Quatre scénarios pour atteindre la neutralité carbone
Atteindre la neutralité carbone en 2050 est souvent la pierre angulaire des politiques climatiques. Mais selon un rapport prospectif publié par l’Ademe, cette mission semble être particulièrement difficile à réaliser. L’Agence a étudié quatre scénarios contrastés pour conduire la France vers cet objectif.
Deux ans de travaux, une centaine de collaborateurs mobilisés en échange permanent avec un comité scientifique et des prestataires extérieurs. Le nouveau rapport de l’Ademe, baptisé Transition(s) 2050, se veut particulièrement exhaustif. Il décrit quatre scénarios très différents qui prennent en compte les secteurs du bâtiment, de la mobilité des voyageurs et du transport de marchandises, de l’alimentation, de l’agriculture, des forêts, de l’industrie, des déchets et de l’énergie.
Changements de comportements
« Les quatre voies présentées, chacune dotée de sa propre cohérence, permettent à la France d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais toutes sont difficiles et nécessitent une planification orchestrée des transformations, associant État, territoires, acteurs économiques et citoyens », reconnaît l’Ademe. Peu importe le scénario, il faut que la France fasse des paris forts, que ce soit sur le plan des changements de comportements ou du point de vue technologique. Enfin, pour mener à bien une de ces quatre trajectoires, il faut agir vite car les transformations sont d’une telle ampleur qu’elles mettront du temps à produire les effets escomptés.
« La décennie à venir est cruciale pour nous mettre sur les rails de la neutralité carbone. Une forte mobilisation financière doit être mise en oeuvre, au moins dans le prochain quinquennat. Plus on tardera, plus cela sera cher : c’est de la théorie économique qu’il faut rappeler à nos citoyens », insiste Arnaud Leroy, président de l’Ademe. Le premier scénario, « Génération frugale », suppose un changement profond de comportements de la part des Français que ce soit dans leur façon de se déplacer, de se chauffer, de s’alimenter, d’acheter ou d’utiliser des équipements.
Une partie de l’appareil productif est alors fondée sur les low-tech et la quantité de viande consommée est divisée par trois. 80 % des logements sont rénovés à un niveau bâtiment basse consommation (BBC), voire plus, et 80 % des surfaces tertiaires respectent les exigences du décret les concernant. Le chauffage au bois se développe alors que le recours au gaz naturel diminue beaucoup.
Les Français se déplacent moins : les kilomètres parcourus baissent de 26 % et les voitures s’électrifient pour couvrir 90 % des usages. Parallèlement, la relocalisation de l’économie et la sobriété entraînent une baisse de 45 % du trafic de marchandises. Les émissions de GES du secteur des mobilités décroissent ainsi de 91 %. Dans ce scénario, le mix de la consommation d’énergie finale est composé de 301 TWh d’électricité*, 265 TWh de chaleur, 110 TWh de gaz et 70 TWh de combustibles liquides. Le gaz est presque intégralement renouvelable, grâce au power-togas et au biogaz, sans nécessiter de cultures énergétiques dédiées.
Le deuxième scénario, « Coopérations territoriales », repose aussi sur un changement de société, mais moins brutal. L’Hexagone se tourne vers une gouvernance partagée et une coopération plus étroite entre les territoires. « Organisations non gouvernementales, institutions publiques, secteur privé et société civile s’allient pour mener à bien la transition et atteindre la neutralité tout en maintenant la cohésion sociale », explique Valérie Quiniou, directrice exécutive prospective et recherche de l’Ademe.
Il suppose un changement d’alimentation à grande échelle avec une diminution de la consommation de viande de 50 %. La rénovation énergétique accélère : 80 % des logements sont rénovés à un niveau BBC et 71 % des surfaces tertiaires respectent la trajectoire prévue par le décret les concernant. La demande de mobilité est en repli de 8 % et se tourne vers des modes de transports alternatifs et en commun.
Quant au trafic de marchandises, il baisse de 35 % grâce à une consommation plus locale. Au total, les émissions des transports baissent de 95 %, notamment grâce à l’hydrogène produit par électrolyse. Au total, ce gaz atteint 96 TWh en 2050. En plus des applications de mobilité, l’hydrogène est nécessaire pour le power-to-méthane et dans l’industrie pour la production d’engrais, de méthanol ou la synthèse de carburants liquides. Dans ce scénario, la forte baisse de la consommation de gaz (158 TWh en 2050) permet d’utiliser 82 % de gaz décarboné. La méthanisation/power-to-méthane produit 127 TWh. Le mix de la consommation d’énergie finale est composé de 343 TWh d’électricité, 260 TWh de chaleur et 42 TWh de combustibles liquides.
Essor technologique
Le troisième scénario, intitulé « Technologies vertes », demande moins d’efforts aux Français en misant plutôt sur les progrès technologiques. Par conséquent, les manières d’habiter, de se déplacer ou de travailler sont très similaires à aujourd’hui avec toutefois quelques différences : l’alimentation est moins carnée, la mobilité individuelle et les trajets longs restent prédominants mais avec des véhicules plus légers et électrifiés. Les rénovations sont très répandues mais sans atteindre le niveau BBC. Les consommations, notamment pour le chauffage domestique, restent donc élevées.
La biomasse est très mobilisée, en particulier les déchets pour la méthanisation et le bois pour les besoins en chaleur. La pyrogazéification tient aussi un rôle important dans ce scénario (67 TWh). La demande en hydrogène y est si importante qu’il est nécessaire d’en importer la moitié de l’étranger. 517 TWh d’électricité sont requis pour satisfaire la demande, soit 17 de plus qu’en 2020. Pour autant, avec un mix électrique totalement décarboné, il est donc possible d’atteindre la neutralité en 2050.
Enfin, l’ultime scénario concocté par l’Ademe, baptisé « Pari réparateur », mise toujours plus sur le développement de technologies propres sans demander d’efforts particuliers aux ménages. L’électronique est très répandu dans les foyers pour cuisiner, régler la lumière ou le chauffage à distance. Les applications sont aussi très développées notamment pour se déplacer.
« La société place sa confiance dans la capacité à gérer, voire réparer, les systèmes sociaux et écologiques avec plus de ressources matérielles et financières pour conserver un monde vivable. Ceci conduit à remettre en cause un certain nombre d’objectifs inscrits aujourd’hui dans la loi comme la division par deux de la consommation d’énergie ou le zéro artificialisation nette », détaille l’Ademe. La demande en énergie s’en ressent malgré des systèmes plus efficaces dans l’industrie, le bâtiment ou les transports : 709 TWh d’électricité, 271 TWh de chaleur, 270 TWh de gaz et 73 TWh de combustibles liquides.
Compte tenu de cette forte demande, ce scénario présente le niveau d’émissions le plus élevé (135 MtCO2/an). « Il nécessite d’importer de grandes quantités de gaz décarboné de l’étranger », précise Valérie Quiniou. Pour compenser, le recours à la capture et au stockage du CO2 (CCS) est indispensable notamment dans l’industrie.
Mais pour mettre en oeuvre cette technologie à une telle échelle, de nombreuses et lourdes infrastructures doivent être construites : canalisations de transport et sites de stockage géologique en mer du Nord et à terre. « De plus, il est nécessaire de développer le captage et du stockage de CO2 dans l’air ambiant (DACCS). Cela entraîne une forte consommation énergétique supplémentaire estimée à 59 TWh/an soit 6 % de la consommation d’électricité du pays », conclut la directrice exécutive prospective et recherche de l’Ademe.