« La filière bois-énergie doit se remettre dans une dynamique d’anticipation et de co-construction »

07 12 2022
Interview de Mathieu Fleury, président du Comité interprofessionnel du bois-énergie (Cibe) et président de Biocombustibles
portrait Mathieu Fleury

Depuis l’année dernière, une reprise de la dynamique de la filière bois-énergie a été constatée en France. Après quelques années de stagnation, voire de baisse, cette tendance actuelle est positive mais des actions doivent être entreprises afin de la conserver. Selon Mathieu Fleury, président du Comité interprofessionnel du bois-énergie (Cibe) et président de Biocombustibles, la filière nécessite encore de se structurer, d’échanger, de se coordonner et de co-construire ensemble.

Quelle est la dynamique actuelle de la filière bois-énergie ?
Mathieu Fleury :
La dynamique doit être remise dans le contexte de la filière bois et de celle de l’énergie. C’est la particularité du bois-énergie : être intimement lié aux deux. La filière bois a connu en France une année dense, comme pour tous les matériaux, avec de très fortes demandes post-covid accompagnant une certaine reprise. Ce fort engouement a été observé pour toutes les essences dans les ventes de bois, en particulier sur le chêne. Quand la filière bois est dynamique, celle du bois-énergie ne s’en porte que mieux. Plus on produit de bois d’oeuvre, plus il y a de bois-énergie et de sous-produits disponibles.
 
La filière bois-énergie a ainsi montré un très fort élan, en particulier sur le marché des chaufferies collectives et individuelles. La hausse du prix des énergies fossiles, en particulier du gaz, a-t-elle joué un rôle ?

M. F. : Cette augmentation qui remonte à l’été 2021, est une des principales raisons de cette forte mobilisation des centrales biomasse. Très peu d’équipements ont été en panne ou mis à l’arrêt l’hiver dernier. C’est assez symptomatique de la volonté d’économiser du gaz ce qui n’était pas le cas de façon aussi sensible les années auparavant. L’an dernier, malgré l’absence de rigueur climatique forte, la consommation de biomasse a augmenté de 20 %, soulignant ainsi l’utilisation des chaufferies au maximum de leur capacité. Et ce, dans le but de réduire avant tout le fonctionnement des centrales gaz. C’est un vrai constat observé partout en France, et qui continue ! La volonté de décarboner tous les secteurs, notamment l’industrie, participe aussi à cette tendance. Avec des niveaux élevés, autour de 100 € la tonne, le prix de la tonne de CO2 est également devenu un élément fortement incitatif pour les industriels. C’est moins rapide dans les collectivités. Le temps plus long dans la gestation des projets et les trop nombreuses incertitudes (prix des énergies et du matériel, délai de livraison…) qui perturbent les analyses économiques, freinent cette reprise de bonne dynamique pour le bois-énergie.

Quel a été l’impact de cette hausse de la consommation de biomasse sur la filière ?
M. F.
: Cela a amené quelques crispations dans certains territoires sur les questions d’approvisionnement. On ne peut du jour au lendemain facilement appréhender 20 % de plus de demande en bois sur un territoire. On a réussi à le faire sur certains bassins et au final, globalement il n’y a pas eu de défaillance ou très peu. C’est un gros point de satisfaction car cela montre la capacité des acteurs à se mobiliser pour approvisionner les installations. Petit coup de pouce du destin avec des mois de mars et d’avril plus doux et surtout secs, ce qui a permis de travailler en forêt pour abattre et débarder le bois afin de reconstituer des stocks.

Les autres marchés du bois-énergie ont-ils connu même engouement que les chaudières biomasse ?
M. F.
: Les situations restent différentes. Sur la filière des granulés, on observait en janvier des surstocks sur les territoires. À partir de juin, la demande s’est emballée comme ce fut le cas avec les pâtes et la moutarde par peur et crainte de manquer en raison de la guerre en Ukraine. En quatre mois, il s’est vendu la même quantité de granulés que l’année précédente. Le nombre de matériels a certes augmenté mais ne peut justifier cet emballement. Cela a créé beaucoup de crispations et des difficultés d’approvisionnement alors même qu’il faisait 25 °C dehors. Par conséquent, les prix ont augmenté de façon déraisonnable, avec notamment des phénomènes d’importation exacerbant cette hausse. J’espère que la filière ne va pas en pâtir. On constate que la vente de matériel à granulés a fortement diminué sur le dernier trimestre en lien avec ces difficultés sur la chaîne d’approvisionnement générées avant tout par de l’irrationnel. Pour la filière bûche, la demande reste très soutenue depuis un an et demi. Comme ce sont les plus gros volumes de bois, dès lors que la demande est soutenue, le prix évolue ce qui perturbe les autres filières comme celle des plaquettes. C’est potentiellement durable car les ventes de poêles-bûches sont encore en forte hausse.

Quels leviers sont-ils nécessaires pour conserver cette dynamique dans la filière bois-énergie ?
M. F.
: Nous avons encore besoin de dialogues accrus entre les acteurs mais aussi d’anticipation. Pour mobiliser du bois-énergie, il faut anticiper. On n’allume pas une chaudière qui consomme 10 000 tonnes de bois par an sans avoir prévu l’approvisionnement. Surtout que les périodes de stagnation passées ont quand même eu un impact sur la filière d’approvisionnement : les entreprises fragiles n’ont ainsi pas résisté ou n’ont pas les capacités financières pour investir dans des machines pour aller chercher la ressource. D’autant plus que le prix de ces machines a augmenté, tout comme le délai de livraison. L’idéal est de se mettre d’accord un an avant sur des projets pour que les entreprises puissent répondre aux différents besoins. Je suis confiant mais il faut se remettre dans une dynamique d’anticipation et de co-construction de plans d’approvisionnement.

Davantage de soutien public est-il attendu par la filière ?
M. F.
: Cette année, le Fonds Chaleur va être largement dépensé. Il faudrait absolument le doubler, et rapidement si on veut espérer se rapprocher des objectifs nationaux. Je suis stupéfait qu’on puisse mettre 60 milliards d’euros de subventions pour les énergies fossiles à travers le bouclier tarifaire, et qu’on ne soit pas capable de rajouter 500 millions d’euros pour doubler cet outil si essentiel pour la chaleur décarbonée. Ce bouclier tarifaire est peut-être nécessaire pour les citoyens mais il est dramatique pour le développement des énergies renouvelables en France.

Dans le cadre de la révision de la directive sur les énergies renouvelables (RED III), la biomasse primaire ligneuse pourrait être exclue des EnR et donc d’accès aux aides publiques. Qu’en pensez-vous ?
M. F.
: Ce sujet nous a beaucoup préoccupé. On appelle de nos vœux les pouvoirs publics à échanger fortement à l’échelle européenne pour ajuster ce texte. Les arbitrages sont attendus avec crainte et impatience en même temps car l’enjeu est considérable. J’ai un peu peur que le sujet bois-énergie soit sacrifié par rapport aux discussions sur le nucléaire, le gaz ou encore la politique agricole commune (PAC). Est-ce que la fi lière bois, en particulier bois-énergie, ne va pas être l’oubliée de l’histoire ? C’est ma crainte. Sur cette question, les majors que sont EDF et Engie sont montées au créneau à l’échelle de Bruxelles car le texte risque d’avoir des impacts sur les projets en cours et futurs.

Qu’est-ce qui explique ce défaut de reconnaissance ?
M. F.
: La communication de la filière bois n’est pas bonne dans son ensemble, et est très loin des majors de l’énergie. Il n’y a pas d’organisation et de structuration comme d’autres filières professionnelles. C’est en train de changer, notamment avec l’arrivée de Jean-Michel Servant en tant que président de France Bois Forêt (juin 2021). Il apporte une vraie dynamique et une vision d’ensemble, tout en ayant cette facilité qu’ont les polytechniciens à dialoguer avec leurs pairs et à accéder plus aisément aux cabinets de ministres. Son mandat dure trois ans, donc il faut en profiter pour mettre en œuvre une vraie coordination de fi lière avec un langage unique vis-à-vis des pouvoirs publics. Tout cela doit également nous alerter sur un sujet important de cette filière bois qui touche avant tout la communication et l’acceptabilité. On ne peut pas nier que le dialogue et la communication avec la société sont insuffisants. Cette dernière veut plus de bois pour ses constructions et son énergie mais ne souhaite pas la coupe d’arbres. Ce n’est évidemment pas possible. Il faut donc réussir à expliquer la gestion des forêts. Couper les arbres en forêt est en effet nécessaire pour faire grandir la ressource, stocker davantage de CO2 ou encore améliorer la qualité du bois. Tout cela, la filière en a bien conscience : quel que soit l’acteur concerné – scieurs, producteurs de papier, de panneaux, d’énergie –, tous doivent dialoguer dans le même sens pour mieux faire comprendre notre travail dans l’exploitation durable des forêts. Depuis notamment la crise ukrainienne, le marché français s’ouvre progressivement à d’autres pays.

Est-ce une nouveauté ?
M. F.
: Avant on était dans l’entre-soi : le bois-énergie produit en France allait en France. Désormais, nos amis européens sont sur notre marché national pour acheter de la biomasse et des plaquettes à des prix sensiblement supérieurs. Cela peut donc bouleverser pas mal de choses. Positivement ou négativement ? Je ne sais pas. On est dans l’Europe, et des crises climatiques qui auront un impact sur la forêt risquent de se répéter de plus en plus. Il faut peut-être s’habituer à ce que ces flux, mis en place dans un caractère d’urgence et dans des économies bouleversées, se pérennisent. Les échanges entre les pays européens mais également entre régions françaises – indispensables pour atteindre les objectifs nationaux – doivent être réalisés, notamment en recourant au fret ferroviaire et fluvial.

Propos recueillis par Clément Cygler

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