Corrosion dans le nucléaire : un problème ancien
Le parc nucléaire d’EDF souffre de problèmes de corrosions qui obligent l’énergéticien à mettre à l’arrêt certains de ses réacteurs. Cela entraînera un déficit d’approvisionnement en électricité cet automne dans un contexte déjà tendu compte tenu de la crise actuelle.
Le 25 août, EDF a annoncé prolonger l’arrêt de quatre de ses réacteurs après la détection de problèmes de corrosion sous contraintes : il s’agit de Cattenom 1 (remise sur le réseau prévue le 1er novembre), Cattenom 3 (11 décembre), Cattenom 4 (14 novembre), et Penly 1 (23 janvier 2023). Le 21 octobre 2021, l’électricien avait informé l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) avoir détecté des fissures sur un circuit de refroidissement de secours du réacteur n°1 de la centrale de Civaux. Cette anomalie avait déjà été constatée au cours de contrôles par ultrasons programmés lors de la deuxième visite décennale de l’installation. Or, cette anomalie ne concerne pas seulement Civaux. Lors de leurs arrêts programmés, de nombreux réacteurs ont montré le même défaut. Des contrôles plus approfondis ont donc été menés : des portions de tuyaux ont été découpées, révélant des fissures sur les soudures des tuyaux de circuit d’injection de sécurité et de refroidissement à l’arrêt. La prolongation de l’arrêt des quatre réacteurs vise, selon EDF, à mieux estimer le temps nécessaire pour mener les investigations et travaux de réparation. Douze ont déjà été mis à l’arrêt pour cette raison.
Un risque sérieux
Comment expliquer de telles anomalies ? L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) estime que « la corrosion a […] très probablement été activée […] à cause de la proximité avec le circuit primaire. En effet, la température y avoisine les 300 °C, ce qui peut entraîner des problèmes de corrosion ». ». L’Institut précise que ces anomalies ne sont pas liées à l’âge des réacteurs. « Les défauts se situent à proximité de soudures, directement au niveau de la tuyauterie. Ils ne sont pas liés à l’ancienneté du réacteur car présents notamment sur les réacteurs les plus récents du parc nucléaire, les N4, mais probablement liés au chargement mécanique qui s’exerce sur les soudures ». Selon un rapport publié par Global Chance (1), le phénomène serait donc multifactoriel. Et le risque est particulièrement sérieux. « Si les défauts détectés sur les soudures évoluent, ils peuvent provoquer une brèche sur le circuit principal de refroidissement du réacteur. Le risque est donc de générer une situation d’accident nucléaire », indique l'organisation. Compte tenu de l’ancienneté du parc français, il paraît étonnant que telles anomalies aient été détectées seulement en 2021. En fait, selon un document de l’IRSN paru en 2005 (2) et exhumé par Global Chance, des problèmes similaires avaient déjà été constatés en France il y a une vingtaine d’années. En 1998, des fissures avaient endommagé dans un premier temps un tronçon du circuit de refroidissement du réacteur à l’arrêt (RRA) de Civaux 1, entrainant une fuite. À l’époque, la fatigue thermique due aux conditions de mélange défavorable entre les fluides froid et chaud avait été pointée du doigt.
Un problème général
Et ce problème ne s’est pas circonscrit à la première tranche de Civaux. Jusqu’en 2001, des tronçons de RRA ont été découpés et remplacés sur l’ensemble du parc… « À l’image de ce qui s’est produit il y a vingt ans, il est donc probable qu’en 2022, l’ensemble des 56 réacteurs en fonctionnement soit concerné, à des degrés divers y compris ceux du palier 900 MW, ceux des paliers 1 500 MW et 1 300 MW ayant déjà révélé, après contrôle, la présence de fissures attribuées à une corrosion sous contrainte », prévient Global Chance. Et cela tombe plutôt mal en pleine crise énergétique. Actuellement, 32 des 56 réacteurs français sont arrêtés. EDF estime sa production nucléaire entre 280 et 300 TWh pour 2022, contre 400 TWh en temps normal. En conséquence, et aussi à cause de la guerre en Ukraine, le mégawattheure pour livraison l’an prochain se vend autour de 900 euros, contre moins de 100 € il y a un an et moins de 50 € auparavant.
(1) Fissures dans des circuits de sauvegarde de réacteurs du parc nucléaire d’EDF, une analyse historique
(2) IRSN - Rapport scientifique et technique 2005