L'indispensable décarbonation des ETI

24 04 2024
Olivier Mary
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Un rapport d’Etilab, une chaire d’enseignement et de recherche de l’École des mines de Paris, montre que les entreprises de taille intermédiaire rejettent autant de gaz à effet de serre que les grandes entreprises en France. Il est donc important de les décarboner tout en veillant à ne pas les pénaliser par rapport à leurs concurrentes non européennes.

En 2022, les rejets de gaz à effet de serre (GES) en France ont atteint 404 millions de tonnes de CO2. C’est 25 % de moins qu’en 1990. Ce chiffre s’explique notamment par la désindustrialisation du pays. Cette tendance s’est confirmée depuis 2000. De cette année à 2022, les émissions industrielles ont diminué de 42 %, alors que celles de l’industrie mondiale ont augmenté de 64 %. Malgré tout, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) – elles comptent entre 250 et 4 999 salariés et ont un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 milliard d’euros – ont pris de l’ampleur. La valeur ajoutée qu’elles génèrent dans le secteur secondaire a augmenté de 10 % entre 2011 et 2018 et l’emploi de 2 %. Ce gain d’activité a fait qu’en 2022, ces ETI rejetaient autant de carbone que les grandes entreprises principalement dans les secteurs suivants : papier et carton, ciment, verre creux, sidérurgie, ammoniac et engrais azotés, brique et terre cuite, chaux et plâtre, verre plat, aluminium, sucre, éthylène et plastique. « L’essentiel de l’effort de décarbonation des ETI aura lieu dans ces secteurs, qui nécessitent une attention particulière lors de la construction de la politique publique de décarbonation », note un rapport publié par Etilab, une chaire d’enseignement et de recherche des Mines Paris.

Comment décarboner ?

Afin de décarboner ces sociétés, deux leviers sont évoqués. Il est tout d’abord nécessaire de verdir les procédés chimiques. « Il faut inventer une nouvelle manière de produire, utiliser une autre réaction chimique qui dégage moins de GES. Des solutions ont été découvertes, d’autres sont en cours de développement et de grands efforts de recherche sont à l’œuvre, notamment dans les questions de passage à l’échelle », explique le rapport. Le captage, stockage et utilisation du carbone (CCUS) peut permettre de décarboner ces process. En outre, des technologies de ruptures (nouvelle recette de liants hydrauliques pour le béton, anode inerte pour l’aluminium, etc.) sont envisageables. Le deuxième levier porte sur la réduction des émissions de combustion. En France, 70 % de la consommation finale d’énergie dans l’industrie est utilisée pour produire de la chaleur. Concernant les faibles températures (100 à 120 °C maximum), il est possible d’utiliser des panneaux solaires thermiques, la géothermie, des pompes à chaleur haute température ou des chaudières électriques. En dessous de 400 °C, le rapport préconise l’électrification et le préchauffage en entrée de four avec du solaire thermique. Au-dessus de 600 °C, les solutions disponibles demandent plus d’innovation et donc de recherche et développement. « On pense à la combustion d’hydrogène (enjeux de flamme et de vapeur d’eau), l’intégration de biométhane (enjeu de disponibilité des ressources), d’électrification haute puissance (enjeux propres à chaque filière). De façon générale, l’hybridation des solutions (par exemple méthane et électricité, électricité et solaire thermique, hydrogène et méthane, etc.) est à envisager largement », estime le rapport.

Émissions de combustion sur site selon le secteur et la catégorie (MtCO2)
Émissions de combustion sur site selon le secteur et la catégorie (MtCO2)

De nombreux défis

La transition de l’industrie ne doit pas se faire au détriment de sa compétitivité. En effet, décarboner implique des coûts. Les stratégies doivent donc être mises en œuvre sans omettre cet enjeu si la France veut conserver, voire développer, l’industrie hexagonale. Afin de dépolluer les process chimiques et la combustion, la décarbonation imposera au secteur de modifier ses process de production, entraînant fatalement des difficultés techniques et des dépenses supplémentaires à court terme. Cela représente un immense défi. D’autant plus que le secteur souffre d’un manque important de compétences du fait de la désindustrialisation mais aussi d’une rareté des profils dans ce domaine. Toutefois, les nombres de techniciens et de cadres de l’environnement et du traitement des pollutions ont respectivement doublé et triplé depuis 2005, date de lancement du marché européen du carbone (EU-ETS). Autre difficulté, pour opérer une transition énergétique, il faut de nouveaux équipements qui nécessitent parfois des matières premières très majoritairement importées. De plus, l’industrie brûle 10 milliards de mètres cubes de gaz par an. La forte dépendance à ce combustible rend les ETI particulièrement à la merci des fluctuations de prix qui peuvent mettre à mal leur compétitivité. Se pose alors la question d’électrifier au maximum les procédés. Mais la capacité de production électrique devra suivre, ce qui est loin d’être acquis avec les retards pris sur le développement des renouvelables et les interrogations sur le parc nucléaire vieillissant.

Afin de relever ces nombreux défis, il sera nécessaire de développer une politique spécifique pour les ETI, notamment sous forme d’aides. « [Cela] pose plusieurs types de difficultés. La première est une barrière légale imposée par les règles de concurrence et de libre-échange de l’Union européenne », note le rapport. La deuxième contrainte réside dans l’hétérogénéité de ces sociétés. En effet, elles sont de tailles très variables, opèrent dans des secteurs très différents, tout au long de la chaîne de valeur et sont soumises à des spécificités locales. « Une politique publique spécifique aux ETI devra prendre en compte toutes ces caractéristiques et demandera un effort de construction très important. La mise en place de politiques au niveau local et plus particulièrement régional apparaît à cet endroit comme une piste prometteuse », insiste le rapport. Enfin, beaucoup de ces sociétés implantées en France sont étrangères. Il faudra donc veiller à ce que ces aides ne soient pas discriminantes en fonction de la nationalité des entreprises et s’assurer qu’elles sont effectivement utilisées en France afin de ne pas gaspiller l’argent public. 

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