aspiration.
Des recherches pour économiser le carburant grâce à des ailes à grand allongement qui permettent une meilleure portance sont aussi menées. Cependant, c’est surtout sur les moteurs qu’il faudra progresser. General Electric Aviation et Safran, qui ont déjà créé ensemble le moteur double-flux, viennent de lancer un programme de développement technologique avec pour objectif de réduire de plus de 20 % la consommation de carburant par rapport aux moteurs actuels. Pour y parvenir, les deux sociétés vont tenter de donner au moteur une efficacité propulsive maximale, notamment en travaillant sur des réacteurs non carénés. Ce programme, baptisé RISE, comprendra plus de 300 prototypes de composants, modules et de moteurs complets. Les premiers tests au sol d’un démonstrateur sont prévus vers le milieu de la décennie. Ils seront suivis par des essais en vol dans la foulée.

 

Enquete avion
Daher, Airbus et Safran développent un démonstrateur d’avion à propulsion hybride. © Daher


Des avions à la pointe

D’autres solutions sont envisagées, mais elles restent plus hypothétiques. « Faire voler un avion à l’hydrogène liquide implique une conception radicalement nouvelle des aéronefs. Le défi principal de cette technologie est qu’il faut prévoir un réservoir spécial pour le conserver à une température de -253 °C », révèle Laurence Boisramé. En outre, l’hydrogène liquide occupe un espace de stockage quatre fois supérieur à celui du kérosène pour une même quantité d’énergie donnée. Le réservoir doit donc avoir une taille immense, peu compatible avec une architecture d’avion classique. Malgré ces limitations, les constructeurs travaillent sur ce concept.
Airbus souhaiterait développer un avion à l’hydrogène d’ici 2035. Le groupe européen a dévoilé fin 2020 trois projets baptisés ZEROe : un avion à réacteurs, un autre à hélices et une aile volante. Ils sont alimentés par des moteurs à turbine à gaz modifiés qui brûlent de l’hydrogène. Ils utilisent également des piles à hydrogène pour créer de l’énergie électrique qui seconde la turbine. Le concept d’aile volante de l’avionneur européen est le plus audacieux mais ce n’est pas pour des raisons purement esthétiques. Les immenses ailes pourraient servir à stocker l’hydrogène, ce qui paraît très compliqué dans un avion à l’architecture classique. Si ce concept n’est pas concluant, l’hydrogène pourra toujours servir sur des vols limités en distance. « Il est possible qu’il soit bien adapté pour des trajets régionaux et court-courriers mais pas pour les long-courriers à cause des réservoirs beaucoup trop volumineux. Il ne faut pas oublier que le court et le moyen-courrier représentent la majorité des vols », explique Anne Bondiou-Clergerie.

Batteries électriques

Transporter une centaine de passagers dans des avions totalement électriques semble davantage relever de l’utopie. En effet, de tels appareils perdraient beaucoup de place pour transporter de grandes quantités de batteries qui alourdiraient énormément l’appareil. Le seul moyen de faire voler un tel avion serait d’augmenter la densité d’énergie des batteries mais rien n’assure que cela sera possible. Cependant, des industriels y croient. Wright Electric et la compagnie EasyJet souhaitent faire voler un avion électrique de 186 places d’ici dix ans sans donner beaucoup plus de précisions. Pour des engins de plus petite taille, l’obstacle ne semble pas insurmontable. La compagnie canadienne Harbour Air a fait voler en 2019 un hydravion électrique à hélice. Elle envisage de proposer des vols commerciaux d’ici 2022. Mais l’habitacle ne peut embarquer que six passagers au maximum. Quelles que soient les solutions retenues, elles seront toutes plus chères que les technologies classiques, surtout que les prix du kérosène fossile sont très bas. Un mécanisme carbone pourrait-il permettre au secteur de se décarboner plus rapidement ? L’Union européenne réfléchit à l’intégrer au système d’échange de quotas d’émission (ETS). « Nous aurons toujours besoin d’un secteur aérien, mais il devra être plus durable. On peut l’y encourager en l’intégrant au marché du carbone (…) C’est un secteur qui devra se restructurer », a déclaré en septembre dernier Frans Timmermans, vice-président de la commission chargé du Pacte vert de l’UE. Alors que le secteur aérien vit la plus grande crise de son histoire, difficile d’imaginer qu’il soit très enthousiaste à cette idée.

 

(1) Bionext mène ce projet en partenariat avec Avril, Axens, le CEA, IFPEN, Thyssenkrupp Industrial Solutions et Total.

(2) Engie a formé un consortium avec Sunfire, ADP, Airbus, Air France-KLM et Safran.

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