Le captage-stockage de CO2, prêt à changer d’échelle ?

14 12 2021
Thomas Blosseville
TCM

Le captage-stockage de CO2 va-t-il revenir sur le devant de la scène ? Aux côtés des énergies renouvelables, des batteries et de l’efficacité énergétique, il figure parmi les priorités du contrat de filière « nouveaux systèmes énergétiques » signé en novembre par le Gouvernement. Objectif : développer en France, à l’horizon 2030, au moins deux projets de taille industrielle. Au début des années 2000, le captage- stockage de carbone avait disparu des écrans radars, la faute en particulier à un prix du CO2 trop faible pour rentabiliser les projets.

« Mais la société a pris conscience de l’impact du changement climatique », observe Florence Delprat-Jannaud, responsable à l’institut IFP Énergies nouvelles du programme CCUS (carbon capture, utilization and storage). « La société a aussi pris conscience que plus on tarde à réduire les émissions de gaz à effet de serre, plus le CCUS devient une partie de la solution. » De leur côté, les industriels s’engagent à nouveau. En témoignent les annonces faites par Air Liquide et BASF, pour un projet à Anvers en Belgique, et par TotalÉnergies de sa participation à un autre projet aux Pays-Bas.

Une stratégie nécessaire

Pour quantifier l’enjeu, les acteurs du secteur s’appuient sur un scénario publié au printemps dernier par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui accorde une place conséquente au captage-stockage. Alors qu’aujourd’hui 40 millions de tonnes de CO2 par an sont captées et stockées dans le monde, il faudrait grimper à 4 milliards de tonnes d’ici 2035 pour atteindre, selon l’AIE, la neutralité carbone. Soit une multiplication par 100 en 15 ans.

En 2050, ce sera 7,6 milliards de tonnes. Toujours selon l’AIE, sur les cinquante prochaines années, 36 % du CO2 stocké dans le monde proviendraient du secteur électrique, 32 % de l’industrie et 28 % du transport, notamment pour décarboner la production d’hydrogène destinée à la mobilité. Le solde de 4 % serait capté directement dans l’air, grâce à des procédés qui doivent néanmoins encore faire leurs preuves. Et en France ? La Stratégie nationale bas carbone (SNBC) estime à 80 millions de tonnes de CO2 les émissions qui ne pourront pas être supprimées à l’horizon 2050. Le captage-stockage est envisagé pour 15 millions d’entre elles.

Captage et Stockage de CO2
©TCM

Dans une étude publiée l’an passé, l’Ademe a identifié trois principales régions présentant un potentiel dans l’Hexagone : les Hauts-de-France pour 15 millions de tonnes par an, la Normandie pour 6 millions et la Nouvelle-Aquitaine pour 3 millions. « Les critères pertinents pour développer un projet sont l’absence d’alternative technologique mature à grande échelle, la concentration en CO2 dans les fumées ou les procédés, et les tonnages », analyse Guillaume De Smedt, directeur adjoint développement durable d’Air Liquide.

« Lorsque le CO2 est concentré à plus de 15-20 %, il existe des technologies compétitives. » Des installations de production d’ammoniac, d’hydrogène ou d’oxyde d’éthylène constituent, par exemple, des cibles de choix pour le captage. « Il faut aussi s’assurer de la disponibilité de sites de stockage suffisamment bien caractérisés. »Techniquement, le captage-stockage est opérationnel. En 2020, dans le monde, 65 projets étaient recensés, dont 26 en opération, ainsi que 34 pilotes et démonstrateurs, recense Florence Delprat-Jannaux. « Les technologies fonctionnent, mais il y a de gros enjeux de changement d’échelle. C’est un grand saut à réaliser. Il demande encore des efforts de recherche et d’innovation », pointe l’experte de l’Ifpen.

Valoriser mais surtout stocker

Une fois capté, il sera certes possible de valoriser le CO2. « La principale utilisation résidera certainement dans les biocarburants, ensuite dans sa conversion en molécules chimiques ou en matériaux. Enfin, la dernière voie, qui existe aujourd’hui, est celle de l’agroalimentaire et des serres », présente Florence Delprat-Jannaux. Mais selon l’AIE, seul 8 % du CO2 à capter entre 2020 et 2070 pourra être valorisé. « Pour les 92 % restants, il faudra trouver des solutions de stockage. » Plusieurs options sont sur la table. Il existe d’anciens réservoirs d’hydrocarbures, déjà bien connus.

Mais les spécialistes s’intéressent aussi aux aquifères salins profonds : quand on injecte du CO2 dans des roches contenant des saumures, c’est-à-dire des eaux très salées, le CO2 se dissout, réagit avec la roche et se minéralise. Il existe aussi des sous-sols de basaltes permettant de rapidement minéraliser le CO2, mais les sites sont peu répandus. « En France, jusqu’ici, les études sont restées assez théoriques à une échelle relativement large. Il faudrait caractériser des sites plus finement », expose Isabelle Czernichowski-Lauriol, géologue au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), spécialiste du stockage géologique de CO2.

Captage et stockage de CO2
©TCM

Parmi les candidats, figurent d’anciens réservoirs d’hydrocarbures, par exemple dans la région de Lacq (Pyrénées Atlantique), où TotalÉnergies a mené un projet pilote aujourd’hui terminé. Plus largement, « l’Hexagone possède trois grands bassins sédimentaires où l’on pourrait envisager des sites de stockage : le bassin parisien, le bassin aquitain et la vallée du Rhône », situe la géologue. Sachant que le stockage peut être réalisé sur le continent, mais aussi au large.

Avant d’injecter, il faudra d’abord bien connaître les sites : étudier les caractéristiques des différentes couches géologiques, en particulier la géométrie de la couche réservoir, sa profondeur, son épaisseur, son extension, sa porosité et sa perméabilité. Il sera aussi nécessaire de réaliser des simulations numériques pour comprendre comment le CO2 va se comporter dans ce réservoir, où il vaut mieux positionner les forages d’injection, etc.

Les risques de sismicité, induits par l’injection du CO2, font également l’objet d’une attention particulière. « Au moment de caractériser un site, on étudie la nature des roches et la présence de failles. On va prévoir la quantité de CO2 injectable et n’en introduire qu’une quantité permettant d’assurer l’intégrité et la sécurité de la conservation. On dispose aussi d’outils de surveillance, assure Florence Delprat-Jannaud de l’Ifpen. Le risque zéro n’existe pas, mais on sait le contrôler. » Quitte à exclure des zones, comme le Nord de l’Italie.

Une question de coûts

Au-delà de cette multitude de connaissances à acquérir, le principal frein reste cependant le coût du captage- stockage, notamment à cause de son besoin en énergie. C’est tout particulièrement le cas quand il s’agit de traiter des fumées relativement peu concentrées en CO2, comme dans les centrales biomasse ou les incinérateurs.

  « Pour toute technologie de transition énergétique et de décarbonation, la question du coût revient vite à celle de l’internalisation du prix de CO2 dans l’économie. Pour le captage-stockage, on évalue autour de 100 € la tonne de CO2 le prix nécessaire pour viabiliser les projets », chiffre Guillaume De Smedt, d’Air Liquide. Une analyse partagée : « l’enjeu porte en effet surtout sur le prix du CO2 », abonde Samuel Marre, chercheur au CNRS.

« La question de l’acceptabilité sera un point crucial. »
Pierre-Franck Chevet, président de l’Ifpen

« Il existe beaucoup d’aquifères salins sur Terre. De grandes quantités de CO2 peuvent y être injectées, mais le CO2 n’y sera pas récupérable, donc pas valorisable. » Pour changer d’échelle, des infrastructures de transport seront aussi nécessaires. Camions, bateaux, pipelines… Il faudra trouver la solution économiquement optimale. Sans attendre, les chercheurs explorent d’autres voies. « Une piste consiste à coupler le stockage de CO2 à la géothermie », soulève Samuel Marre.

Le principe : « Après avoir prélevé l’eau chaude dans le sous-sol, on la réinjecte plus froide et, au passage, on y incorpore du CO2. » Mais dans tous les cas, « la question de l’acceptabilité sera un point crucial », juge Pierre-Franck Chevet, président de l’Ifpen. Pour faciliter les projets, le stockage pourrait se faire dans le sous-sol marin plutôt que terrestre, engendrant probablement un surcoût. Quoi qu’il en soit, « nous allons travailler avec des spécialistes des sciences humaines et sociales pour déterminer quelles questions seront posées », continue Pierre-Franck Chevet. « Et comment y répondre, de façon scientifiquement fondée, mais aussi convaincante. »

 

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