Comment réformer le marché de l’électricité ?
En pleine crise énergétique, l’Union européenne envisage de réformer son marché de l’électricité. En effet, il ne permet plus la décarbonation de la production, n’assure plus la sécurité d’approvisionnement et ne garantit plus des prix abordables pour les consommateurs. Le Conseil d’analyse économique (CAE) donne des pistes pour le rendre plus efficace.
La guerre en Ukraine a montré la fragilité du secteur européen de l’énergie. Prix en forte hausse, dépendance au gaz russe, retour du charbon… Le système, déjà vulnérable, a totalement été déséquilibré par ce conflit. Le marché de l’électricité, qui résulte d’un processus de libéralisation entamé dans les années 90, a notamment été particulièrement éprouvé. Sur le court terme, il fonctionne sur un principe simple. Comme les électrons ne se stockent pas, le système européen garantit l’équilibre entre l’offre et la demande en sollicitant les moyens de production du moins au plus coûteux. Dans les faits, les sources renouvelables sont appelées en premier, puis suivent l’hydraulique, le nucléaire, le charbon et le gaz. Or, c’est le coût marginal de la dernière centrale appelée qui définit le prix.
« Ce marché de gros journalier est très critiqué actuellement car les prix du gaz sont très élevés, et donc ceux de l’électricité aussi. Cette crise a révélé ses faiblesses structurelles : il n’est plus capable de concilier décarbonation, sécurité d’approvisionnement et des prix abordables et peu volatils », explique Katheline Schubert, professeure à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, membre du CAE, et corédactrice d’une note sur le sujet aux côtés de Dominique Bureau et Jean-Michel Glachant. Des mesures d’urgence, comme le bouclier tarifaire, ont bien été prises en France pour protéger les consommateurs mais elles sont coûteuses et provisoires. De plus, des subventions ont été accordées aux énergies fossiles. Il faut donc changer le système en profondeur. La note du CAE donne quelques pistes pour y parvenir.
Prix plancher du CO2
Trois principes doivent orienter la réforme : maîtriser la demande d’énergie, ce qui suppose de remplacer progressivement le bouclier tarifaire par des dispositifs plus incitatifs ; coordonner les achats de gaz à l’échelle européenne plutôt que de plafonner son prix ; encourager la décarbonation en s’appuyant sur un prix du carbone juste et prévisible permettant aux acteurs d’anticiper et d’orienter leurs investissements vers des technologies plus vertueuses. « Le carbone doit avoir un prix plus élevé car aujourd’hui, à environ 100 euros la tonne, il reste toujours trop bas. Il faudrait mettre en place un prix plancher dynamique du carbone reflétant son coût social, qui devrait s’élever a minima à 150 €/tCO2, » précise Katheline Schubert. Si les marchés de gros fonctionnent à court terme, ils sont inadaptés à plus longue échéance pour satisfaire la décarbonation, la stabilité des prix et la sécurité d’approvisionnement. Le CAE ne recommande pas d’abandonner le principe de marché mais de le sécuriser grâce à des contrats de long terme.
Contrats de long terme
Deux types d’entre eux sont envisagés. Les contrats pour différence (CfD) tiendraient compte des coûts complets de fonctionnement des centrales et des investissements nécessaires à la prolongation de leur durée de vie. L’État assurerait un revenu au producteur pour les technologies (décarbonées) au coût marginal très faible et intenses en capital, par exemple les énergies renouvelables et le nucléaire. Quant aux contrats d’achat d’énergie (PPA), ils reposeraient sur des accords bilatéraux associant entreprises productrices et fournisseurs ou clients professionnels.
Ces contrats seraient à même de succéder au dispositif mis en place pour le nucléaire historique en France (Arenh) qui se termine fin 2025. « Toutefois ces PPA ont un inconvénient. Ils ne garantissent pas l’atteinte d’objectifs de décarbonation car ils n’impliquent que des entreprises privées et non la puissance publique capable d’orienter vers les énergies peu émissives », détaille Katheline Schubert. Il faudrait plutôt, selon le CAE, renforcer le rôle de la puissance publique en France en confiant à une instance la mission de coordonner les expertises, de recommander les investissements et de suivre l’évolution de l’écosystème électrique. Utiliser les deux types de contrats pour obtenir un équilibre est donc la solution privilégiée.